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The Tartuffe reloaded

Quel qu’il soit finalement, ce texte fait suite, d’une façon ou d’une autre, à :

Mauvaise paix

Sur Mauvaise paix

 

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Quand je me suis levé, tu dormais. J’ai regardé ton visage dans la pénombre ; l’enfance et la mort s’y lisaient tout ensemble. Souffle ténu de ta respiration. En me rasant, dans la salle de bain, j’ai eu l’impression de faire une chose civilisée. Peut-être la seule au fond que je ferai ce jour. Face au miroir. Je suis repassé dans la chambre. Prendre une chemise. Au lieu de sortir, je me suis assis au bord du lit et j’ai passé ma main dans tes cheveux. Tu as murmuré quelque chose, mais je n’ai pas compris et n’ai rien répondu. Quand j’ai fermé la porte de l’appartement, ton réveil s’est mis à sonner. Dans la rue, en direction du café, la première cigarette aux lèvres sous le crachin qui tombait, je me suis amusé de fredonner « comme d’habitude ».

Je ne devrais vraiment pas donner à lire un tel texte, qui n’est ni vraiment fini ni vraiment commencé. Sans compter que ce qu’il dit me déplaît fortement, y compris sa mauvaise évocation de Bloy et de son Saint-Esprit, sur la fin.

Mon idée de départ était de glisser dans le corps même de ce texte aussi abstrait que malhabile, en italiques, des phrases concernant un couple et son intimité. Pour émouvoir un peu, aussi – je suis vraiment une saloperie. Pour teinter l’ensemble d’un côté cut-up à la fois très moderne – mais les modes passent – et très ringard. Puis j’ai abandonné l’idée. Quand je me suis aperçu que ce texte-là, avec ce qu’il trimbale de politique, pourrait aussi s’appeler Mauvaise paix ou même Accélérer la catastrophe… Toujours les mêmes titres. Même si je suis finalement capable d’angliciser la chose, hésitant encore entre Happening et Coming soon. Pensant même à The Tartuffe reloaded.

C’est encore un texte sur le théâtre, finalement. L’hypocrite, après tout, étymologiquement, c’est le comédien. Je trouve d’ailleurs amusant de penser que, puisque vous avez fatalement lu son titre, vous qui lisez ce texte en savez plus que moi qui l’écris. Et quoi ? Il y a un problème avec le temps, non ?

Peu importe. Voici le texte.

 

 

 

MAUVAISE PAIX II

 

 

 

Je crains la chose même que j’espère ; j’espère la chose même que je crains ; et elle est déjà là. Je n’ai jamais bien compris ce que d’aucuns jadis nommaient destin ; je me contente d’aimer l’humour noir.

Sitôt qu’elle est utilisée pour prévaloir contre la raison et se substituer à elle, la sincérité devient l’arme ultime des faibles et le premier argument des lâches : déjà elle a cessé d’être légitime émotion pour devenir discours se défaussant d’être discours ; de sorte qu’une société la promouvant en justification de tout et de n’importe quoi ne fait qu’hypocritement publier sinon l’amour du moins l’ardent désir qu’elle a de son effondrement.

Cette hypocrisie nouvelle n’est plus circonscrite ni sacrée mais au contraire envahit et nivelle le champ social tout entier au nom même de ce qui prétend l’éradiquer. L’hypocrisie était le meilleur rempart possible contre elle-même ; il lui fallait une scène et cette scène la circonscrivait, la séparait du reste du monde, et la séparant, la sacrait.

Il a levé le nez de son café et il l’a regardée. Puis il a prononcé, assez lentement, la phrase qui s’était formée dans son cerveau. Et il l’a regardée la recevoir. Et, pour ainsi dire, il a vu la phrase exploser dans sa tête. Il a regardé ses yeux s’embuer et admiré l’effort qu’elle faisait pour retenir les larmes. Puis il a repris, par gentillesse, la conversation anodine qu’ils tenaient jusque là.

Où l’hypocrite ancien n’en pensait pas moins, selon une formule rarement ouïe et finalement éclatante d’humilité, le sincère se dispense sans vergogne de penser et mieux, s’autorise incessamment de parler, n’importe où et n’importe comment, arguant de sa sincérité de parvenu nivelé pour bousiller d’immémoriales cathédrales de raison.

Nul ne peut plus même tenter de parler en majesté sur le théâtre du monde – la scène est abolie, acteurs et spectateurs grouillent confusément au parterre comme dans une gare les voyageurs par temps de grève, avec des mouvement de foule de plus en plus violents à mesure que l’on comprend qu’aucun train ne viendra plus ni tout à l’heure ni demain – sans immédiatement provoquer les hoquets, les rires et les quolibets de masses aigries, confusément haineuses, dépourvues de tout respect, et qui bientôt par agglutinements, par paquets, par tas, s’étriperont copieusement. 

C’est bien plus tard qu’il a compris qu’il s’était aussi fait mal. Mais il a bien failli, une fois encore, ne pas s’en apercevoir. – Mais elle, tu l’aimes ? C’est le genre de questions auxquelles, sincèrement, il n’a jamais eu de réponse. Du coup, il a plutôt tendance à dire oui. Pour avoir la paix.

Car le respect lui-même de qui écoutait silencieusement l’hypocrite était hypocrisie en retour – à basse intensité. Le monde était civilisé. Au lieu que maintenant il n’y a plus rien même à y profaner ; et plus rien non plus que soi-même à défendre, si l’on parvient à trouver une motivation à cela.

J’attends les barbares et le Saint-Esprit comme un seul évènement ; et il est déjà là. Je sais que mes armes sont dérisoires et que, lorsque la grande division aura manifesté son retour, je ne serai pas du bon côté. Mais cela n’a aucune espèce d’importance.

 

Commentaires

  • Il me faut le décodeur là.
    Pardonnez-moi. Mais je ne suis qu'une femme avec une petite cervelle...

    Me suis régalée avec votre "Rentrée littéraire" du 26.9.2008!
    J'adhère totalement (sauf pour Annie Ernaux, Les Années). Ben oui, personne n'est parfait.

  • Ambre. Ligne 1 : Fabriquez-le. Ligne 2 : Pléonasme ? (dans votre esprit, veux-je dire.) Ligne 3 : Merci. Ligne 4 : Voir ligne 2 (?)

  • Ah ah!
    Tout cela est en accord avec le thème de l'Absurde que j'écoute en ce moment...
    (Mais vous avez la "gentillesse", non la délicatesse de me répondre)

  • la "gentillesse", non (virgule), la délicatesse...

    P.S.- Je continuerai de vous lire, mais m'abstiendrai de commenter, quitte à me mordre les doigts;-)

  • Oh, désolé, Ambre, j'ai dû mal régler le volume de mes plaisanteries, ce matin.

  • Les cosaques, hein ?

Les commentaires sont fermés.