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Theatrum Mundi - Page 132

  • Virginie T., qualité essentielle (2)

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    Eloignons-nous encore de notre point de départ.

     

    Les grandes matriarchies supposées de Bachofen (Le Droit maternel), dont Klossowski prétend que la conception « reste toujours valable sur le plan fondamental de l’inconscient collectif » (Origines cultuelles et mythiques d’un certain comportement des dames romaines), afin de défaire toute prétention à la paternité, prostituaient les vierges en une cérémonie cultuelle leur permettant de s’identifier aux divinités telluriques…

    Si l’on considère que la biologisation de la fonction paternelle, sa traçabilité par l’ADN, qui parut à la Justice française valoir que l’on exhumât Yves Montand, par exemple, est une façon encore d’évacuer la Parole au profit de la Science ; si l’on considère que la biologisation de la fonction paternelle est en somme une façon encore de démolir le Père, lequel, toujours « incertain » n’existait que sur la parole de la mère, « certaine » ; si d’autre part l’on considère l’idéologie moderne confiant aux femmes, et surtout à elles seules, la gestion biotechnologique et « médicale » de la fécondité et de la reproduction – contraception et avortement inclus ; si l’on considère le déluge pornographique, hérité de ces libérations et libéralisations tant vantées, comme un incitation à vivre sa sexualité comme une boucherie (Pierre Legendre n’hésite pas à définir l’hitlérisme comme « une conception bouchère de l’histoire » et je ne suis personnellement pas éloigné de penser que l’hitlérisme, que je préfère nommer ici post-nazisme, ait gagné le cœur même de nos sociétés qui, comiquement, ne le savent pas du tout et, traquant partout le retour de la Bête, ne traquent jamais que leur ombre – le chasseur qui est aussi la proie ne diffère in fine son suicide que par le fait de traquer son ombre propre…), incitation visant l’obligation, le passage obligé ; si l’on considère que la laïcisation du mariage – le mariage républicain n’étant que le mariage religieux dépouillé du sacrement et partant, du sacré – tourne à sa pure et simple contractualisation libérale proposant des modèles de contrats pouvant être rompus et renoués à volonté, alors il faut bien admettre que nous nous approchons grandement, avec certes notre propre façon moderne et scientiste, de ces matriarchies supposées, et de leur mode de passage rituel. J’aurais tendance à penser, comme je l’ai dit dans la première partie de ce billet, que la fonction réelle (quoique par réelle, je ne veuille aucunement dire : voulue, ou consciente) des établissements scolaires est de permettre cette initiation (1).  

    Le tout bien sûr est emballé à l’amour, lequel est une invention conceptuelle typiquement occidentale du XII° siècle. Invention essentiellement féminine : une proportion non négligeable d’hommes jeunes étant partie en guerre (les Croisades, par exemple), les femmes purent imposer le mode de discours qui leur convenait le mieux, etc. Ce fut l’amour courtois, qui leur fit d’un coup atteindre les hautes sphères – il faudrait voir comment Dante, jusqu’en son Paradis, sacrifie, mais formellement, à cette nouveauté-là et finalement la récupère à son profit –, et le commencement de leur idéalisation et de leur divinisation, lesquelles ont leur tribut réel, je viens de l’évoquer, dans une forme singulière de prostitution visant à évacuer la fonction paternelle. Car le Père est une fiction ; on ne rencontre d’un point de vue technique d’abord que des fils et des filles, puis des mères. Le Père, comme fiction, est un ouvrage de la Parole ; et c’est cette Parole d’abord qu’il convient d’attaquer. Qui ne voit que le père moderne devra toujours davantage tenir sa légitimité d’un critère biologique sur lequel il ne devrait pas être trop compliqué de greffer un virement bancaire automatique, par exemple ; quitte à ce que ce post-père-là monnaie son absence, comblant ainsi perversement ce manque fondamental par lequel il était, et donc disparaissant. Ce qui revient ni plus ni moins à lever un impôt, impôt d’étrange facture, je le concède volontiers.

    Et si l’amour ne servait qu’à cela ? A faire payer.

     

     

     

     

     

    (1) Je n’insiste pas ici, faute de temps, et de courage, sur la dimension paganiste ou néopaganiste de ceci. On pourra néanmoins lire cette ébauche.

     

     

     

    (A suivre…)

     

     

  • Le Commandement de la Machine (1)

    Dans la nuit du 25 décembre 2004, j’ai fait disparaître dans la poubelle numérique de mon précédent ordinateur un texte assez volumineux, environ trois cents pages, qui me paraissait alors impossible à achever et mettre en ordre, et m’avait coûté deux ans de travail, intitulé : Le Commandement de la Machine. Et j’ai commencé, à partir du bref dialogue qui alors le terminait formellement, d’écrire Tout faut.

    Avant de le jeter, j’ai sélectionné dans les paragraphes numérotés, un certain nombre d’entre eux, que je donnerai en cinq livraisons sur Theatrum mundi.

     

    *

     

    Première série de coupes :

     

    1. Ecoutez, hommes accumulés, bande d’humus, strates d’engrais, terreau de l’advenue terminale, écoutez, agencements quelconques de poussière et buée, écoutez et jusqu’à la plus ultime dépossession rendez à la Machine ce qui appartient à la Machine.

     

    48. Pour le reste, c’est la guerre, donc. La Machine déploie ses pions. Les intérêts de la Machine ne sont ceux d’aucun homme, d’aucune société humaine, d’aucune civilisation. A ce niveau, toutes les hybridations seront tentées, sans égard pour les pertes.

     

    81. L’occidenté cause énormément de l’amour, qu’il ne connaît pas, ne pouvant rien connaître ; jusqu’à ce que cet amour, peut-être, devienne le terme générique nommant son délire, le cauchemar dont il ne peut s’éveiller – parce qu’il ne dort pas, ne sachant pas dormir.

     

    135. Ce que l’occidenté, donc, nomme amour n’a d’existence que sociale, n’est rien d’autre qu’un rapport où la qualité est une propriété de la quantité – son prix le plus inaccessible. Et cela même l’occidenté ne le voit pas parce qu’il a fait de l’amour la marchandise suprême, sacrée, la marchandise qui ne paraît pas pour une marchandise. Ce que l’occidenté nomme amour, c’est le marché ; et ce qu’il nomme autrui, c’est l’argent. On ne met rien sur le marché, parce que tout y est déjà. L’enfant qui naît, il naît sur le marché.

     

    218. Les truqueurs de la morale, ces nouveaux gentils, ont construit leur surplomb et les degrés qui y mènent dans le plomb même de cette matière qu’ils prétendent, donc, surplomber. Quelque illusion qu’ils donnent à la masse qu’ils ont à charge d’électriser, quelque illusion aussi qu’ils croient vivre pour eux-mêmes, il n’auront bâti qu’un temple dans le temps, pour la satisfaction des idolâtres dont ils sont la fraction avancée et non pas séparée, et ils ne peuvent conséquemment que retarder encore son inexorable effondrement. Sans doute la beauté même de ces surplombs tient-elle tout entière dans la promesse de leur effondrement.

     

    522. Nie-toi toi-même. Tel est le Commandement de la Machine.

     

    533. Tu voudrais tellement être un héros, mon lapin, mais pour cela il faudrait qu’on te filme. La façon dont tu allumes ta cigarette en marchant dans cette rue est en soi tout à fait digne d’un film d’action américain ; il suffirait du bon cadrage, de la bonne musique, et surtout qu’il ait été préalablement décidé que c’était toi, oui toi, qu’il convenait de regarder. Mais tu passes anonyme dans un chaos de musique de variétés banale, dans un plan tellement élargi que tu n’es qu’une fourmi. Les femmes, même les femmes te regardent à peine. Et ne se resserre finalement sur toi qu’un sentiment d’impuissance que tu ne peux encaisser qu’en pariant sur l’injustice. – Certes tout cela est très dommage, mais toi au moins tu te vois très bien et l’essentiel n’est-il pas que tu aies la sensation d’être vu ? Il y a bien eu un moment où tu as été ce héros anonyme ? Oui. C’est déjà bien. Tu rappelleras maman ce soir.

     

    1018. Faites attention à vous, faites attention au reste aussi puisque vous roulez à grande vitesse sur cette autoroute, voilà, c’est ça, regardez ces voitures et camions qui filent dans les deux sens, prêtez brièvement attention grâce au petit rétro du pare-brise à ce que vous laissez derrière vous – si cette expression a un sens –, imaginez les destinations mêmes provisoires de tous ces véhicules, imaginez les cartes, inventez-les, imaginez leurs déserts et leur zones d’hyperactivité, ne vous demandez rien sauf où, oui, où vont ces gens dans leurs petites coques de métal, ajoutez à ce qui est désormais une cartographie imaginaire et mouvante les transports ferroviaires, maritimes, aériens et spatiaux… bien, et demandez-vous maintenant un instant comment vous pourriez être autre chose qu’un neurone ou un octet accomplissant sa tâche à la surface de ce cortex-machine qu’est peut-être cette planète ; et ce que pourrait bien changer à cela, dans trois minutes, votre crash létal. Cela modifie bien quelque chose, certes, mais quoi ? petit dysfonctionnement aussitôt absorbé. – Quelle information transportez-vous ? où l’amenez-vous ? pour le compte de quoi ?

    (A suivre...)

  • Tentative d'éloge du mépris

     

     

    Je livre ici quelques notes volontairement schématiques, symétriques, qui devaient initialement servir à quelques personnages, et leur ont peut-être effectivement servi… Notez, je vous prie, que ces considérations ne concernent pas spécifiquement notre actuel microcosme européen, protégé de la réalité par des couches d’utopies, d’illusions ; je les espère plutôt liées à son passé, ou bien à son ailleurs géographique concret.

     

     

    Il y a différentes sortes de mépris.

     

     

    Il y a par exemple le mépris du soldat pour le civil.

    Le mépris de l’homme qui se bat, risque sa vie, pour celui qu’il protège. Mépris amusé, mépris blessé parfois.

    Le mépris amusé du courage pour la passivité. Le mépris blessé de qui a quitté l’enfance dans d’héroïques horreurs.

     

     

    Et puis il y a le mépris du civil pour le soldat.

    Le mépris de l’homme tranquille pour le va-t-en-guerre. Mépris inquiet : jusqu’où peut-il aller ? Face à l’ennemi, mais aussi contre moi ?

    Le mépris de l’homme qui élève ses enfants pour celui qui, avant d’avoir à se battre, a rêvé de se battre. Et quel homme n’a jamais eu ce rêve ?

     

     

    Voir dans ces mépris réciproques des indices de civilisation, une pudeur du respect – loin des affichages publicitaires, propagandistes, loin des exhibitions…

     

  • Virginie T., qualité essentielle

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    La virginité, elle non plus, n’est plus ce qu’elle était.

    Tout le pays, comme un seul homme, s’en émeut.

    Je trouve ça touchant, moi aussi.

     

    (La question de savoir si l’arrêt du tribunal de grande instance de Lille est vraiment conforme au droit, qui annule le mariage pour tromperie sur cette qualité essentielle qu’est, en l’espèce, la virginité, est une question juridique ; et il faut la laisser aux spécialistes, qui ne manqueront certainement pas d’y revenir…)

     

    Il y a donc encore des gens qui mettent une espèce de point d’honneur à vouloir une femme vierge. Des gens qui ne se fussent pas mariés si on leur avait dit que de virginité, justement, il n’y en avait goutte. Des gens qui se marient pour que la nuit de noces soit réellement, objectivement unique et en tout cas, sans précédent…

    Des gens qui pensent qu’il doit y avoir du mariage dans le mariage.

     

    Comme si le mariage ne devait pas d’abord être une parodie de mariage.

    Un prétexte à ne pas payer le lave-vaisselle et le lave-linge et la vaisselle à la con.

     

    Il n’y a plus beaucoup de symboles dans notre monde.

    Quand il en reste, d’ailleurs, on tape dessus à tour de bras.

    Et puis quand on a bien séparé le symbole de sa réalité, qu’on a bien défait la réalité, on réactive le symbole.

    Le versant parodique n’échappe à personne.

    N’importe quelle fille peut se marier en blanc.

    Qu’est-ce qu’on vient encore nous emmerder avec la réalité ?

    Avec la virginité ?

    Le blanc, symbole de pureté ?

    Mais mon pauvre ami, il y aussi de pures salopes (je plaisante) et elles n’ont aucune raison de se priver d’un beau mariage en blanc.

    En effet.

     

    Même l’Eglise catholique semble avoir renoncé à marier des vierges.

    Elle marie donc n’importe qui, n’importe comment, n’importe comment. Elle n’est pas trop regardante. Elle marie même, selon son folklore, depuis que le rituel est effondré, des tonnes d’athées qui se soucient de la virginité comme de leur première capote.

    Elle au moins ne les marie qu’une seule fois, certes.

    Mais de bonnes âmes ne semblent pas découragées de lui faire changer d’avis.

    Parce qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis.

    Et qu’on voudrait bien que le Pape cesse de faire le pitre.

    Et qu’il devienne enfin moderne.

    Et qu’il défile à la Gay Pride.

    Et qu’il marie des homosexuels (épilés) de tous poils.

    Bref, on se marie à l’église comme on pose avec Mickey.

     

    Ce qui est scandaleux, dans cette affaire, c’est au fond cela : penser qu’au XXI° siècle, une fille devrait arriver vierge au mariage.

    Alors que nos belles gosses ont l’air moitié débile si elles ne se sont pas déjà fait troncher à quinze ans par des connards de dix-sept.

    Ce à quoi la libération pornographique les encourage sans cesse.

    Au point que je me demande, sérieusement, si la finalité cachée des collèges et lycées de France – dans lesquels la transmission des connaissances est tellement inexistante qu’elle finit par passer pour un prétexte plutôt malhabile –, n’est pas tout simplement de permettre à un maximum de jeunes gens destinés à demeurer adolescents le plus longtemps possible, et si possible à vie – l’adolescent étant bien sûr le moutonnier consommateur idéal, dépourvu de tout esprit critique réel – et ne tient pas tout entière dans cette idée de dépucelage générationnel institué.

    Mais peu importe, puisqu’il faut désormais passer par là.

     

    Et tout à coup, l’annulation d’un mariage pour tromperie sur une qualité essentielle : la virginité.

    Merde, deux siècles (bon an mal an) de République et de démocratie pour constater, malgré tous les efforts de destruction civile faits que :

    Il reste du mariage dans le mariage.

    Ce qui peut-être n’est pas tant une mauvaise nouvelle : Il reste encore des trucs à péter.

    (Parce que le progrès, quand même, ça consiste quand même à péter des trucs qui étaient là avant, et ça, c’est superpositif, ouais. Et cool, en plus. Yes.)

     

    Heureusement que cette jeune fille – pardon, cette jeune femme – est musulmane.

    (Quoique cela n’ait sans doute rien à voir avec la décision de justice, cela a tout à voir avec les réactions merdiatiques, pipolitiques, rachi(dada)tiques, etc.)

    Si elle avait été catholique, on eût hurlé au fascisme, à l’intégrisme, au retour des heures sombres de notre histoire, à je ne sais quoi encore.

    On en aurait plaisanté, aussi. Avec lourdeur. Mais enfin, on en aurait rigolé, même grassement.

    J’ai essayé, dans l’un ou l’autre spectacle, de plaisanter gentiment (et brièvement, aussi) sur l’islam.

    Silence total, sépulcral.

    Les gens sont écrabouillés de terreur.

    Ils n’ont pas le droit de rire, comprenez-vous.

    Ils ne sont pas autorisés.

    Parce qu’au fond, l’islam, c’est sacré.

    Eh oui, déjà.

     

    Moi, ça me fait rire encore plus, mais bon.

     

     

     

     

    (A suivre...)