[Cette saynète en forme de conférence, tirée de Pour une culutre citoyenne !, fut écrite en 2005. A l’occasion de sa publication sur le Ring, je la donne également à lire sur Theatrum Mundi]
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[Cette saynète en forme de conférence, tirée de Pour une culutre citoyenne !, fut écrite en 2005. A l’occasion de sa publication sur le Ring, je la donne également à lire sur Theatrum Mundi]
Je viens de passer une demi-heure devant une page blanche virtuelle ; et maintenant, elle est foutue.
Ou plutôt, ce moment-là est fini.
Et vous n’en saurez rien.
Je regrette mes machines à écrire et les feuillets nombreux que personne ne lisait.
– Et tu écrivais quoi ?
– Des dialogues.
– Et tu les faisais lire ?
– Très rarement.
– Représenter ?
– Non plus.
J’avais plus de personnages que de lecteurs.
C’était du luxe.
Je vivais seul alors. Environné de livres. J’écrivais pour les morts.
Directement.
Une nuit, j’ai écrit une histoire. Assez longue. Chaque fois que je retirais une feuille de la machine à écrire, je la foutais directement à la poubelle.
Je ne sais plus du tout ce que racontait cette histoire, mais j’en ai un très bon souvenir.
A quelques exceptions près, j’ai toujours écrit des dialogues.
Des paroles.
La voix humaine me demeure un mystère.
Je me demande ce que c’est qu’une prière.
J’écris encore des dialogues. Je ne sais pas pourquoi.
(Par dialogues, je n’entends rien de cinématographique.
Quant à la voix humaine, je songe surtout au chant.)
Quand je respecte certaines règles (en vente libre), j’appelle ça du théâtre.
Du rituel, si vous voulez. Mais les rites sont perdus…
J’aime bien la solitude. Elle n’exige aucune sincérité et ne permet pas vraiment la contradiction.
La vie sociale est faite d’hypocrisie, la solitude de lâcheté.
Le courage parfois les zèbre.
Ne rêvons pas.
Allez tous vous faire foutre…
Commença Mickey Grenelle, PDG du Bronzeculand France.
Il faut dire à sa décharge qu’il n’était pas dans son état normal, Mickey.
Il était à l’hosto (et vivant) et un poil shooté aux médocs.
Et donc ainsi commença-t-il :
J’avais ce soir trop de prose à écrire et je n’avais pas le temps
Et puis il aurait fallu que j’argumente
Mais j’étais d’une humeur massacrante
Alors j’ai torché ça comme ça presque d’un trait
Sans trop réfléchir à une quelconque logique
Dont par ailleurs je me contrefous
De m’y sentir tellement assujetti
Alors le père dit à son fils
Je sais bien qu’elle t’emmerde cette réunion de famille mon grand
Mais tu y vas quand même avec ton nœud de cravate et puis tu fermes ta gueule et puis tu te tiens bien mon gars
Même si tu n’en penses pas moins
Mais pour l’instant tu es un petit con qui ne sait pas penser
Et le fils dans quinze ans sur la tombe du grand-père
Se souviendra peut-être des mots vaches de son père
Qu’il soutient à présent de son bras et qui pleure en silence
Peut-être bien après tout que la décence est religieuse
Et ça n’a guère d’importance au fond comment on nomme ça
Je ne crois pas qu’aucun peuple ait jamais cru à ses dieux
Les gens accomplissaient des rituels et n’en pensaient pas moins
Et comme ils ne le disaient pas ils pensaient sans les mots et vraiment en silence
Dans le silence des mots
Mais nous bavardons à l’envi nos n’en pensons pas moins sans plus de rituels connus à accomplir ensemble
Alors nous nous jetons par les fenêtres
Malgré les anti-dépresseurs les camisoles chimiques et les physiques aussi
Parce que dans des hostos nous avons tué nos parents ou alors nos enfants
Et nous flottons dans cette gaze de vie
Décrochés du fil des générations et de son sens
Pleurant de nos manies et nos pathologies ces rituels perdus
Et sur lesquels nous jetons vaguement
En guise de De profundis s’ignorant tel
Un regard glacé de mépris et d’effroi
Il y a quelque part dans un livre un juge du Roi d’Espagne
Qui dit au moins cette phrase
Mais moi, j’ai appris qu’il n’y avait pas de plus grande charité que de tuer les êtres malfaisants.
Et moi j’aime bien cette phrase au moins pour les visages en ce moment qu’elle vous fait
Je trouve depuis longtemps la poésie inepte
C’est pour ça même que c’est drôle de souvent revenir à la ligne
De décocher son trait dans des ivresses mal venues
Et d’emmerder les cons
Qui ne manquent pas pour tout vous dire
Et dont je ne manque pas d’être aussi
A heures et à taux fixes
Et maintenant je vous résume mon dernier rendez-vous
Comment mais vous avez encore des prétentions artistiques cher monsieur
Et le rendu social vous y pensez au rendu social
Que faites-vous donc encore dans l’épicerie culturelle d’Etat
Là-dessus nous sommes d’accord – aux termes près toutefois
Je ne vomis pas madame je sais me tenir
C’est bien ce qu’on vous reproche
Dépenaillez-vous et lâchez cette lourde raison comme une hache
Qui défonce les cloisons minces que nous plaçons
En œillères sur la gueule des gens
Mais tout cela déjà ne me concerne plus
Je ne suis pas là
J’ai arrêté mon cheval pour qu’il boive à la source
Mais je n’ai pas posé mon épée
Il y a tout près d’ici
Un grand crucifix dans un bosquet de fougères
D’où parfois tombe une larme
Le paysage est gelé ce matin – les pleurs des morts
En fermant les yeux au monde
Vous pouvez entendre leur lamentation une
On dira que je préfère des temps mythiques
Qui n’existèrent jamais vraiment et c’est bien vrai
Que je préfère les temps mythiques
Qui n’existèrent jamais vraiment parce qu’ils ont au moins cette vertu
D’éclairer bien notre puterie satisfaite et constante
Belle comme un flux tendu dans une usine chinoise
Et puis je n’aime pas soigner mon estime de moi en dégueulassant mes aïeux
Ni faire porter à mes pères ma propre ignominie
L’autre jour je suis allé à l’opéra
C’est le plus haut théâtre car tout y est artificiel
Quand les gens chantent la convention veut qu’ils parlent
Quand ils se taisent on entend leur musique d’âme
Et l’intelligence de l’homme à son plérôme vous tord les intestins
Il y était question que les amours fussent tragiques
Mais c’est fini ces fariboles c’est fini
Maintenant y a l’industrie l’industrie l’industrie
Qui ne crache pas seulement les ordinaires marchandises
Mais également des corps humains presque indifférenciés
Les hommes ont commencé de ne plus en être
Exhibant éperdus le peu de virilité qu’ils ont
Et musclant leur misère pour que le muscle la cache
Privant ainsi les femmes de leur être des femmes
Parce qu’un homme
Imbécile
Eh bien un homme ça s’empêche
Et s’empêchant se contraignant se tenant
Ça parvient encore difficultueusement
A un petit peu de dignité
Et c’est bien tout ce qu’il pouvait y avoir d’admirable
Dans cette pauvre engeance d’homme
Qu’il fût capable un peu de s’empêcher
Au lieu que nous pauvres tocards
Exhibons précisément qu’il n’y a rien à montrer
Puisque rien à contenir et hop
Tout le monde à la poubelle génétique
Pour la plus grande gloire de la science
Et le salut de rien
Et le bonhomme sur la croix dit
Vous allez voir que je suis mort pour rien
Ils vont faire que je suis mort pour rien
Et faire de moi un type comme eux
Non pas l’inverse
Rouvrez les yeux
Les villes se reconfigurent
Avec leur gratte-ciels comme des stèles
Élevées au néant
Il n’y a plus là-dessous que solitudes
Et solitudes empoisonnées
L’orgueil et la misère
Pour tout symbole nous avons le tracé blanc des parkings où nous vivons
Et pour nous exprimer des autoroutes qui n’existent même pas
Tout ça est à pisser de rire une mauvaise blague qui dure un peu plus longtemps qu’elle n’est drôle
A la Défense l’autre soir
Dans un crachin de neige fondue
Deux étrangers trempés distribuent gratis un journal à la sortie du RER
Qu’on jette dans la poubelle d’après
Le journal est payé par la publicité qui tourne seule
Sur l’axe du monde en merde
Les gars eux sont payés à coups de pompe dans le cul
Hé mec c’est mieux que rien
Je me promène que voulez-vous
Dans les campagnes du vieux pays de France c’est l’hiver
– la ruine qui va avec comme dans les romans du Graal –
Il y a là des couleurs dans les arbres morts leurs feuilles humus au sol
Des verts et des rouges fondus à la terre en une seule grisaille
Ces paysages m’ont sauté à la gueule ils m’ont dit
Nous ne sommes plus représentés notre vieille dignité
S’en est allée nous sommes un monde perdu
De vieilles églises sans plus aucun fidèle
Un rire un molard et un allah akbar pour sépulture indigne
Et puis la silencieuse approbation des lâches
Que voulez-vous cher monsieur il n’y a pas de société sans religion
En attendant qu’est-ce qu’on rigole
En défonçant des culs de lycéennes
À Saint-Germain-des-Prés
Il y avait la beauté
Mais elle est redevenue invisible
Ensevelie
Sous les excavations terribles des machines
Et de leurs agencements
Il y avait ces paysages banals des vieux hommes
Ces gens quelconques rétifs à l’originalité
Qui faisaient leur travail simplement leur travail
Qu’on ne leur prenait pas et duquel ils tiraient de quoi simplement vivre
Il y avait même des jeunes filles vierges figurez-vous
Et qui n’avaient pas honte
Sainte Marie qui êtes la Mère de Dieu
Priez pour nous qui sommes de pauvres cons de pêcheurs
Maintenant et à l’heure de notre mort
Vu que c’est maintenant aussi l’heure de notre mort
(Ça y est j’ai décroché le pompon je vais bien me trouver un crétin
Pour venir me dire avec morgue que je suis catholique
Alors que je suis catholique et qu’il lui suffirait de relire
Ou de lire pour de vrai le premier paragraphe
De ce poème à la con fermez la parenthèse)
Au lieu qu’à présent
On industrie des cadavres
Et même les enfants on les broie dans l’enfance pour qu’ils y payent à vie
On assassine les faibles des enfants aux vieillards
Avec une bonne conscience comme jamais
En crachant haut et fort les mots désarrimés de choix et puis de dignité
Et en pleurant que nos ennemis d’hier et d’avant-hier
Que nous appelons maîtres
Ne daignent point voir en nous des héros
Alors on continue camarades
On continue
On suicide
Tout doit disparaître
On liquide et on s’en va
On progresse
Et revoilà les sacrifices humains
Et le massacre des saints innocents
Qu’on réinstitue dare-dare dans le sprint final
Avant le grand plurien
Où je ne sais trop quelle ironie
Nous a déjà versés
Pour ainsi dire par anticipation
Nous qui sommes sans cesse en retard
Et toujours plus pressés
Pressurés pressurisés
Jusqu’à ce que ton sang gicle
Pourtant je vous explore paysages
Et votre infinie tristesse me réjouit
Ça me change du bonheur en merde
Qu’on m’intra-veine à longueur de cathode
Je me promène que voulez-vous
Et j’entends
– Je sais que c’est faux
Mais c’est encore plus vrai
Quand on voit bien que c’est faux –
J’entends la colère de milliers de morts
Qui monte dans l’herbe fraîche
Dans la première fleur du printemps