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Shakespeare - Page 3

  • Histoire d'amour

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    Dilige et quod vis fac.

     

     

    Le discours amoureux n’a pas de tout temps pourri tout, ravagé le monde sous sa rhétorique imbécile et bonasse, mièvrerie et perversion incluses.

    Quand Charles annonce à Aude la mort de son fiancé, elle n’entre pas dans un discours lamentatoire, elle refuse net de rencontrer tout autre jeune homme, même le fils de Charles ; pas davantage elle ne se dit, discours scientifique hors de ses gonds et salopement romancé, que de toute façon son amour à phéromones de merde n’eût pas duré plus de trois ans, – non, tout simplement, elle meurt de suite. La grande classe. C’est en fait d’amour plus éloquent qu’un tas de fadaises, fût-il magnifiquement bout-rimé.

    L’amour courtois viendra plus tard ployer le monde occidental sous son éducatif ennui colossal. Les seigneurs et leurs gars sont à la guerre sainte en Orient, croisade contre djihad, et les dames décident de la façon dont doivent leur causer les petits hommes restés sur place – je caricature à la machette et je m’en tape ; le voilà, ton discours amoureux ; c’est pour toujours le discours de l’arrière et il tiendra ! Il vaincra, même ! il finira même par vaincre la civilisation duquel il est sorti tout désarmé (tout le monde n’est par Corneille, Shakespeare ou même Turold) ! – Ah, vieux faible Racine aux vers parfaits, et puis les joulies belles Lumières que voilà ! et ainsi de suite de Charybde en Scylla, jusqu’à ce que l’amoureux discours soit tout fragmenté de pâmoison, milliards de miettes à présent… 

    Que veux-tu que je te dise ? Quelque chose comme ça : Aimez, aimez si vous ne pouvez faire autrement, mais putain, fermez vos gueules !

    Quand, disais-je, Charles empereur annonce à Aude dont c’est la première et dernière apparition, que son Roland est mort à Roncevaux, elle meurt, voilà, et tout cela dans la seule laisse 268 du poème occupe quinze décasyllabes , cent cinquante syllabes quoi, deux minutes grand maxi, on n’est pas chez l’Arioste.

     

    *

     

    Voici la laisse 268 (avec ses vingt-deux vers) :

    Li empereres est repairet d’Espaigne

    E vient a Ais, al meillor sied de France ;

    Muntet et palais, est venut en la sale.

    As li Alde venue, une bele damisele.

    Ço dist al rei : « O est Rolland le catanie,

    Ki me jura cume sa per a prendre ? »

    Carles en ad e dulor e pesance,

    Pluret des oilz, tiret sa barbe blance :

    « Soer, cher’ amie, d’hume mort me demandes.

    Jo t’en durai mult esforcet eschange :

    Ço est Loewis, mielz ne sai a parler ;

    Il est mes filz e si tendrat mes marches. »

    Alde respunt : « Cest mot mei est estrange.

    Ne place Deu ne ses seinz ne ses angles

    Après Rollant que jo vive remaigne ! »

    Pert la culor, chet as piez Carlemagne,

    Sempres est morte. Deus ait merci de l’anme !

    Franceis barons en plurent e si la pleignent.

     

    Dans la traduction de Joseph Bédier :

    L’Empereur est revenu d’Espagne. Il vient à Aix, le meilleur siège de France. Il monte au palais, il est entré dans la salle. Voici que vient à lui Aude, une belle demoiselle. Elle dit au roi : « Où est-il, Roland le capitaine, qui me jura de me prendre pour femme ? » Charles en a douleur et peine. Il pleure, tire sa barbe blanche. « Sœur, chère amie, de qui t’enquiers-tu ? D’un mort. Je te ferai le meilleur échange : ce sera Louis, je ne sais pas mieux te dire. Il est mon fils, c’est lui qui tiendra mes marches. » Aude répond : « Cette parole m’est étrange. A Dieu ne plaise, à ses saints, à ses anges, après Roland que je reste vivante ! » Elle perd sa couleur, choit aux pieds de Charlemagne. Elle est morte aussitôt : que Dieu ait pitié de son âme ! Les barons français en pleurent et la plaignent.

     

    *

     

    (Et comme ne disait pas vraiment Belmondo dans le film de Godard, si vous n’avez pas d’humour, allez vous faire foutre.)

     

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