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jarry

  • Crachoir

    Il pensait s’être retrouvé dans ce café très mondain par hasard et se mentait tranquillement. Son rendez-vous s’était le plus simplement du monde décommandé à l’heure exacte d’arriver, ce qu’il avait très servilement accepté, avec sa résignation coutumière. Il ne lui serait jamais venu à l’esprit de mentionner ses deux heures trente de trajet, train plus métro, ni leur coût. Il ne se sentait même pas humilié, il se disait juste qu’il devrait se sentir tel.

    Il faisait semblant de relire son dossier, son projet. Cette fois il avait fait tout ce qu’il fallait et ça n’empêcherait certainement rien de foirer. Et peut-être tant mieux.

    La conversation de tous ses voisins de table tendait à prouver que ce milieu chic et toc était exclusivement un concours de bassesse et de vulgarité, et qu’on pouvait forer très loin. Ubu propre. Ces gens autour de lui avec leur beau jargon technique lui semblaient les outils haut de gamme permettant de forer plus bas, toujours plus bas. Le pire était sans doute qu’il rechignait de moins en moins à concourir lui-même. Puisque cela fonctionnait ainsi. Quoi qu’il concourût mal. Il se demanda qui finalement organisait ce concours, mais il ne trouva pas de réponse qu’un slogan pût contenir ; rien d’utilisable aujourd’hui, en somme.

    Mais tout cela ne l’affectait pas réellement. La réalité serait de plus en plus brutale et insupportable, certes ; mais les moyens de se prémunir contre elle seraient de plus en plus nombreux et efficaces – stupéfiants d’ordres variés. Il était même difficile de savoir quel était le poison, quel le contrepoison – et donc, qui avait un coup d’avance sur l’autre. Les gens autour de lui s’occupaient de ce genre d’affaires, mais le savaient-ils seulement ? Et il pensa qu’il lui serait parfaitement indifférent, par exemple, qu’on les pende tous demain.

    Comme l’école, la culture était simplement devenue un formidable moyen d’abrutissement des masses, capable de donner aux personnes les plus faibles – qui deviendraient artistes, etc… – l’illusion de leur affranchissement. Elle était la nouvelle machine à décerveler. Raison pour laquelle le pouvoir faisait fonctionner à plein sa belle pompe à phynances toute trouée. Les plus chiens, les plus cyniques atteindraient, non sans marcher en coulisses sur la gueule de leurs confrères, les postes les plus hauts à coups de grands discours égalitaristes et transparentistes. Les sincères, les convaincus, corvéables à merci, dealeraient la came, fabriqueraient à grand-peine quelques accros avant de crever plus prolos qu’au départ ; il y aurait bien sûr, çà et là, des dépressions, mais leur cause presque unique ne serait jamais tirée au clair.

    Il sortit et alluma une cigarette. Vraiment, qu’est-ce qu’il avait à foutre de tout cela ?

     

    Dans les bacs d’occasions d’un libraire, il acheta La Mort de Pompée en vieux Classiques Larousse, pour 25 centimes d’euro. Il demanda un paquet cadeau. La vendeuse se demanda s’il était cinglé ou radin, ou les deux ; et dit : – Vous plaisantez ? Il répondit : – C’est votre faute. J’achète un chef d’œuvre 25 centimes et la moindre merde coûte cent fois ça. Vous voulez que j’offre une merde ?