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Theatrum Mundi - Page 88

  • Pause

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Il a cessé de courir, brutalement. Et comme les chimères qu’il courait, elles, n’ont pas cessé, elles se sont éloignées de lui le plus simplement du monde. Oh, sans doute pas pour longtemps, il le sait. S’il le pouvait, il se retirerait volontiers de la ville et de ses saloperies et il irait vivre au milieu des arbres et sous la flotte, dans une longue maison de plain-pied, en compagnie des quelques personnes qui lui font, chaque jour, l’honneur de partager sa vie. Là, par exemple, calfeutré dans le manteau du temps, il lirait chaque matin un beau morceau de Bible et prendrait le temps, après chaque déjeuner, de fumer sur son banc de très gros cigares, ouais. Et il irait à la chasse. Et tout ça. Mais il sait bien qu’il y a la réalité et qu’il ne va pas faire ça ; non plus que plaquer tout pour aller livrer je ne sais où une très probable guerre et crever en pissant le sang. Le plus certain est qu’il reste là, toujours plus écartelé par ses contradictions chéries, mais pourrissant de compromis variés, sourd de douleur, insupportable à qui l’aime et trahissant tout ce qu’il peut. Mais vous avez compris : il est déjà reparti à courir. Du coup, cette nouvelle est trop longue.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Altruisme

     

     

     

     

     

     

     

     

    Il regarda sa gueule dans le miroir et se demanda combien de fois déjà il avait vécu ça et si ça arriverait encore. C’est après seulement qu’il avait été bien écrasé par la pression énorme et lente de ce monde, et tout au bord de maintenant mourir, qu’il se sentait enfin en vie, et prêt à en découdre avec la terre entière, pas tant pour survivre que pour le plaisir enfantin, cruel de la bagarre. Puis il colla au ralenti son poing droit dans le miroir, visant le reflet de sa mâchoire, et appuyant un peu son geste vers la fin, étoila durablement cette image de lui-même. Abîmé, le miroir resta collé au mur. Il se dit que c’était là peut-être la seule œuvre d’art qu’il ferait jamais, que personne n’en pourrait rien savoir et que c’était bien mieux ainsi. Puis il pensa soudain à ce que sa femme lui dirait au soir de l’état du miroir et partit tout seul d’un bon rire. Ne fallait-il pas, après tout, que la violence demeurât son amour ?

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • La Maison de Dieu, un poème

    L’incipit, déjà, en italiques comme une didascalie, est un petit chef d’œuvre. Le voici :

     

    Le Kilimandjaro est une montagne couverte de neige, haute de 6.021 mètres, et que l’on dit être la plus haute montagne d’Afrique. La cime ouest s’appelle le « Masai Ngàje Ngài », la Maison de Dieu. Tout près de la cime ouest il y a une carcasse gelée et desséchée de léopard. Nul n’a expliqué ce que le léopard allait chercher à cette altitude.

     

    Eh bien voilà, les poètes à la ligne déjà peuvent aller se rhabiller.

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  • Je suis un phantasme

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    Formation :

    – Ne mens que lorsque c’est inutile.

    – Expliquez-moi.

    – Non.

     

    Il a mis très longtemps à comprendre.

    Et d’abord il a compris des choses fausses.

    Et ce qu’il a aujourd’hui compris ne l’est sans doute pas moins.

     

    Il a maintenant un éventail de réponses.

     

     

     

    Un ami :

    – Tu sais ce que c’est, ton problème ?

    – Non. Mais je sens que tu vas m’éclairer.

    – C’est que tu es beaucoup trop intelligent.

    – Ça, ce serait plutôt ton problème avec moi, non ?

    – Connard.

     

    Il n’aime pas le pouvoir ; et son intelligence doit demeurer inemployée.

     

     

     

    Personne ne triche autant que celui qui croit pouvoir, de ce qu’il pense de lui et de ce qu’on dit de lui, se connaître ; et devient ainsi à lui-même son phantasme, finissant même par imaginer ce qu’on eût dit, en son absence, de lui. Combien de romans ?

     

     

     

    En son absence, donc :

    – C’est un garçon auquel il n’est pas difficile de comprendre l’adversaire.

    Le nombre de nos motivations est extrêmement limité.

    – Demandez-lui d’écrire des rapports, alors.

    – Nous l’avons fait. Ils sont très simples. Mais nous les lisons mal.

    – Et dans l’action ?

    – Ou il désarme l’adversaire comme on retire à un enfant son jouet ; ou il prend toute la charge pleine gueule.

    – Et dans le second cas ?

    – Eh bien, il s’en fout.

    – Il s’en fout vraiment, ou bien est-ce affecté ?

    – Je ne sais pas.

    – De toute façon, ça revient au même.

    – Oui.

    – Bloquez-le dans des tâches subalternes. Humiliez-le doucement.

     

    Ceci est un autoportrait triché.

     

    Par exemple, il ne contient pas de dialogue avec des femmes.

    J’ai déjà donné.

     

     

     

     

     

     

     

  • The Tartuffe reloaded

    Quel qu’il soit finalement, ce texte fait suite, d’une façon ou d’une autre, à :

    Mauvaise paix

    Sur Mauvaise paix

     

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    Quand je me suis levé, tu dormais. J’ai regardé ton visage dans la pénombre ; l’enfance et la mort s’y lisaient tout ensemble. Souffle ténu de ta respiration. En me rasant, dans la salle de bain, j’ai eu l’impression de faire une chose civilisée. Peut-être la seule au fond que je ferai ce jour. Face au miroir. Je suis repassé dans la chambre. Prendre une chemise. Au lieu de sortir, je me suis assis au bord du lit et j’ai passé ma main dans tes cheveux. Tu as murmuré quelque chose, mais je n’ai pas compris et n’ai rien répondu. Quand j’ai fermé la porte de l’appartement, ton réveil s’est mis à sonner. Dans la rue, en direction du café, la première cigarette aux lèvres sous le crachin qui tombait, je me suis amusé de fredonner « comme d’habitude ».

    Je ne devrais vraiment pas donner à lire un tel texte, qui n’est ni vraiment fini ni vraiment commencé. Sans compter que ce qu’il dit me déplaît fortement, y compris sa mauvaise évocation de Bloy et de son Saint-Esprit, sur la fin.

    Mon idée de départ était de glisser dans le corps même de ce texte aussi abstrait que malhabile, en italiques, des phrases concernant un couple et son intimité. Pour émouvoir un peu, aussi – je suis vraiment une saloperie. Pour teinter l’ensemble d’un côté cut-up à la fois très moderne – mais les modes passent – et très ringard. Puis j’ai abandonné l’idée. Quand je me suis aperçu que ce texte-là, avec ce qu’il trimbale de politique, pourrait aussi s’appeler Mauvaise paix ou même Accélérer la catastrophe… Toujours les mêmes titres. Même si je suis finalement capable d’angliciser la chose, hésitant encore entre Happening et Coming soon. Pensant même à The Tartuffe reloaded.

    C’est encore un texte sur le théâtre, finalement. L’hypocrite, après tout, étymologiquement, c’est le comédien. Je trouve d’ailleurs amusant de penser que, puisque vous avez fatalement lu son titre, vous qui lisez ce texte en savez plus que moi qui l’écris. Et quoi ? Il y a un problème avec le temps, non ?

    Peu importe. Voici le texte.

     

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