– Quel est le premier travail d’un auteur dramatique, aujourd’hui ?
– Si l’on ne considère pas que le premier travail aujourd’hui consiste à soigner son réseau, ce qui est aussi imbécile que courant, et conséquemment de se rendre à telle globalisation réticulée qu’il sera de bon ton par ailleurs de faire semblant d’attaquer afin de fourguer à icelle sa camelote, le premier travail d’un auteur dramatique, comme toujours, est de défendre, et partant : de comprendre, si possible au sens étymologique, les plus grands parmi ceux qui l’ont précédé, c’est-à-dire, pour le Français que je suis, les dramaturges du dix-septième siècle français, lesquels quant à leurs sources littéraires renvoient directement aux Grecs et à la Bible pour les tragédies, à Aristophane, Plaute et Terence pour les comédies, quant à leurs sources politiques aux conditions ayant permis l’émergence de l’Etat moderne, celui-là même, démocratie ou pas, qui agonise sous nos yeux. Le second travail, pour anticiper sur une autre question, consiste à repérer, dans d’autres histoires nationales, le sommet théâtral, s’il est, et à tenter également de le comprendre : il y a donc le bref moment grec et le fatras latin duquel émerge en surplus des comiques susmentionnés seulement Sénèque, puis après un grand vide restant à comprendre vraiment, les mystères médiévaux à compter du XII° siècle, le Siècle d’or espagnol, le théâtre élisabéthain – Shakespeare avant son règne planétaire ! – et le dix-neuvième allemand… Pas tant de livres, somme toute. Le cas du XX° siècle est plus épineux, pas seulement parce qu’il est proche : il apparaît déjà très éclaté, s’arrachant des terreaux nationaux pour accéder, de Tchekhov à aujourd’hui (notez le vague), à un mode de rivalité internationale qui va de plus en plus faire fi des singularités poétiques ; c’est aussi, plus clairement, le moment historique de la disparition à vue du poème dramatique chrétien, Pasolini et Genet inclus par exemple, et partant, l’histoire du théâtre européen étant ce qu’elle est, le moment de la disparition du théâtre lui-même (Claudel en ce sens étant l’ultime miracle français) au profit de formes spectaculaires intrinsèquement nihilistes et ne désirant plus que pour elle-même leur folle montée aux extrêmes, au moins pour les pays qu’une telle référence chrétienne indispose fortement, ce qui exclut certainement la Russie et peut-être, mais je suis circonspect, l’idée religieuse n’y étant plus guère qu’une formalité obligée, comme un label apposable sur tout et n’importe quoi, les Etats-Unis… De ce point de vue, le théâtre du XX° siècle – et le XX° siècle avec lui – finit dans les années 1960 et toutes les tentatives depuis, aussi nombreuses soient-elles, sont autant d’échecs à le réanimer, échecs dûs sans doute à la volonté d’inversion généralisée cherchant à utiliser une forme à autre chose que ce pour quoi elle est faite ; d’où vient que l’historiographie « officielle » du théâtre, depuis, ne peut plus guère aligner qu’une légion assez insignifiante de noms de metteurs en scène…