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Fusées - Page 48

  • Divagation

    Je viens de passer une demi-heure devant une page blanche virtuelle ; et maintenant, elle est foutue.

    Ou plutôt, ce moment-là est fini.

    Et vous n’en saurez rien.

     

    Je regrette mes machines à écrire et les feuillets nombreux que personne ne lisait.

    – Et tu écrivais  quoi ?

    – Des dialogues.

    – Et tu les faisais lire ?

    – Très rarement.

    – Représenter ?

    – Non plus.

    J’avais plus de personnages que de lecteurs.

    C’était du luxe.

     

    Je vivais seul alors. Environné de livres. J’écrivais pour les morts.

    Directement.

     

    Une nuit, j’ai écrit une histoire. Assez longue. Chaque fois que je retirais une feuille de la machine à écrire, je la foutais directement à la poubelle.

    Je ne sais plus du tout ce que racontait cette histoire, mais j’en ai un très bon souvenir.

     

    A quelques exceptions près, j’ai toujours écrit des dialogues.

    Des paroles.

    La voix humaine me demeure un mystère.

    Je me demande ce que c’est qu’une prière.

     

    J’écris encore des dialogues. Je ne sais pas pourquoi.

    (Par dialogues, je n’entends rien de cinématographique.

    Quant à la voix humaine, je songe surtout au chant.)

    Quand je respecte certaines règles (en vente libre), j’appelle ça du théâtre.

    Du rituel, si vous voulez. Mais les rites sont perdus…

     

    J’aime bien la solitude. Elle n’exige aucune sincérité et ne permet pas vraiment la contradiction.

     

    La vie sociale est faite d’hypocrisie, la solitude de lâcheté.

    Le courage parfois les zèbre.

    Ne rêvons pas.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Résumé

    J’avais ce soir trop de prose à écrire et je n’avais pas le temps

    Et puis il aurait fallu que j’argumente

    Mais j’étais d’une humeur massacrante

    Alors j’ai torché ça comme ça presque d’un trait

    Sans trop réfléchir à une quelconque logique

    Dont par ailleurs je me contrefous

    De m’y sentir tellement assujetti

     

    Alors le père dit à son fils

    Je sais bien qu’elle t’emmerde cette réunion de famille mon grand

    Mais tu y vas quand même avec ton nœud de cravate et puis tu fermes ta gueule et puis tu te tiens bien mon gars

    Même si tu n’en penses pas moins

    Mais pour l’instant tu es un petit con qui ne sait pas penser

    Et le fils dans quinze ans sur la tombe du grand-père

    Se souviendra peut-être des mots vaches de son père

    Qu’il soutient à présent de son bras et qui pleure en silence

    Peut-être bien après tout que la décence est religieuse

    Et ça n’a guère d’importance au fond comment on nomme ça

    Je ne crois pas qu’aucun peuple ait jamais cru à ses dieux

    Les gens accomplissaient des rituels et n’en pensaient pas moins

    Et comme ils ne le disaient pas ils pensaient sans les mots et vraiment en silence

    Dans le silence des mots

    Mais nous bavardons à l’envi nos n’en pensons pas moins sans plus de rituels connus à accomplir ensemble

    Alors nous nous jetons par les fenêtres

    Malgré les anti-dépresseurs les camisoles chimiques et les physiques aussi

    Parce que dans des hostos nous avons tué nos parents ou alors nos enfants

    Et nous flottons dans cette gaze de vie

    Décrochés du fil des générations et de son sens

    Pleurant de nos manies et nos pathologies ces rituels perdus

    Et sur lesquels nous jetons vaguement

    En guise de De profundis s’ignorant tel

    Un regard glacé de mépris et d’effroi

     

    Il y a quelque part dans un livre un juge du Roi d’Espagne

    Qui dit au moins cette phrase

    Mais moi, j’ai appris qu’il n’y avait pas de plus grande charité que de tuer les êtres malfaisants.

    Et moi j’aime bien cette phrase au moins pour les visages en ce moment qu’elle vous fait

     

    Je trouve depuis longtemps la poésie inepte

    C’est pour ça même que c’est drôle de souvent revenir à la ligne

    De décocher son trait dans des ivresses mal venues

    Et d’emmerder les cons

    Qui ne manquent pas pour tout vous dire

    Et dont je ne manque pas d’être aussi

    A heures et à taux fixes

     

    Et maintenant je vous résume mon dernier rendez-vous

    Comment mais vous avez encore des prétentions artistiques cher monsieur

    Et le rendu social vous y pensez au rendu social

    Que faites-vous donc encore dans l’épicerie culturelle d’Etat

     

    Là-dessus nous sommes d’accord – aux termes près toutefois

    Je ne vomis pas madame je sais me tenir

     

    C’est bien ce qu’on vous reproche

    Dépenaillez-vous et lâchez cette lourde raison comme une hache

    Qui défonce les cloisons minces que nous plaçons

    En œillères sur la gueule des gens

     

    Mais tout cela déjà ne me concerne plus

    Je ne suis pas là

     

    J’ai arrêté mon cheval pour qu’il boive à la source

    Mais je n’ai pas posé mon épée

     

    Il y a tout près d’ici

    Un grand crucifix dans un bosquet de fougères

    D’où parfois tombe une larme

     

    Le paysage est gelé ce matin – les pleurs des morts

    En fermant les yeux au monde

    Vous pouvez entendre leur lamentation une

     

    On dira que je préfère des temps mythiques

    Qui n’existèrent jamais vraiment et c’est bien vrai

    Que je préfère les temps mythiques

    Qui n’existèrent jamais vraiment parce qu’ils ont au moins cette vertu

    D’éclairer bien notre puterie satisfaite et constante

    Belle comme un flux tendu dans une usine chinoise

    Et puis je n’aime pas soigner mon estime de moi en dégueulassant mes aïeux

    Ni faire porter à mes pères ma propre ignominie

    L’autre jour je suis allé à l’opéra

    C’est le plus haut théâtre car tout y est artificiel

    Quand les gens chantent la convention veut qu’ils parlent

    Quand ils se taisent on entend leur musique d’âme

    Et l’intelligence de l’homme à son plérôme vous tord les intestins

    Il y était question que les amours fussent tragiques

    Mais c’est fini ces fariboles c’est fini

    Maintenant y a l’industrie l’industrie l’industrie

    Qui ne crache pas seulement les ordinaires marchandises

    Mais également des corps humains presque indifférenciés

    Les hommes ont commencé de ne plus en être

    Exhibant éperdus le peu de virilité qu’ils ont

    Et musclant leur misère pour que le muscle la cache

    Privant ainsi les femmes de leur être des femmes

    Parce qu’un homme

    Imbécile

    Eh bien un homme ça s’empêche

    Et s’empêchant se contraignant se tenant

    Ça parvient encore difficultueusement

    A un petit peu de dignité

    Et c’est bien tout ce qu’il pouvait y avoir d’admirable

    Dans cette pauvre engeance d’homme

    Qu’il fût capable un peu de s’empêcher

    Au lieu que nous pauvres tocards

    Exhibons précisément qu’il n’y a rien à montrer

    Puisque rien à contenir et hop

    Tout le monde à la poubelle génétique

    Pour la plus grande gloire de la science

    Et le salut de rien

     

    Et le bonhomme sur la croix dit

    Vous allez voir que je suis mort pour rien

    Ils vont faire que je suis mort pour rien

    Et faire de moi un type comme eux

    Non pas l’inverse

     

    Rouvrez les yeux

    Les villes se reconfigurent

    Avec leur gratte-ciels comme des stèles

    Élevées au néant

    Il n’y a plus là-dessous que solitudes

    Et solitudes empoisonnées

    L’orgueil et la misère

     

    Pour tout symbole nous avons le tracé blanc des parkings où nous vivons

    Et pour nous exprimer des autoroutes qui n’existent même pas

    Tout ça est à pisser de rire une mauvaise blague qui dure un peu plus longtemps qu’elle n’est drôle

     

    A la Défense l’autre soir

    Dans un crachin de neige fondue

    Deux étrangers trempés distribuent gratis un journal à la sortie du RER

    Qu’on jette dans la poubelle d’après

    Le journal est payé par la publicité qui tourne seule

    Sur l’axe du monde en merde

    Les gars eux sont payés à coups de pompe dans le cul

    Hé mec c’est mieux que rien

     

    Je me promène que voulez-vous

     

    Dans les campagnes du vieux pays de France c’est l’hiver

    – la ruine qui va avec comme dans les romans du Graal –

    Il y a là des couleurs dans les arbres morts leurs feuilles humus au sol

    Des verts et des rouges fondus à la terre en une seule grisaille

    Ces paysages m’ont sauté à la gueule ils m’ont dit

    Nous ne sommes plus représentés notre vieille dignité

    S’en est allée nous sommes un monde perdu

    De vieilles églises sans plus aucun fidèle

    Un rire un molard et un allah akbar pour sépulture indigne

    Et puis la silencieuse approbation des lâches

    Que voulez-vous cher monsieur il n’y a pas de société sans religion

    En attendant qu’est-ce qu’on rigole

    En défonçant des culs de lycéennes

    À Saint-Germain-des-Prés

     

    Il y avait la beauté

    Mais elle est redevenue invisible

    Ensevelie

    Sous les excavations terribles des machines

    Et de leurs agencements

     

    Il y avait ces paysages banals des vieux hommes

    Ces gens quelconques rétifs à l’originalité

    Qui faisaient leur travail simplement leur travail

    Qu’on ne leur prenait pas et duquel ils tiraient de quoi simplement vivre

     

    Il y avait même des jeunes filles vierges figurez-vous

    Et qui n’avaient pas honte

    Sainte Marie qui êtes la Mère de Dieu

    Priez pour nous qui sommes de pauvres cons de pêcheurs

    Maintenant et à l’heure de notre mort

    Vu que c’est maintenant aussi l’heure de notre mort

    (Ça y est j’ai décroché le pompon je vais bien me trouver un crétin

    Pour venir me dire avec morgue que je suis catholique

    Alors que je suis catholique et qu’il lui suffirait de relire

    Ou de lire pour de vrai le premier paragraphe

    De ce poème à la con fermez la parenthèse)

     

    Au lieu qu’à présent

    On industrie des cadavres

    Et même les enfants on les broie dans l’enfance pour qu’ils y payent à vie

    On assassine les faibles des enfants aux vieillards

    Avec une bonne conscience comme jamais

    En crachant haut et fort les mots désarrimés de choix et puis de dignité

    Et en pleurant que nos ennemis d’hier et d’avant-hier

    Que nous appelons maîtres

    Ne daignent point voir en nous des héros

    Alors on continue camarades

    On continue

    On suicide

    Tout doit disparaître

    On liquide et on s’en va

    On progresse

    Et revoilà les sacrifices humains

    Et le massacre des saints innocents

    Qu’on réinstitue dare-dare dans le sprint final

    Avant le grand plurien

    Où je ne sais trop quelle ironie

    Nous a déjà versés

    Pour ainsi dire par anticipation

    Nous qui sommes sans cesse en retard

    Et toujours plus pressés

    Pressurés pressurisés

    Jusqu’à ce que ton sang gicle

     

    Pourtant je vous explore paysages

    Et votre infinie tristesse me réjouit

    Ça me change du bonheur en merde

    Qu’on m’intra-veine à longueur de cathode

     

    Je me promène que voulez-vous

    Et j’entends

    – Je sais que c’est faux

    Mais c’est encore plus vrai

    Quand on voit bien que c’est faux –

    J’entends la colère de milliers de morts

    Qui monte dans l’herbe fraîche

    Dans la première fleur du printemps