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Résumé

J’avais ce soir trop de prose à écrire et je n’avais pas le temps

Et puis il aurait fallu que j’argumente

Mais j’étais d’une humeur massacrante

Alors j’ai torché ça comme ça presque d’un trait

Sans trop réfléchir à une quelconque logique

Dont par ailleurs je me contrefous

De m’y sentir tellement assujetti

 

Alors le père dit à son fils

Je sais bien qu’elle t’emmerde cette réunion de famille mon grand

Mais tu y vas quand même avec ton nœud de cravate et puis tu fermes ta gueule et puis tu te tiens bien mon gars

Même si tu n’en penses pas moins

Mais pour l’instant tu es un petit con qui ne sait pas penser

Et le fils dans quinze ans sur la tombe du grand-père

Se souviendra peut-être des mots vaches de son père

Qu’il soutient à présent de son bras et qui pleure en silence

Peut-être bien après tout que la décence est religieuse

Et ça n’a guère d’importance au fond comment on nomme ça

Je ne crois pas qu’aucun peuple ait jamais cru à ses dieux

Les gens accomplissaient des rituels et n’en pensaient pas moins

Et comme ils ne le disaient pas ils pensaient sans les mots et vraiment en silence

Dans le silence des mots

Mais nous bavardons à l’envi nos n’en pensons pas moins sans plus de rituels connus à accomplir ensemble

Alors nous nous jetons par les fenêtres

Malgré les anti-dépresseurs les camisoles chimiques et les physiques aussi

Parce que dans des hostos nous avons tué nos parents ou alors nos enfants

Et nous flottons dans cette gaze de vie

Décrochés du fil des générations et de son sens

Pleurant de nos manies et nos pathologies ces rituels perdus

Et sur lesquels nous jetons vaguement

En guise de De profundis s’ignorant tel

Un regard glacé de mépris et d’effroi

 

Il y a quelque part dans un livre un juge du Roi d’Espagne

Qui dit au moins cette phrase

Mais moi, j’ai appris qu’il n’y avait pas de plus grande charité que de tuer les êtres malfaisants.

Et moi j’aime bien cette phrase au moins pour les visages en ce moment qu’elle vous fait

 

Je trouve depuis longtemps la poésie inepte

C’est pour ça même que c’est drôle de souvent revenir à la ligne

De décocher son trait dans des ivresses mal venues

Et d’emmerder les cons

Qui ne manquent pas pour tout vous dire

Et dont je ne manque pas d’être aussi

A heures et à taux fixes

 

Et maintenant je vous résume mon dernier rendez-vous

Comment mais vous avez encore des prétentions artistiques cher monsieur

Et le rendu social vous y pensez au rendu social

Que faites-vous donc encore dans l’épicerie culturelle d’Etat

 

Là-dessus nous sommes d’accord – aux termes près toutefois

Je ne vomis pas madame je sais me tenir

 

C’est bien ce qu’on vous reproche

Dépenaillez-vous et lâchez cette lourde raison comme une hache

Qui défonce les cloisons minces que nous plaçons

En œillères sur la gueule des gens

 

Mais tout cela déjà ne me concerne plus

Je ne suis pas là

 

J’ai arrêté mon cheval pour qu’il boive à la source

Mais je n’ai pas posé mon épée

 

Il y a tout près d’ici

Un grand crucifix dans un bosquet de fougères

D’où parfois tombe une larme

 

Le paysage est gelé ce matin – les pleurs des morts

En fermant les yeux au monde

Vous pouvez entendre leur lamentation une

 

On dira que je préfère des temps mythiques

Qui n’existèrent jamais vraiment et c’est bien vrai

Que je préfère les temps mythiques

Qui n’existèrent jamais vraiment parce qu’ils ont au moins cette vertu

D’éclairer bien notre puterie satisfaite et constante

Belle comme un flux tendu dans une usine chinoise

Et puis je n’aime pas soigner mon estime de moi en dégueulassant mes aïeux

Ni faire porter à mes pères ma propre ignominie

L’autre jour je suis allé à l’opéra

C’est le plus haut théâtre car tout y est artificiel

Quand les gens chantent la convention veut qu’ils parlent

Quand ils se taisent on entend leur musique d’âme

Et l’intelligence de l’homme à son plérôme vous tord les intestins

Il y était question que les amours fussent tragiques

Mais c’est fini ces fariboles c’est fini

Maintenant y a l’industrie l’industrie l’industrie

Qui ne crache pas seulement les ordinaires marchandises

Mais également des corps humains presque indifférenciés

Les hommes ont commencé de ne plus en être

Exhibant éperdus le peu de virilité qu’ils ont

Et musclant leur misère pour que le muscle la cache

Privant ainsi les femmes de leur être des femmes

Parce qu’un homme

Imbécile

Eh bien un homme ça s’empêche

Et s’empêchant se contraignant se tenant

Ça parvient encore difficultueusement

A un petit peu de dignité

Et c’est bien tout ce qu’il pouvait y avoir d’admirable

Dans cette pauvre engeance d’homme

Qu’il fût capable un peu de s’empêcher

Au lieu que nous pauvres tocards

Exhibons précisément qu’il n’y a rien à montrer

Puisque rien à contenir et hop

Tout le monde à la poubelle génétique

Pour la plus grande gloire de la science

Et le salut de rien

 

Et le bonhomme sur la croix dit

Vous allez voir que je suis mort pour rien

Ils vont faire que je suis mort pour rien

Et faire de moi un type comme eux

Non pas l’inverse

 

Rouvrez les yeux

Les villes se reconfigurent

Avec leur gratte-ciels comme des stèles

Élevées au néant

Il n’y a plus là-dessous que solitudes

Et solitudes empoisonnées

L’orgueil et la misère

 

Pour tout symbole nous avons le tracé blanc des parkings où nous vivons

Et pour nous exprimer des autoroutes qui n’existent même pas

Tout ça est à pisser de rire une mauvaise blague qui dure un peu plus longtemps qu’elle n’est drôle

 

A la Défense l’autre soir

Dans un crachin de neige fondue

Deux étrangers trempés distribuent gratis un journal à la sortie du RER

Qu’on jette dans la poubelle d’après

Le journal est payé par la publicité qui tourne seule

Sur l’axe du monde en merde

Les gars eux sont payés à coups de pompe dans le cul

Hé mec c’est mieux que rien

 

Je me promène que voulez-vous

 

Dans les campagnes du vieux pays de France c’est l’hiver

– la ruine qui va avec comme dans les romans du Graal –

Il y a là des couleurs dans les arbres morts leurs feuilles humus au sol

Des verts et des rouges fondus à la terre en une seule grisaille

Ces paysages m’ont sauté à la gueule ils m’ont dit

Nous ne sommes plus représentés notre vieille dignité

S’en est allée nous sommes un monde perdu

De vieilles églises sans plus aucun fidèle

Un rire un molard et un allah akbar pour sépulture indigne

Et puis la silencieuse approbation des lâches

Que voulez-vous cher monsieur il n’y a pas de société sans religion

En attendant qu’est-ce qu’on rigole

En défonçant des culs de lycéennes

À Saint-Germain-des-Prés

 

Il y avait la beauté

Mais elle est redevenue invisible

Ensevelie

Sous les excavations terribles des machines

Et de leurs agencements

 

Il y avait ces paysages banals des vieux hommes

Ces gens quelconques rétifs à l’originalité

Qui faisaient leur travail simplement leur travail

Qu’on ne leur prenait pas et duquel ils tiraient de quoi simplement vivre

 

Il y avait même des jeunes filles vierges figurez-vous

Et qui n’avaient pas honte

Sainte Marie qui êtes la Mère de Dieu

Priez pour nous qui sommes de pauvres cons de pêcheurs

Maintenant et à l’heure de notre mort

Vu que c’est maintenant aussi l’heure de notre mort

(Ça y est j’ai décroché le pompon je vais bien me trouver un crétin

Pour venir me dire avec morgue que je suis catholique

Alors que je suis catholique et qu’il lui suffirait de relire

Ou de lire pour de vrai le premier paragraphe

De ce poème à la con fermez la parenthèse)

 

Au lieu qu’à présent

On industrie des cadavres

Et même les enfants on les broie dans l’enfance pour qu’ils y payent à vie

On assassine les faibles des enfants aux vieillards

Avec une bonne conscience comme jamais

En crachant haut et fort les mots désarrimés de choix et puis de dignité

Et en pleurant que nos ennemis d’hier et d’avant-hier

Que nous appelons maîtres

Ne daignent point voir en nous des héros

Alors on continue camarades

On continue

On suicide

Tout doit disparaître

On liquide et on s’en va

On progresse

Et revoilà les sacrifices humains

Et le massacre des saints innocents

Qu’on réinstitue dare-dare dans le sprint final

Avant le grand plurien

Où je ne sais trop quelle ironie

Nous a déjà versés

Pour ainsi dire par anticipation

Nous qui sommes sans cesse en retard

Et toujours plus pressés

Pressurés pressurisés

Jusqu’à ce que ton sang gicle

 

Pourtant je vous explore paysages

Et votre infinie tristesse me réjouit

Ça me change du bonheur en merde

Qu’on m’intra-veine à longueur de cathode

 

Je me promène que voulez-vous

Et j’entends

– Je sais que c’est faux

Mais c’est encore plus vrai

Quand on voit bien que c’est faux –

J’entends la colère de milliers de morts

Qui monte dans l’herbe fraîche

Dans la première fleur du printemps

 

 

Commentaires

  • Vous avez toute mon admiration, sans mélange. Et pour la "Suite logique" aussi. Sans mélange également. Logique.

  • Sacrée traversée, beau moment de lucidité, sec et nu. La salut par le paysage. L'éternel paysage ?

  • Bizarre.J'ai lu votre texte cet A.M . et ai cru vous laisser un com'. J'a dû appuyer sur aperçu au lieu d'envoyer. Cela m'arrive parfois. Sais plus ce que je vous disais. Que c'était un moment de lucidité un peu dur, si, votre texte. Ou une dureté lucide. Et que les paysages... Vous devez connaître cette citation de Bernanos qui dit que pour aimer un pays, il y faut beaucoup de littérature. Et donc je me demande si derrière les paysages que vous traversez, il n'y a pas beaucoup de livres lus.

  • Ce n'est pas peu, ce que vous dites, Sophie. Merci, vraiment.

  • @ Solko : Merci beaucoup; Quant aux commentaires, je dois à présent les valider, d'où le différé. J'ai fait ce choix tout récemment, suite à quelques commentaires franchement insultants et bas. Je ne demande à personne d'être en accord avec mes propos et même, je comprends bien cela, mais je n'ai pas ouvert ma porte pour qu'on y vienne déverser sa poubelle... Ceci pour vous expliquer, cher Solko, que votre premier commentaire n'a pas paru immédiatement. Il paraît donc avec le second. Pour les paysages, il y a longtemps pourtant que je traverse les mêmes, mais il est très récent que je les voie vraiment. Si la littérature entre pour quelque chose là-dedans, c'est à mon insu... (Néanmoins, je disais cet après-midi chez Tang que certains paysages d'Hemingway m'avaient profondément touché...) Je vous souhaite le bonsoir.

  • Passez un bon soir de Noêl. A bientôt.

  • Pascal je vous embrasse très très fort. Bonne soirée.

  • Messire Pascal je vous souhaite un Noël consolateur sur ces terres désolées... J'ai lu votre billet ce matin, le commenter serait long alors je ne dirai pour l'instant qu'une chose: c'est très bien.

    A très bientôt (ayant l'assentiment d'une personne de confiance je vous envoie bientôt quelque chose, à vous et Sophie, je pensais avoir à retravailler bcp mon texte...)

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