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Theatrum Mundi - Page 81

  • Catastrophe, de Samuel Beckett

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    Il y a longtemps maintenant que j’entends de prétendus créateurs, interprètes incultes tombés en mégalomanie d’autant plus facilement que l’institution a fait de cette mégalomanie une de ses nécessités objectives, se plaindre que Samuel Beckett aie rendu impératives ses didascalies ; à lire ce très bref chef d’œuvre, dix petites pages, qu’est Catastrophe, on comprend à quel point son écriture même justifie – et elle seule, par-delà les arguties juridiques, le peut au fond – cette décision radicale qui doit demeurer incompréhensible à pléthore d’artistes illettrés ignorant l’être. Ceux mêmes d’entres ces créateurs en peau de lapin qui, tout en pestant contre je ne sais quel sectarisme, montent néanmoins les textes de Beckett ne résistent que très rarement, sauf pour les œuvres de taille standard comme En attendant Godot ou Oh les beaux jours, à l’idée de grouper plusieurs dramaticules afin de produire un spectacle d’une durée commercialement exploitable ; l’idée ne leur vient pas, peut-être, que chacun de ces dramaticules est en lui-même une œuvre, et que sa brièveté aussi ressortit d’une réelle volonté esthétique.

     

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  • 23. Génie imbécile

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Cet homme voulut inventer une nouvelle forme de la distance, qu’il serait capable de conserver au cœur même de la tâche la plus ingrate.

     

    Ce que sa femme attendait de lui, finalement, ne devait pas être décemment nommé ; de ne pouvoir l’être qu’en d’anachroniques termes de chevalerie qui l’eussent elle-même irritée.

     

    Seul le silence alors pourrait leur épargner ce double ridicule de la situation présente, selon lui, et de la pensée désuète, selon elle.

     

    Il se disait qu’il devait – mais à qui ? – être le protecteur silencieux de leur égalité affichée, et que leur commun silence là-dessus lierait plus fortement encore ces deux fictions contraires.

     

    Il se tut donc, et la laissa parler de tout et rien.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • 18. Faiblesse

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Il lui semblait pourtant logique qu’une société qui affecte au désir et à la consommation une valeur seulement positive ne puisse finalement que détruire ses propres structures et institutions ; que les sujets d’une telle société soient toujours plus désarrimés de la raison, malades, et non seulement malades mais enorgueillis à l’extrême de cette maladie qui les verrait bientôt abolir en son nom toute discrimination entre eux-mêmes et les choses. C’est toute une société qui demande à disparaître, et jouit de disparaître. Elle disparaîtra donc. Par violence ou par ruse, elle sera remplacée par une autre, sûre de ses lois et de ses châtiments, et qui ne paraîtra archaïque qu’à ces affaiblis-là, dont il était. Et il se demanda pour qui il travaillait réellement. Et la réponse le fit franchement marrer.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Une carte à jouer

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    La catastrophe avance. Elle fond sur nous. Cela est plus précis qu’une science. Le futur vient s’impacter sur le présent. Pour tenir ces propos, il faut supposer certaine la catastrophe. Mieux, il la faut souhaiter, quoi qu’elle ne soit pas aimable. Cette catastrophe-là, plus souhaitée que souhaitable, ne nous laverait-elle pas, ne nous purifierait-elle pas à jamais, fût-ce par le feu ? Et de quoi nous pourrait-elle laver, sinon de cette autre catastrophe, étrangement plus incertaine à nos yeux, que nous-même, maintenant, sommes. Nous pouvons donc nous laver les mains des affaires de ce monde ; ne faut-il pas que la victime soit présentable, parée pour son sacrificateur, immaculée ? Tout tremblant déjà d’un effroi délicieux, nous nous rêvons à peu de frais bouc émissaire, agneau, saint ou même christ. Mais c’est pure lâcheté. D’ailleurs si la catastrophe ne daigne pas venir de notre vivant, elle finira bien quelque jour par venir égorger nos enfants. Le futur antérieur, quelque postérité délirante, nous donnera raison. Les bigots de la catastrophe à venir sont des lâches. Car elle est déjà là, et nous la sommes. Un peu de courage, quitte à se dégueulasser carrément, nous conduirait à nous-même accélérer, amplifier encore, mais maintenant, cette catastrophe que donc, sans aucun doute, nous sommes. Se tenir droit dans son tort. Carnage et fatigue. Seigneur.