Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Fusées - Page 52

  • Verbes anciens

    D’abord deux anecdotes, d’ampleurs diverses certes, mais d’une convergence certaine…

     

    1. Le PDG du Bronzeculand France, première puissance touristique planétaire (tremblez, mortels !), un dénommé Mickey Grenelle, époux d’une chanteuse comique (aphone ?), a annoncé, il y a quelque temps déjà, sa volonté de faire disparaître la publicité des chaînes de télévision du service public, dans le but, croit-il – à moins qu’il ne feigne (du verbe feindre), car le bonhomme est roué –, d’améliorer la qualité des émissions.

    C’est tout bonnement crétin.

    Cet homme ne dispose d’aucun moyen concret, institutionnel ou intellectuel, permettant de relever le niveau, effectivement extrêmement bas, des émissions télévisuelles, de service public ou pas.

    Pourquoi ? Parce que le seul moyen de faire une chose pareille demanderait un programme sur cinquante ou soixante ans ; c’est-à-dire sur un temps correspondant à deux générations. Or, le personnel touristico-pipolitique, dans notre belle démocratie à plan quinquenno-électoral intégré, ne dispose pas des moyens, institutionnels et intellectuels, de penser à cette distance.

    C’est en somme ce qui nous différencie des autocraties (pensons à l’URSS hier, à la Chine aujourd’hui) ; et pour cette fois du moins, il n’y a aucune gloire à tirer d’une telle différence.

    Mais surtout parce que le seul moyen concret de relever le niveau, à la télévision comme ailleurs, tient à la transmission des connaissances, c’est-à-dire, pour l’heure, à ce qu’on appelle encore, par ironie ou par simple oxymore, je ne sais, l’Education Nationale (laquelle sous ce nom ou sous le précédent fut quelque temps la colonne vertébrale de la République).

    Le seul moyen de relever le niveau est d’ « élever », au sens propre, je veux dire : d’élever au-dessus de soi, la génération qui vient. Or nous sommes, et ce n’est rien de le dire, sur la « pente descendante ».

    La suppression des publicités, si connes soient-elles, et elles le sont d’évidence, n’y changera rien du tout. Cela ne fera rien (sauf sans doute faire monter le prix de la seconde de pub sur les chaînes privées, ce qui est peut-être le but, à moins que ce ne soit un « bénéfice secondaire », comme disent parfois nos amis les psys qui sont, eux, comme chacun sait depuis Freud, économistes jusque dans la libido. Un autre de ces « bénéfices » pourrait être l’intrusion, discrète d’abord, puis affichée, des publicités dans les émissions mêmes, ce qui, me souffle-t-on, est déjà fait, celles-ci ne servant plus guère qu’à assurer la « promotion » de bidules idiots et autres machins stupides : sérieusement, il ne fait que ça, Ruquier, par exemple).

    En attendant, ce sont les fournisseurs d’accès aux technologies internet qui seront taxés pour compenser le manque-à-gagner dudit service public; lesquels, en bonne logique ou à peu près, répercuteront la taxe, sinon plus, sur leur clientèle.

    Bref, cette question de la qualité évacuée, la chose se résume ainsi : Blague et redevance à part, nous regardions gratuitement des pubs, il nous faudra payer pour ne plus les voir. A moins, bien sûr, que nous ne changions de chaîne…

     

    2. « Le maux de tête lui arracha quelques plaines. »

    Le maux de tête. Parfaitement. Et quelques plaines.

    Non, non, ce n’est pas du surréalisme. Ou plutôt si, c’en est. Du plus moisi. Du surréalisme d’institution, bien sûr. Pour ne pas dire d’Etat.

    J’ai moi-même construit cette phrase débile en m’appuyant sur les dernières avancées du pédagogisme de pointe.

    Car, voyez-vous, j’ai lu récemment, dans ce qu’on appelle le Cahier de liaison d’une petite fille de CP, ce mot révolutionnaire signé d’un professeur des écoles qui part en retraite à Noël, lequel professeur se trouve être une dame (ce qui n’a rien à voir en soi, mais c’était juste pour le plaisir d’écrire le mot professeur au masculin quand même) :

    « XXX s’est plain d’un maux de tête. »

    Je n’aurais, je crois, poussé qu’un léger soupir si j’avais lu que la petite XXX s’était « plainte d’un mal de tête » ; j’aurais peut-être grommelé quand même un « au point où on en est… », et serais passé à autre chose.

    Mais le cumul m’a tout bonnement sidéré. Et je suis resté coi. Sidéré. Scié, quoi.

    Bref, on peut retirer les pubs tant qu’on veut, avec des gens de cette qualité-là pour opérer la transmission des connaissances, si vous voulez mon humble avis, on n’est pas arrivé…

    On ferait mieux de retirer carrément toutes les émissions.

    Voilà pour les anecdotes.

     

    J’ai donc décidé ce soir d’écrire ce billet pour me venger. Ce qui est inutile autant qu’idiot, je le sais bien. Je vais le faire tout de même, en tentant d’être positif (si, si). Et de finir ce billet par quelque chose, pour autant que j’en sois capable, de beau.

    Après tout le beau, comme le vrai, d’ailleurs, n’a pas de verbe.

    On ne beaute pas.

    Pas davantage on ne vérite ni ne vraite.

    Le bien, lui, dispose d’un verbe (mais si, voyons, faites un effort).

    On bénit.

    Ce qui ne fait pas tant laïque (quoique la République ne manque pas, ces temps-ci, de culs-bénis, justement).

    Je vais donc vous entretenir, brièvement, de deux verbes anciens.

     

    La souffrance a un verbe, mais pas la douleur.

    La douleur l’a perdu (a-t-elle eu la douleur de le perdre ?).

    C’était le verbe se douloir.

    Lequel se conjuguait comme vouloir ou pouvoir.

    Ce qui faisait donc, au présent de l’indicatif :

    Je me deux,

    Tu te deux,

    Il se deut…

    Ce qui est assez beau, je trouve.

    Après que le verbe se douloir a disparu, et avec lui son limpide je me deux, il n’est plus resté qu’aux psychiatres, pour compenser (et parfois décompenser), d’inventer la schizophrénie.

     

    L’autre est le verbe faillir, qui n’a certes pas disparu tout entier, mais dont une grande part de la conjugaison, même aux temps les plus simples, a sombré.

    (J’écris ces lignes alors que, si l’on en croit les gens qui le disent, la faillite nous guette.)

    Il faisait au présent de l’indicatif :

    Je faux,

    Tu faux,

    Il faut…

    Troisième personne du singulier recoupant exactement celle du verbe falloir.

    J’y vois comme la marque d’une fatalité…

     

    Je ne vérite ni ne vraite.

    Mais je faux.

     

     

     

     

  • Tragédie, farce (2), par Stéphanie M.

    L'acte I est ici.

     

    ACTE II

     

     

    3. An’ now, the clownes

     

    ANNONCE : Dans cet exercice, aucun animal humain n’a été maltraité. Si c’est possible.

     

    ELLE. – J’aime ta peau.

    LUI.  – Qu’est-ce que j’y peux ?

    ELLE.  – Tu sais… je ne pensais pas que tu viendrais, cette nuit.

    LUI. – Mon ordinateur est en panne.

    ELLE. – Tu es gonflé…

    LUI – Suce.

     

     

    4. Commentaires

     

    Ici, c’est moi qui parle :

     

    TOUT SE PAIE, même ces salopes de phrases se paient, elles sont d’abord une question de rapport, TOUT EST TOUJOURS A PAYER et la gratuité même se paie plus cher que tout le reste, TOUT EST PAIEMENT, tout se paie socialement et tout se paie physiquement, tout se paie à chaque instant, ces phrases se paient socialement et se paient physiquement, mais aussi il faut bien que TOUT PAIE éternellement

     

    la douleur & la joie paient et se paient, NOUS SOMMES DE LA MONNAIE et nous sommes virtuels, NOUS SOMMES VIRTUELS et nous sommes de la monnaie, nos corps sont de la monnaie, face et revers, RIEN NE SE PAIE ni ne s’échange ni ne se monnaie car ETERNELLEMENT TOUT PAIE, le rapport de tout à tout n’est peut-être pas seulement une question de rapport, pas d’abord non une question de rapport, TOUT CE QUI EST ICI-BAS PAIE pour être racheté, tout paie en douleur & joie et il le faut, car nous sommes avant tout VIF ARGENT, argent vif, nos corps mêmes –

     

    ET IL NE RESTE ICI AUCUN RESTE NI NE DEMEURE ICI AUCUNE DEMEURE – non ? Ou : qu’est donc, donc, ce que j’écris ?

     

    Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon père.

     

    ce qu’il faut connaître c’est que nous sommes déjà rachetés, par avance rachetés et que c’est CELA précisément que nous PAYONS, nos phrases sont de la monnaie de singe, de la monnaie de singe, car nos paroles d’animaux humains n’offrent aucun accès au VERBE, les singes n’ont pas accès au Verbe et c’est enfin JUSTICE –    

     

    Je suis bien trop bavarde. Même nos amours sont faméliques.

     

     

    5. Conte dans le conte

     

    ELLE. – Tu t’endors ?

    LUI. – Mais non…

    ELLE. – Mais si, rigolo, tu t’endors…

    LUI. – Mais oui, bon…

    ELLE. – Dors, mon amour… Pas très loin de la mer, là où commence le désert, pas très loin de la mer, là où pourtant elle n’est plus visible, là où le désert déjà s’étend à perte de vue, et là pourtant où souffle encore une brise marine, là donc, à la tombée du jour, le vieil homme posa soudain son arme, les quelques voyageurs épuisés qui le suivaient s’arrêtèrent, surpris sans doute par ce geste que rien ne semblait avoir préparé, le vieil homme posa son arme, il la laissa tomber mollement sans bruit dans le sable, ceux qui le suivaient ne dirent rien, trop surpris pour parler, surpris sans doute que le vieil homme, malgré dans l’air la proximité sensible de la mer, ne les y mène pas avant que la nuit soit descendue sur la terre, et avec elle le froid redoutable du désert, mais donc les voyageurs se turent, ils avaient grande reconnaissance à leur guide de les avoir menés jusqu’à la mer, presque jusqu’à la mer dont on sentait dans l’air la proximité, et le vieil homme dit : - Asseyez-vous, car je vais vous raconter une histoire. C’est une longue histoire et il ne faudra pas vous endormir tandis que je la raconterai, car celui qui s’endort pendant ce récit ne se réveillera jamais. Chacun s’assit donc, se promettant de ne pas sombrer, y veillant d’autant plus qu’ils étaient épuisés d’un long voyage, chacun s’assit et l’homme commença de raconter l’histoire, mais l’histoire était dans une langue que les voyageurs ne parlaient ni ne comprenaient, et l’histoire était longue et le vieil homme parlait doucement, la nuit et le froid ensemble étaient descendus et l’histoire était longue et les voyageurs l’un après l’autre tombèrent mollement et sans bruit dans le sable, tandis que des larmes roulaient sur les joues du vieil homme qui parlait. 

    LUI. – …J’ai dormi, non ?

    ELLE. – Je ne sais pas trop.

    LUI. – J’ai rêvé, ou tu m’as raconté une histoire ?

    ELLE. – Quelle importance ?…

    LUI. – Dis-le, si tu l’as fait, que tu m’as raconté une histoire…

    ELLE. – Oui.

    LUI. – Quelle histoire, alors ?

    ELLE. – Eh bien, justement, je ne le sais pas bien moi-même…

    LUI. – Tu ne le sais pas ?… Moi non plus, je ne me souviens pas.

    ELLE. – Tu as rêvé ?

    LUI. – Je dormais dans le sable. Possible ?

    ELLE. – Possible. C’était comment ?

    LUI. – Ce n’était pas.

     

     

    6. Commentaire

     

    MOI. – Je parlerai de l’érotique de la plus grande distance, de l’intégration de la conquête à l’immobilité, je parlerai de la victoire sur tout et de l’absolue défaite des illusions. Je dirai que je ne fais rien et je ne dirai pas comment je ne fais rien. Je parlerai de l’ignition simultanée de tous les temps et de la balistique terminale de l’amour. Et je ne dirai rien de toi, parce qu’il est insensé de parler de toi. J’écrirai les dialogues derniers, pas vraiment ultimes, de ces amours écrevées trempées aux flots sanglants de la matière. Je ne dirai pas la vérité car elle ne peut pas l’être en mots, mais inversement j’écrirai ces dialogues de qui je ne suis pas. Et peut-être à qui sait lire cela fera-t-il signe. Je l’espère sans l’attendre. Et baigné de larmes je ris à genoux, devenu toi et tourné vers ta Face. Au cœur de la métropole concentrationnaire, je suis un corps abandonné à la terreur biopolitique de nos démocraties. Dans cette vie, qui est l’ombre d’une absence, je tiens des propos attendus et très originaux, je prends courageusement parti entre d’identiques illusions, je fais ce qu’il faut comme n’étant pas là vraiment, je suis exceptionnelle dans un monde où tout fait exception ; gris sur gris, indifférent, banal, je suis comme tout le monde le meilleur citoyen, jusqu’à la gueule chargé d’anonymat narcissiste, oui vraiment, je suis comme tout le monde le citoyen le mieux intégré de mon CAMP. – MAIS TOUT CECI EST FAUX, TOUT CET EXCEPTIONNEL ET PERMANENT DEPLOIEMENT DE TERREUR CONCENTRATIONNAIRE-DEMOCRATIQUE EST SEULEMENT LE NOUVEAU PARADIGME DE LA VIE FAUSSE. La plus grande distance, dont je parlerai, n’est pas seulement érotique, elle est surtout arme de guerre, et arme absolue. Ainsi qu’énigmatiquement l’annonce tout le temps long et déjà suspendu, détermination calme et lente, de la préparation à cet acte d’amour infiniment supérieur, le vrai Visage du Tueur à l’instant de froidement tuer est voilé par ce ruissellement torrentiel, invisible de toutes les Larmes de la Miséricorde éternelle. Qui n’accède pas immédiatement à cette vision de la Justice n’est pas digne de porter une arme, de lire un livre. OK ?    

     

    WELCOME TO OUR DEMOCRATION CAMP –

     

    Sérieusement. J’ai fait semblant d’aimer ce type. Je me suis fait croire à l’amour. Il avait perdu son gosse et moi, j’ai adopté un cadavre. Pas un fantôme, un cadavre. Je suis une gonzesse romantique. L’enfant, bien sûr, était parfait. Le mec, supportable. J’ai joui plusieurs fois du cadavre de ce gosse jamais vu, que ramenait dans moi ce mec.

     

     

    7. Fin

     

    ELLE. – Je t’aime.

    LUI. – Tu n’as jamais l’impression, toi, de vivre dans un film ?

    ELLE. – Si. Donne-moi une cigarette… Mais la tragédie aussi est un divertissement.

    LUI. – I know what you mean.

    ELLE. – Whisky ?

    LUI. – Please, my love.

    ELLE. – Entertainment is tragic because we can’t live without it and because within... we just don’t live. Nevermind, that’s funny...

    LUI. – That’s life. Cheers !

    ELLE. – OK ?

    LUI. – OK...  Merde, le divertissement me divertit, c’est entendu. De mon point de vue certes, c’est un divertissement… Seulement voilà, ce divertissement, de quelle volonté de diversion procède-t-il ?

    ELLE. – Quoi ?

    LUI. – Une autre fois, quand je n’aurai vraiment pas moyen de faire autrement, je parlerai de la tragédie de l’absence de tragédie. Eh oui, ma petite dame, je suis chercheur en ontologie stratégique…

    ELLE. – Tu es complètement cinglé.

    LUI. – God bless you.

    ELLE. – Tu t’en vas ?

    LUI. – Ouais.

    ELLE. – Eteins la caméra, alors.

     

     

    8. Commentaire

     

    MOI. – Le temps ne s’est pas seulement rétracté jusqu’à se refermer sur nous, et bienheureusement, il impose que nous opérions maintenant à l’intérieur de lui, oh pas seulement de façon inversive, mais en incisant de sorte qu’aussi nous soyons dégagés hors de lui. J’appelle cela la Vie, et maintenant

     

    Ce que nous vivons est passionnant, réellement, parce que ce que nous vivons est une mise à mort, parce que ce que nous vivons est  LA PASSION DE L’OCCIDENT.

     

    Qui aurait le cœur de s’en plaindre ? 

     

  • Tragédie, farce (1), par Stéphanie M.

     

     

    Paul Newman Liz Taylor.jpg

    0. Préface pour plus tard

     

    C’est par pitié que j’écris. J’ECRIS PAR PITIE. Au point paradoxal de retournement du mépris. Là exactement où ce qui doit être adressé aux pitoyables est lui-même nécessairement impitoyable et prend le nom glorieux de Pitié, donc. TOUT EST A MERCY, donc.

    Je n’ai pas vraiment voulu ce qui suit, que j’avais idiotement commencé en anglais. La ville par la fenêtre, c’est un morceau cubique noir de New York (que j’ai quittée) sous un ciel bleu acier. Les personnages sont Lui, Elle, et Moi (hélas). Il y a mon histoire finie avec un homme marié, et le souvenir d’un enfant mort (le sien). Après coup, je me suis dit que j’avais pas mal instrumentalisé l’homme dans ce poème (dramatique ?). Et alors ? Qu’est-ce que vous voulez que ça me foute ?

    Ce qui est bien plus emmerdant, c’est qu’il faudra des tas de machines et du temps pour représenter ça, qui est juste du brouillon violent. Et que donc la spontanéité (fausse, trafiquée pourtant) sera partie en couilles. Et on fera passer l’obscurité pour de la profondeur. Alors que merde, c’est juste de l’obscurité. Ça s’appelle Tragédie parce qu’il n’y en a pas.

    Juste l’agonie rendue presque indolore, morphine à flux tendu.

    Novembre 2004, Stéphanie M., New York/Marseille 

     

     

    ACTE I

     

    1. Linteau (Dans la ténèbre)

     

    LUI. – Au cas où ce ne serait pas clair, je lève un doigt à la poésie, à la littérature, à tous les arts, j’emmerde tous ces abrutis défenseurs de toutes les cultures subsalopes, j’érige bien haut mon médius d’honneur à l’humanisme catafalqué administrant sa charge létale rétroactive, je regrette que la Parole ne soit pas crevée et avec elle les animaux parlants en leur absolue totalité, je regrette la Création. Personne ne peut plus rien pour moi. MERCI. TROIS FOIS MERCI. En ce temps-là, je serai assis, du sable lentement coulera dont mes mains impuissantes n’ont retenu nulle sensation, et le petit garçon vint à moi, viendra encore, disant : « Père, je suis un soldat, je fais ce que tu veux, je suis ce que tu veux. » Je le regardai longuement ET infiniment, m’entendant dire enfin : « JE NE PEUX RIEN TE DEMANDER. » Ce qui nous sépare est infiniment rien, mon petit enfant mort, ô infiniment rien. Et je songeai combien l’absence est incuse. – Ce matin, dans un instant d’arrêt de tout, en regardant la toute-petite, je me suis effondré de joie, pour toujours, de joie, oui, de joie. Il y eut un soleil neuf et tout lui sera dû. Je ruisselais, mais invisiblement. OUI.

     

    ELLE. – Je suis comme les chats, mon amour, j’ai plusieurs vies ; mais je les vis toutes ensemble, délicatement. Il ne s’agit pas ici, vois-tu, d’opinions personnelles ou de choses comme ça. Au contraire. Cette époque a pilonné le langage, tellement qu’il y en a plus. Même les ruines à présent, sont détruites. Il faut tout réinventer : les mots, l’amour, les corps. On va rire.

     

     

    2. Publicité pour Tragédie (Debord et moi)

     

    A la place du film, sa description :

     

    LUI. – Gros plan sur la bouche de l’actrice. Dézoom très lent durant tout ce qui suit :

    ELLE. – J’ai été embauchée dans cette publicité pour Tragédie et on m’a dit qu’il fallait que je montre mon cul parce que je suis encore jeune et pas trop mal foutue et que, bon,  ce sont justement ces culs-là qui font vendre… Or je ne montre pas mon cul mais ma gueule parce que ma gueule, c’est ce que moi j’ai intérêt à vendre… tandis que mon cul seul, mon cul sans ma gueule quoi, qui va deviner qu’il est le cul de cette gueule-là ?…

    LUI. – Visage de l’actrice, derrière lequel peut-être on devine un miroir. Plan fixe :

    ELLE. C’est l’unité de la misère qui se cache sous ces oppositions apparentes. Chaque marchandise déterminée lutte pour elle-même, ne peut pas reconnaître les autres, prétend s’imposer partout comme si elle était la seule.

    LUI. – Dézoom lent, lequel fait apparaître dans le miroir des arbres, de la verdure, du ciel… :

    ELLE. Mais bon, il faut que je vous vende ce truc-là, Tragédie… et après tout je ne vois pas quelle différence ça fait, ma gueule ou mon cul, sauf que ma gueule on voit bouger les lèvres, l’essentiel c’est que je sois payée et comme c’est encore un machin culturel à la con mon cul qui cause est subventionné par tout un tas de saloperies publiques administratives ou quoi… Ce qui dit bien ce que ça veut dire.  

    LUI. – On voit à présent le buste nu de l’actrice ainsi que, dans le miroir derrière elle, l’homme qui tient la caméra :

    ELLE. A l’acceptation béate de ce qui existe peut aussi se joindre comme une même chose la révolte purement spectaculaire : l’insatisfaction elle-même est devenue une marchandise dès que l’abondance économique s’est trouvée capable d’étendre sa production jusqu’au traitement d’une telle matière première. En concentrant en elle l’image d’un rôle possible, la vedette, représentation spectaculaire de l’homme vivant, concentre ce mouvement de banalisation qui, sous les diversions chatoyantes du spectacle, domine mondialement la société moderne.

    LUI. – On voit à présent l’actrice totalement nue, amorphe, banalement assise sur une chaise de merde et tenant un papier plié à la main :

    ELLE. Bref, pendant qu’on regarderait mon cul je devais dire quelques phrases assez simples et pas drôles avec un air pénétré, enfin je veux dire un ton ému ou un truc comme cela, une voix comme saisie par la beauté un peu plouc quand même de cette espèce de poème autobiographique qui, il faut bien le dire, est quand même vachement plus simple que le reste du bordel que mon cul était ou serait censé vous vendre… Bon, voilà le machin…

    LUI. – L’actrice déplie son papier, pivote et tourne le dos à la caméra, posant ses genoux sur le siège et ses coudes sur le haut du dossier, en clair – hypocritement et non – elle ne nous montre pas tant son cul qu’elle ne nous tourne ostensiblement le dos, et lit lentement :

     

    ELLE. – … [Le problème, c’est qu’on ne comprend pas du tout ce qu’elle dit… Alors on n’a qu’à dire ma préface, ou des bouts de ma préface.]  

     

    LUI. – L’actrice revient vers nous, et les larmes-aux-yeux. Zoom rapide jusqu’à son visage, lent jusqu’à ses yeux :

    ELLE. Rezoome un peu connard, je pleure tellement c’est émouvant. Et ça, je veux que ça se voie…

     

    LUI. – Long silence. Puis, matérialisée par quelques secondes d’écran noir, fin du film… Qui reprend aussitôt du début, mais sans le son. Voix de l’actrice, off :

     

    ELLE. L’humanisme de la marchandise prend en charge la culture et les loisirs de l’humanité et domine tout simplement ces sphères en tant qu’économie politique. Le reniement achevé de l’homme prend en charge la totalité de l’existence.

    – Achetez Tragédie.

    – Le langage de la communication s’est perdu, ainsi que l’exprime l’anéantissement de tout art.

    – C’est mon cul qui vous parle.

    – Plus l’exigence de cet art est grandiose, plus sa véritable réalisation est au-delà de lui.

    – Mon cul aime Tragédie et il vous parle de la communication de l’incommunicable.

    – Il n’y a pas d’autre monde que celui-là.

    – Débrouillez-vous avec lui.

    – On vous aime.

    La suite est ici.


     

  • Rien ce soir

     

     

    S’asseoir enfin. Regarder la page blanche verticale, virtuelle. Les possibilités sont infinies. Griller une cigarette en flânant. Ne pas bannir la fatigue. Laisser défiler les histoires et n’en choisir aucune. Hésiter, pour la musique, entre Battle Hymn of the Republic et sainte Hildegard von Bingen. Finalement demeurer en silence. Après tout, si Dieu est une idée, elle aussi doit être salopée. Comme tout le reste. Et elle l’est, elle l’est. Griller une autre cigarette. La finir. Se mettre à genoux. Remercier. Ne pas écouter la voix qui dit de foutre ces lignes dans la poubelle numérique. Quoiqu’elles ne méritent assurément rien d’autre. Les possibilités sont infinies, peut-être. Mais moi, je suis un nain. Je pense à la journée finie. Aux paroles insensées. Aux choses que j’ai vendues. Je ne pense à rien. J’évacue. Le Battle Hymn a gagné : il se siffle. Pour ainsi dire malgré moi. Ce que nous maîtrisons de nous-même est dérisoire. Même seul, je ne me tiens pas. Cette après-midi, les paroles, les blagues, ont fusé. Des réflexes. Les mots cinglent, un vide les reçoit. Petites mimétiques accumulées. Ouvrir une bouteille de vin, prendre un verre. L’horloge marque zéro heure zéro minute. Demain. Les anecdotes se pressent encore. Les raconter ? Non. Ou plus tard. Tourner ses pouces devant le clavier. Vingt minutes, à présent, que je note ça. Cherchant le repos, et ne le trouvant guère. La page blanche est un cliché ; allons, elle n’est plus blanche. Pourquoi t’infliges-tu ces notations idiotes ? Comme ça. Pour ne penser à rien. Pour effacer, autant que se peut, tout le reste, le fatras du jour. Et la colère. La bêtise me sort par les yeux. Au premier chef la mienne. Je sens mes yeux fatiguer, le corps lourd, que la position assise ne délasse pas. Le silence lave. Il toilettera ton cadavre. Je regarde les fleurs dans le vase. Dormir, maintenant. Finis ton verre, connard.

     

     

  • Cellule

    Predigerkloster Erfurt.jpg

    Retour enfin après trois mois de pérégrinations diverses au bureau, table bleu rouille de bois mal joint, papiers oubliés là au dos desquels écrire, plutôt griffonner, stylo de fortune. Une seule chaise, et pliante encore, pas de téléphone, d’ordinateur, des cartons fermés de livres au sol, pour le chauffage on attendra octobre, voire novembre. Rien que le nécessaire, ou guère plus. Un nécessaire d’Occident riche, disons. Et la lumière du jour, claire et froide, déjà presque hivernale, par la large fenêtre. Plaisir d’écrire ces pauvres lignes avec son manteau sur le dos tandis que tousse la cafetière. Amusement aussi de regarder comment le désordre peut régir si peu d’objets, feuille de papier froissée, pipes pas vidées, un verre à vodka vide et sale au sol, deux cendriers trop pleins. Repos certain à prendre ces objets banals pour paysage. Pourquoi la contemplation s’attacherait-elle à je ne sais quelles choses réputées extraordinaires ? Il y a ce qu’il y a et, littéralement, tout est là. J’ai traversé la ville plusieurs fois ce matin, à pied et en voiture, elle m’a semblé absente, une manière de désert. J’ai vu des gens pourtant, nous nous sommes parlé, rien déjà ne reste de cela, la ville bouffe la présence, la fait disparaître, elle efface, recouvre, puissance d’oubli, ou d’oblitération. Et je m’en trouve ici comme retiré, provisoirement, sensation pleine, absence autre, que n’entame pas, ou pas vraiment, mais peut-être accompagne, l’incessant passage des bus, en bas, ce manège. Avec cet effort à présent de silence, me ressouvient ce qui, dans cette matinée urbaine de rendez-vous variés, ne colle pas exclusivement au prétexte de l’utilité, de l’efficacité. Bien. Au travail.