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mépris

  • Une question

     

     

     

    Hypocrite lecteur, – mon semblable, – mon frère !

     

     

    – Tu voudrais disparaître, être regretté, même, qui sait ? Mais toute apparition est si éphémère, si dérisoire, peut-être si méprisable… Car tu n’es pas apparu encore, ou pas assez à ton goût – ça, c’est assez drôle, au fond. Et pour disparaître à tes conditions, petit chéri, il te faudrait apparaître vraiment, tu le sais ! et pour ainsi dire rester apparu un certain temps, mais combien de temps ? C’est difficile à dire, et peut-être ne te trouverais-tu alors jamais assez longtemps apparu ! Tu te rêves méprisable, en somme… Mais puisque tu veux avant tout disparaître, comme si ne pouvait être requise qu’à cela ta pauvre volonté, tu ne parviens pas du tout à apparaître assez, sachant trop que tu serais aussitôt disparu qu’apparu et sans avoir le temps d’organiser à tes conditions cette disparition, dans l’espoir de la rendre signifiante, même pour peu de personnes. Tout ce fantasme ridicule m’a quand même l’air bâti sur l’hypothèse que les gens qui te regretteront, s’ils sont, ne s’apercevraient pas du méprisable intrinsèque de ton apparition longue. Pourquoi vouloir être aimé par des idiots et des imbéciles ?


     

     

  • Artiste en colère

     

     

     

     

    Il est très énervé, mais comme il est inoffensif, il l'est à contretemps, ce qui fait simplement de son énervement une manière de plainte : 

    – Vache, je ne m’en remets pas, je te jure, elle m’a parlé comme à un larbin.

    – Oui, elle aurait été plus habile de te parler comme si tu n’en étais pas un.

    Alors que non. Il va maintenant, pour lui bien montrer qu'il n'est pas un larbin, faire de lui-même plus que ce qu'elle exige. Elle est si sympathique, aussi.

     

     

     

     

     

  • Tentative d'éloge du mépris

     

     

    Je livre ici quelques notes volontairement schématiques, symétriques, qui devaient initialement servir à quelques personnages, et leur ont peut-être effectivement servi… Notez, je vous prie, que ces considérations ne concernent pas spécifiquement notre actuel microcosme européen, protégé de la réalité par des couches d’utopies, d’illusions ; je les espère plutôt liées à son passé, ou bien à son ailleurs géographique concret.

     

     

    Il y a différentes sortes de mépris.

     

     

    Il y a par exemple le mépris du soldat pour le civil.

    Le mépris de l’homme qui se bat, risque sa vie, pour celui qu’il protège. Mépris amusé, mépris blessé parfois.

    Le mépris amusé du courage pour la passivité. Le mépris blessé de qui a quitté l’enfance dans d’héroïques horreurs.

     

     

    Et puis il y a le mépris du civil pour le soldat.

    Le mépris de l’homme tranquille pour le va-t-en-guerre. Mépris inquiet : jusqu’où peut-il aller ? Face à l’ennemi, mais aussi contre moi ?

    Le mépris de l’homme qui élève ses enfants pour celui qui, avant d’avoir à se battre, a rêvé de se battre. Et quel homme n’a jamais eu ce rêve ?

     

     

    Voir dans ces mépris réciproques des indices de civilisation, une pudeur du respect – loin des affichages publicitaires, propagandistes, loin des exhibitions…

     

  • Dans les ténèbres, par Léon Bloy

    I

    Le mépris

     

    Oh ! le délicieux, l’inappréciable refuge ! Rafraîchissement surnaturel pour un cœur tordu d’angoisse et de dégoût ! Le mépris universel, absolu, des hommes et des choses. Arrivé là, on ne souffre plus ou du moins on a l’espérance de ne plus souffrir. On cesse de lire les feuilles, on cesse d’entendre les clamitations du marécage, on ne veut plus rien savoir ni rien désirer que la mort. C’est l’état d’une âme douloureuse qui connaît Dieu et qui sait qu’il n’existe rien sur terre où elle se puisse appuyer en nos effroyables jours.

    Est-il nécessaire pour cela d’être devenu un vieillard ? Je n’en suis pas sûr, mais c’est tout à fait probable. Le mal est énorme, pensent les hommes qui n’ont pas dépassé soixante ans, mais il y a tout de même ceci ou cela et le remède n’est pas impossible. On ne se persuade pas que tout est dans le filet du mauvais chasseur et qu’il y a un ange de Dieu ou un homme plein de miracles pour nous délivrer.

    La Foi est tellement morte qu’on en est à se demander si elle a jamais vécu, et ce qui porte aujourd’hui son nom est si bête ou si puant que le sépulcre semble préférable. Pour ce qui est de la raison, elle est devenue si pauvre qu’elle mendie sur tous les chemins, et si affamée qu’on la vue se repaître des ordures de la philosophie allemande. Il ne reste plus alors que le mépris, refuge unique des quelques âmes supérieures que la démocratie n’a pu amalgamer.

    Voici un homme qui n’attend plus que le martyre. Il sait de façon certaine qu’un jour il lui sera donné de choisir entre la prostitution de sa pensée et les plus horribles supplices. Son choix est fait. Mais il faut attendre, il faut vivre et ce n’est pas facile. Heureusement il a la prière et les larmes et le tranquille ermitage du mépris. Cet ermitage est exactement aux pieds de Dieu. Le voilà séparé de toutes les concupiscences et de toutes les peurs. Il a tout quitté, comme il est prescrit, renonçant même à la possibilité de regretter quelque chose.

    Tout au plus serait-il tenté d’envier la mort de ceux qu’il a perdus et qui ont donné leur vie terrestre en combattant avec générosité. Mais cette fin elle-même le dégoûte, ayant été si déshonorée par les applaudissements des lâches et des imbéciles.

    Et le reste est épouvantable. La sottise infinie de tout le monde à peu près sans exceptions ; l’absence, qui ne s’était jamais vue, de toute supériorité ; l’avilissement inouï de la grande France d’autrefois implorant aujourd’hui le secours des peuples étonnés de ne plus trembler devant elle ; et la surnaturelle infamie des usuriers du carnage, multitude innombrable des profiteurs grands et petits, administrateurs superbes ou mercantis du plus bas étage, qui se soûlent du sang des immolés et s’engraissent du désespoir des orphelins. Il faut être arrivé, après tant de générations, sur ce seuil de l’Apocalypse et être ainsi devenu spectateur d’une abomination universelle que ne connurent pas les siècles les plus noirs pour sentir l’impossibilité absolue de toute espérance humaine.

    Alors, Dieu qui sait la misère de sa créature confère miséricordieusement à quelques-uns qu’il a choisis pour ses témoins la suprême grâce d’un mépris sans bornes, où rien ne subsiste que Lui-même dans ses Trois Personnes ineffables et dans les miracles de ses Saints.

    Lorsque le prêtre élève le calice pour recevoir le Sang du Christ, on peut imaginer le silence énorme de toute la terre que l’adorateur suppose remplie d’effroi en présence de l’Acte indicible qui fait paraître comme rien tous les autres actes, assimilables aussitôt à de vaines gesticulations dans les ténèbres.

    L’injustice la plus hideuse et la plus cruelle, l’oppression des faibles, la persécution des captifs, le sacrilège même et le déchaînement consécutif des luxures infernales ; toutes ces choses, à ce moment-là, semblent ne plus exister, n’avoir plus de sens en comparaison de l’Acte Unique. Il n’y a plus que l’appétit des souffrances et l’effusion des larmes magnifiques du grand Amour, avant-goût de béatitude pour les écoliers de l’Esprit-Saint qui ont établi leur demeure dans le tabernacle du royal Mépris de toutes les apparences de ce monde.

     

     (Dans les ténèbres, dernier livre de Bloy, 1917. Recopié de l’édition des Œuvres de Léon Bloy, tome IX, Mercure de France, 1969, édition de Jacques Petit.)