Anthologie subjective de Jacques Copeau. Textes choisis par Catherine Dasté. Gallimard, NRF, 2011, 5,50 euros
Il est difficile de parler de ce petit livre d’une cinquantaine de pages parce que la première envie est de le citer largement ; la première peur de le paraphraser.
De fait, il s’ouvre ainsi :
« Un théâtre, parce qu’il n’y en a pas.
Reprendre possession des chefs d’œuvre. »
Comme ce livre est composé d’un choix de textes, principalement empruntés au cinq Registres publiés chez Gallimard, cet incipit sonne comme un programme ; et vraiment c’en est un.
Fondateur, avec Gide et quelques autres, de la Nouvelle Revue Française en 1908, metteur en scène en quelque sorte d’avant Jouvet – dont il fut le maître –, Copeau peut paraître loin, engoncé dans le noir et blanc de la première moitié du XXème siècle ; en vérité, et chaque page de cette véritable incitation à lire les Registres le prouve, Jacques Copeau et son théâtre se tiennent devant nous, non pas comme l’endroit où nous allons, mais comme l’endroit où nous pouvons encore aller, mais au prix seulement d’une colossale purgation salutaire – dont la plus connue sans doute, celle du décor, n’est peut-être pas réellement la première.
Ses considérations sur ce que peut et doit être selon lui le théâtre laissent voir à chaque fois combien il n’a pas été lu, écouté, compris ; plus grave encore, combien les œuvres dramatiques, classiques et, disons, récentes, ne sont pas lues, écoutées, comprises. Ses considérations sur ce qu’est le théâtre de son temps, qui nous semble si ringard et si loin, ce théâtre contre lequel il s’élève et au-dessus duquel il élève, elles, n’ont pas pris une ride – au point que l’on se prend parfois à sourire ou à rire des gifles qu’à travers le temps il administre aujourd’hui à nombre de têtes à claques qui tiennent le haut du pavé.
« Il est en effet très facile de développer une mise en scène. Très facile de multiplier les signes du spectacle, même avec une certaine discipline de moyens qui donne l’illusion de l’harmonie. Très facile d’inventer mille choses plaisantes ou sensationnelles à propos ou à l’extérieur d’un chef d’œuvre littéraire.
Ce qui est difficile, ce qui est la marque de l’art et la preuve du talent, c’est d’inventer au-dedans, c’est d’emplir de réalité, de saturer de poésie tout ce qui se fait et dit sur la scène, sans jamais outrer la signification, sans jamais déborder ce que j’appelle « la pure configuration des chefs d’œuvre ».
Voilà. En quelques lignes, c’est toute la production actuelle de « spectacles vivants » qui vient de se faire sortir du champ du théâtre ; et dans quelle langue !
Ses pages sur Molière et celles sur Shakespeare ou Chaplin sont elles aussi extraordinaires d’intelligence et de simplicité.
Celles sur Molière en tout cas, et l’on sait combien il fut important à Copeau, donnent autant envie de se replonger dans l’intégralité de l’œuvre que de filer lire le merveilleux Registre qui lui est exclusivement consacré.
Une phrase, pour finir. Une phrase qui d’abord laisse rêveur et finalement donne espoir, au milieu des ruines et des déprédations, tant elle semble inciter à penser que les artistes essentiellement narcissiques de notre époque spectaculaire (dans leur folie des prétendues « dramaturgies non textuelles » comme dans le singulier appauvrissement de forme et de fond dont attestent la plupart des pièces écrites aujourd’hui et qui témoignent seulement de la dégradation du poème dramatique en journalisme « monodialogué »), n’ayant réellement plus rien à dire qui requerrait une forme supérieure du Dire et masquant cela sous des tombereaux de bavardages divers, ont vaguement conscience malgré tout qu’ils ne sont pas en capacité d’adresser quoi que ce soit qui mérite d’être conservé dans une forme pensée à ceux qui leur succéderont.
« Le texte seul compte. Il n’y a que le texte ! C’est seulement par le texte qu’un homme de 1660 pourra faire signe aux hommes de l’an 2000. » (1)
(1) C’est moi qui souligne.