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Theatrum Mundi - Page 129

  • Bref passage de Thomas Jefferson

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    Et l’on pouvait prévoir qu’avec le temps les caractéristiques spéciales du novlangue deviendraient de plus en plus prononcées, car le nombre de mots diminuerait de plus en plus, le sens serait de plus en plus rigide, et la possibilité d’une impropriété de termes diminuerait constamment.

    Lorsque l’ancilangue aurait, une fois pour toutes, été supplanté, le dernier lien avec le passé serait tranché. L’Histoire était récrite, mais des fragments de la littérature du passé survivraient çà et là, imparfaitement censurés et, aussi longtemps que l’on gardait l’ancilangue, il était possible de les lire. Mais de tels fragments, même si par hasard ils survivaient, seraient plus tard inintelligibles et intraduisibles.

    Il était impossible de traduire en novlangue aucun passage de l’ancilangue, à moins qu’il ne se référât, soit à un processus technique, soit à une très simple action de tous les jours, ou qu’il ne fût, déjà, de tendance orthodoxe (bienpensant, par exemple, était destiné à passer tel quel de l’ancilangue au novlangue).

    En pratique, cela signifiait qu’aucun livre écrit avant 1960 environ ne pouvait être entièrement traduit. On ne pouvait faire subir à la littérature prérévolutionnaire qu’une traduction idéologique, c’est-à-dire en changer le sens autant que la langue. Prenons comme exemple un passage bien connu de la Déclaration de l’Indépendance :

     

    « Nous tenons pour naturellement évidentes les vérités suivantes : Tous les hommes naissent égaux. Ils reçoivent du Créateur certains droits inaliénables, parmi lesquels sont le droit à la vie, le droit à la liberté et le droit à la recherche du bonheur. Pour préserver ces droits, des gouvernements sont constitués qui tiennent leur pouvoir du consentement des gouvernés. Lorsqu’une forme de gouvernement s’oppose à ces fins, le peuple a le droit de changer ce gouvernement ou de l’abolir et d’en instituer un nouveau. »

    Il aurait été absolument impossible de rendre ce passage en novlangue tout en conservant le sens originel. Pour arriver aussi près que possible de ce sens, il faudrait embrasser tout le passage d’un seul mot : crimepensée. Une traduction complète ne pourrait être qu’une traduction d’idées dans laquelle les mots de Jefferson seraient changés en un panégyrique du gouvernement absolu.

    Une grande partie de la littérature du passé était, en vérité, déjà transformée en ce sens. Des considérations de prestige rendirent désirable de conserver la mémoire de certaines figures historiques, tout en ralliant leurs œuvres à la philosophie de l’angsoc. On était en train de traduire divers auteurs comme Shakespeare, Milton, Swift, Byron, Dickens et d’autres. Quand ce travail serait achevé, leurs écrits originaux et tout ce qui survivait de la littérature du passé seraient détruits.

    Ces traductions exigeaient un travail lent et difficile, et on pensait qu’elles ne seraient pas terminées avant la première ou la seconde décennie du XXI° siècle.

    Il y avait aussi un nombre important de livres uniquement utilitaires – indispensables manuels techniques et autres – qui devaient subir le même sort. C’était principalement pour laisser à ce travail de traduction qui devait être préliminaire, le temps de se faire, que l’adoption définitive du novlangue avait été fixée à cette date si tardive : 2050.

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     Fin de l’appendice, intitulé « Les principes du novlangue », achevant réellement le roman 1984 de George Orwell. Etonnant, non ? de voir passer là Thomas Jefferson, rédacteur de la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique et plus tard, fondateur du Parti Républicain. Déclaration d’égalité des droits et présence du Créateur ; on est en 1776, un avant la Constitution des Etats-Unis, treize ans avant la Révolution française. 1984 fut écrit entre 1945 et 1948.

    Pour le reste, nous en venons en France aujourd’hui à traduire Molière, mais dans la langue de qui ?

  • La République contre le français ?

    Information trouvée sur L’annexe, le blog de Jean-Jacques Nuel :

     

    *

     

    (Cette déclaration a été votée à l'unanimité par les membres de l'Académie française dans sa séance du 12 juin 2008).

     

    Depuis plus de cinq siècles, la langue française a forgé la France. Par un juste retour, notre Constitution a, dans son article 2, reconnu cette évidence : « La langue de la République est le français ».

    Or, le 22 mai dernier, les députés ont voté un texte dont les conséquences portent atteinte à l’identité nationale. Ils ont souhaité que soit ajoutée dans la Constitution, à l’article 1er, dont la première phrase commence par les mots : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », une phrase terminale : « Les langues régionales appartiennent à son patrimoine ».

    Les langues régionales appartiennent à notre patrimoine culturel et social. Qui en doute ? Elles expriment des réalités et des sensibilités qui participent à la richesse de notre Nation. Mais pourquoi cette apparition soudaine dans la Constitution ?

    Le droit ne décrit pas, il engage. Surtout lorsqu’il s’agit du droit des droits, la Constitution.

    Au surplus, il nous paraît que placer les langues régionales de France avant la langue de la République est un défi à la simple logique, un déni de la République, une confusion du principe constitutif de la Nation et de l’objet d'une politique.

    Les conséquences du texte voté par l'Assemblée sont graves. Elles mettent en cause, notamment, l’accès égal de tous à l'Administration et à la Justice. L'Académie française, qui a reçu le mandat de veiller à la langue française dans son usage et son rayonnement, en appelle à la Représentation nationale. Elle demande le retrait de ce texte dont les excellentes intentions peuvent et doivent s'exprimer ailleurs, mais qui n'a pas sa place dans la Constitution.

     

     

     

    Voir aussi, à propos de l’Académie française, le billet titré 1984 ; et sur (pour partie) l’article 2 de la Constitution, le billet titré Du devoir d’insubordination.

  • Le Commandement de la Machine (4)

    Le Commandement de la Machine (1)

    Le Commandement de la Machine (2)

    Le Commandement de la Machine (3)

     

     

    ****

     

    Quatrième série de coupes :

     

    21. Contrairement aux apparences que son intérêt lui dicte de manifester, la Machine est horizontalité pure. – Connectant ensemble selon ses propres lois silencieuses la totalité des produits qu’elle émet sur un marché qui n’est, donc, que la plus évidente de ses manifestations, se développant sans cesse vers l’intérieur comme vers l’extérieur, et par aussi la simple absorption de tout ce qui n’est pas directement son fait, la Machine respire, vit et, dans une certaine mesure partiellement comparable à celle de l’homme : qualitativement égale ou inférieure, à tous point de vue supérieure quantitativement, – pense. Sa pensée n’est pas distincte, en rien, de son action, car elle est matière pure. Et si l’entropie, nécessairement, la travaille du dedans, il faut bien admettre que ce qui doit mourir quelque jour et dispenser ainsi vers le futur une grande quantité d’énergie, occupe manifestement tout le champ du visible, tout le champ de l’irreprésentable. De sorte qu’il est évident que les petits hommes qui, de l’intérieur même de cet agencement de machines que leur esprit ne conçoit que très fragmentairement et ne peut plus du tout se représenter, croient devoir et pouvoir lutter contre l’expansion de la Machine, ne veulent en réalité rien d’autre que leur propre disparition accélérée et partant, avec celle aussi de la Machine, celle donc de toute vie humaine – du moins sous l’actuelle forme qu’ils se figurent qu’elle doit prendre toujours. Ils travaillent néanmoins non pas pour, mais dans la machine ; ils ne savent pas ce qu’ils font. Et, sur le corps plein de la terre, la Machine écrit elle-même en lettres capitales et baignée du sang noir de l’animal humain : In God we trust.

     

    1054. Il n’y a sans doute pas de Machine. Quant aux personnages, s’ils sont, ils sont les Interfaces du Néant ; donc ne sont pas.

     

    1202. Les hyperassassins du nouvel Alamuth ne sont pas, comme jadis, cachés dans une inexpugnable forteresse, non, ils sont des anonymes disséminés sur tout le territoire qu’ils ont à charge de détruire, et pour être clair, ils vivent, naissent et meurent dans nos cités indéfendables, et conséquemment déjà prises. Ce qui est sûr, c’est que ceux qui ne veulent pas se battre, préférant encore lutter pour d’ineptes droits à la retraite ou à se faire enculer – d’ailleurs bien plus symboliques qu’ils ne l’imaginent –, droits aussi qui non moins ineptement leur ont déjà été donnés, ceux dis-je qui ne veulent pas se battre ne seront bien évidemment d’aucun secours, mais pas seulement. Ils sont aussi les complices réels, confits d’une caracolante et macabre innocence, laissant bavasser leur saloperie intégrale de bonne mauvaise conscience de privilégiés voulant l’être encore davantage ; ils sont les complices réels de ceux qui ont décidé leur extermination pure et simple. En ce sens, les gouvernants cacochymes qu’ils élisent à grands renforts de petites contradictions apparentes, sont simplement mandatés pour maintenir l’archicriminelle illusion de la paix. Tels sont nos suicidaires, aptes seulement à lutter, mais sans conscience aucune de le faire, à la destruction totale d’une civilisation qu’ils haïssent aveuglément.

    (A suivre...)

  • Encore un effort... (2)

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    Lire la première partie.

     

     

    Je ne nierai pas cependant qu’une constitution semblable ne soit infiniment préférable à celle qui, après avoir concentré tous les pouvoirs, les déposerait dans les mains d’un homme ou d’un corps irresponsable. De toutes les différentes formes que le despotisme démocratique pourrait prendre, celle-ci serait assurément la pire.

    Lorsque le souverain est électif ou surveillé de près par une législature réellement élective et indépendante, l’oppression qu’il fait subir aux individus est quelquefois plus grande ; mais elle est toujours moins dégradante parce que chaque citoyen, alors qu’on le gêne et qu’on le réduit à l’impuissance, peut encore se figurer qu’en obéissant il ne se soumet qu’à lui-même, et que c’est à l’une de ses volontés qu’il sacrifie toutes les autres.

    Je comprends également que, quand le souverain représente la nation et dépend d’elle, les forces et les droits qu’on enlève à chaque citoyen ne servent pas seulement au chef de l’Etat, mais profitent à l’Etat lui-même, et que les particuliers retirent quelque fruit du sacrifice qu’ils ont fait au public de leur indépendance.

    Créer une représentation nationale dans un pays très centralisé, c’est donc diminuer le mal que l’extrême centralisation peut produire, mais ce n’est pas la détruire.

    Je vois bien que, de cette manière, on conserve l’intervention individuelle dans les plus importantes affaires ; mais on ne la supprime pas moins dans les petites et les particulières. L’on oublie que c’est surtout dans le détail qu’il est dangereux d’asservir les hommes. Je serais, pour ma part, porté à croire la liberté moins nécessaire dans les grandes choses que dans les moindres, si je pensais qu’on pût jamais être assuré de l’une sans posséder l’autre.

    La sujétion dans les petites affaires se manifeste tous les jours et se fait sentir indistinctement à tous les citoyens. Elle ne les désespère point ; mais elle les contrarie sans cesse et elle les porte à renoncer à l’usage de leur volonté. Elle éteint peu à peu leur esprit et énerve leur âme, tandis que l’obéissance, qui n’est due que dans un petit nombre de circonstances très graves, ne montre la servitude que de loin en loin et ne la fait peser que sur certains hommes. En vain chargerez-vous ces mêmes citoyens, que vous avez rendus si dépendants du pouvoir central, de choisir de temps à autre les représentants de ce pouvoir ; cet usage si important, mais si court et si rare, n’empêchera pas qu’ils perdent peu à peu la faculté de penser, de sentir et d’agir par eux-mêmes, et qu’ils ne tombent ainsi graduellement au-dessous du niveau de l’humanité.

    J’ajoute qu’ils deviendront bientôt incapables d’exercer le grand et unique privilège qui leur reste. Les peuples démocratiques qui ont introduit la liberté dans la sphère politique, en même temps qu’ils accroissaient le despotisme dans la sphère administrative, ont été conduits à des singularités bien étranges. Faut-il mener les petites affaires où le simple bon sens peut suffire, ils estiment que les citoyens en sont incapables ; s’agit-il du gouvernement de tout l’Etat, ils confient à ces citoyens d’immenses prérogatives ; ils en font alternativement les jouets du souverain et ses maîtres, plus que des rois et moins que des hommes. Après avoir épuisé tous les différents systèmes d’élection, sans en trouver un qui leur convienne, ils s’étonnent et cherchent encore ; comme si le mal qu’ils remarquent ne tenait pas à la constitution du pays bien plus qu’à celle du corps électoral.

    Il est, en effet, difficile de concevoir comment des hommes qui ont entièrement renoncé à l’habitude de se diriger eux-mêmes pourraient réussir à bien choisir ceux qui doivent les conduire ; et l’on ne fera point croire qu’un gouvernement libéral, énergique et sage, puisse jamais sortir d’un peuple de serviteurs.

    Une constitution qui serait républicaine par la tête, et ultra-monarchique dans toutes les autres parties, m’a toujours semblé un monstre éphémère. Les vices des gouvernants et l’imbécillité des gouvernés ne tarderaient pas à en amener la ruine ; et le peuple, fatigué de ses représentants et de lui-même, créerait des institutions plus libres, ou retournerait s’étendre aux pieds d’un seul maître.

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    Fin du chapitre « Quelle espèce de despotisme les nations démocratiques ont à craindre », à la fin du second volume de « De la démocratie en Amérique », d’Alexis de Tocqueville (1835).

     

  • Nouveaux territoires de l'amour (un peu de narcissisme à la faveur des émeutes de Vitry-le-François)

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    Ce titre demande une explication.

     

    Je travaille partiellement, depuis quelques années, à Vitry-le-François.

    Le directeur de la scène conventionnée de Vitry, flanqué d’un metteur en scène associé, m’a passé commande, aux environs de Noël 2005, peu de temps donc après les émeutes de novembre, d’une pièce sur « les banlieues ».

    – Vous êtes sûrs que vous voulez me demander ça, à moi ? ai-je dit.

    – Mais oui, mais oui… fit le premier.

    – Mais oui, mais oui… fit le second.

    J’acceptai, pensez donc.

    Il était surtout question de parler du vivre-ensemble, ou vivrensemble, dans une barre d’immeuble qu’on va raser sous prétexte de rénover le quartier (les salauds).

    Quatre comédiens. Un homme (blanc), trois femmes (une blanche, une « black », une « beur »). – Pas de ballon de foot ? Pas de ballon de foot.

     

    J’ai dit que j’écrirai une farce.

    Au sens aristophanien.

    Autant que faire se peut.

     

    Son titre fut :

    Territoires de la merde.

     

    Mon meilleur titre.

    Mon synopsis évoquait aussi une émission de télé, sorte de Thalassa des banlieues, cyniquement intitulée : « Territoires de l’amour ».

    Mes commanditaires me pressèrent de changer le premier titre (impubliable) pour le second (putassier et cynique). Ce que j’acceptai, avec ma coutumière lâcheté.

    Non sans avoir préalablement argumenté :

    – Mais merde, quand vous voyez ces émeutes, vous vous dites, comme tout le monde : « Putain, c’est la merde… » et non pas « chouette, c’est l’amour ! ».

    Il apparut que j’étais cynique.

    Toujours le même déni de réalité.

    Mais c’est l’incitation au rêve, à l’émotion, à l’utopie, que j’ai moi toujours trouvée cynique.

    Mais bon, je cédai.

     

    Puis j’écrivis la pièce.

    Mes commanditaires la refusèrent.

    Une de mes meilleures pièces.

    La scène représente un parking. Les personnages sont : 1. une professeurere des écoles alcoolique dernier stade, célibataire et hystéro-dépressive ; 2. une jeune « beurette » émancipée quoique portant foulard, ayant parfaitement intégré les codes du quartier et transportant un sac très lourd dont nous ne saurons jamais ce qu’il contient ; 3. un politicien libéral-socialiste (c’est-à-dire qu’on ne sait s’il est encarté au Parti Salopiste ou à l’Union pour une Médiocrité Présidentielle) d’une infinie veulerie ; 4. une journaliste « black », très énergique, dirigeant son émission d’une main de fer, coupant la parole, au besoin avec vulgarité, etc. J’avais ajouté une cinquième «  personnage », une sorte d’Intelligence Artificielle qui, dans la dernière partie, c’est-à-dire dans l’émission télé, donnait à chaque phrase prononcée par les autres la note d’audimat. Ce qui rendait bien sûr complètement incohérent ce piètre simulacre de débat – l’annonce d’un 2, par exemple, engageant le locuteur à se contredire lui-même immédiatement, etc.

     

    Bref, ma pièce fut refusée. Dès lecture.

    Toujours le même déni de réalité (« Ce n’est plus la droite qui est réactionnaire, c’est la réalité », comme le disait quelque part le fade Laurent Joffrin…).

    Ils montèrent un autre texte, non-théâtral, sociologique et neuneu, je veux dire : pavé de bonnes intentions idiotes, et comme les programmes annonçaient une pièce titrée Territoires de l’amour, ils conservèrent ce titre de merde que j’avais initialement destiné à illustrer l’abjection journalistique.

    CQFD.

     

    CQFD est le titre des 20 pages de notes racontant l’histoire de cette commande et de son refus par ses commanditaires mêmes.

    Peut-être les publierai-je ici, quelque jour où je serai lassé de pondre de nouveaux billets.

     

    Depuis, j'ai archivé la pièce dans Tout faut.