Eloignons-nous encore de notre point de départ.
Les grandes matriarchies supposées de Bachofen (Le Droit maternel), dont Klossowski prétend que la conception « reste toujours valable sur le plan fondamental de l’inconscient collectif » (Origines cultuelles et mythiques d’un certain comportement des dames romaines), afin de défaire toute prétention à la paternité, prostituaient les vierges en une cérémonie cultuelle leur permettant de s’identifier aux divinités telluriques…
Si l’on considère que la biologisation de la fonction paternelle, sa traçabilité par l’ADN, qui parut à la Justice française valoir que l’on exhumât Yves Montand, par exemple, est une façon encore d’évacuer la Parole au profit de la Science ; si l’on considère que la biologisation de la fonction paternelle est en somme une façon encore de démolir le Père, lequel, toujours « incertain » n’existait que sur la parole de la mère, « certaine » ; si d’autre part l’on considère l’idéologie moderne confiant aux femmes, et surtout à elles seules, la gestion biotechnologique et « médicale » de la fécondité et de la reproduction – contraception et avortement inclus ; si l’on considère le déluge pornographique, hérité de ces libérations et libéralisations tant vantées, comme un incitation à vivre sa sexualité comme une boucherie (Pierre Legendre n’hésite pas à définir l’hitlérisme comme « une conception bouchère de l’histoire » et je ne suis personnellement pas éloigné de penser que l’hitlérisme, que je préfère nommer ici post-nazisme, ait gagné le cœur même de nos sociétés qui, comiquement, ne le savent pas du tout et, traquant partout le retour de la Bête, ne traquent jamais que leur ombre – le chasseur qui est aussi la proie ne diffère in fine son suicide que par le fait de traquer son ombre propre…), incitation visant l’obligation, le passage obligé ; si l’on considère que la laïcisation du mariage – le mariage républicain n’étant que le mariage religieux dépouillé du sacrement et partant, du sacré – tourne à sa pure et simple contractualisation libérale proposant des modèles de contrats pouvant être rompus et renoués à volonté, alors il faut bien admettre que nous nous approchons grandement, avec certes notre propre façon moderne et scientiste, de ces matriarchies supposées, et de leur mode de passage rituel. J’aurais tendance à penser, comme je l’ai dit dans la première partie de ce billet, que la fonction réelle (quoique par réelle, je ne veuille aucunement dire : voulue, ou consciente) des établissements scolaires est de permettre cette initiation (1).
Le tout bien sûr est emballé à l’amour, lequel est une invention conceptuelle typiquement occidentale du XII° siècle. Invention essentiellement féminine : une proportion non négligeable d’hommes jeunes étant partie en guerre (les Croisades, par exemple), les femmes purent imposer le mode de discours qui leur convenait le mieux, etc. Ce fut l’amour courtois, qui leur fit d’un coup atteindre les hautes sphères – il faudrait voir comment Dante, jusqu’en son Paradis, sacrifie, mais formellement, à cette nouveauté-là et finalement la récupère à son profit –, et le commencement de leur idéalisation et de leur divinisation, lesquelles ont leur tribut réel, je viens de l’évoquer, dans une forme singulière de prostitution visant à évacuer la fonction paternelle. Car le Père est une fiction ; on ne rencontre d’un point de vue technique d’abord que des fils et des filles, puis des mères. Le Père, comme fiction, est un ouvrage de la Parole ; et c’est cette Parole d’abord qu’il convient d’attaquer. Qui ne voit que le père moderne devra toujours davantage tenir sa légitimité d’un critère biologique sur lequel il ne devrait pas être trop compliqué de greffer un virement bancaire automatique, par exemple ; quitte à ce que ce post-père-là monnaie son absence, comblant ainsi perversement ce manque fondamental par lequel il était, et donc disparaissant. Ce qui revient ni plus ni moins à lever un impôt, impôt d’étrange facture, je le concède volontiers.
Et si l’amour ne servait qu’à cela ? A faire payer.
(1) Je n’insiste pas ici, faute de temps, et de courage, sur la dimension paganiste ou néopaganiste de ceci. On pourra néanmoins lire cette ébauche.
(A suivre…)