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Fusées - Page 54

  • Tu ne transmettras point (ébauche)

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    – Comprenez-nous bien, camarades. Quand ce vieux monde en proie aux démolitions et déprédations tremble, nous disons tout bêtement qu’il bouge, dans le but de faire croire qu’il avance ; et lorsqu’un quelconque de ses pans s’effondre, nous hurlons au génie et à la subversion ; car ce vieux monde, qui ne le voit ? nous ne le remplacerons par rien, simplement parce que construire aujourd’hui quelque chose pourrait peut-être nous donner quelque chose à conserver demain, et que nous nous refusons tout net à cet régression-là. Nous allons tout simplement faire beaucoup mieux : nous allons détruire ce monde, et puis l’abandonner. Oh, nous n’éviterons pas, sans doute, la barbarie, mais que voulez-vous ? c’est l’autre face du progrès. Disons, sa face réelle ; l’autre versant de l’utopie, comme toujours. Cette recette, si vous me passez l’expression, est certes historiquement éprouvée, mais pourquoi croyez-vous que nous éradiquons l’Histoire après que nous l’avons comme une déesse antique hissée sur piédestal ? « Du passé faisons table rase, le monde va changer de base », disait la chansonnette entêtante. Et en fait de base, camarades, croyez-moi, il y aura ce qu’il y aura quand tout sera détruit, même les ruines, et il n’y aura de fait rien qu’on puisse précisément nommer. Car voyez-vous, et c’est le point, détruire l’Histoire nous permet paradoxalement de la remonter, d’en remonter le cours, de remonter le temps, d’entrer, dans la vie même, à l’intérieur de ces mythes anciens que notre époque exténue – et de les démolir dans ce sens-là aussi… Ce dont plus personne ne devra avoir connaissance, chacun le vivra sans conscience, dans une vie animale, comment dire ? purement béatifique ; ou pour le moins : extatique. Car en vérité je vous le dis, c’est au profit de la vie, camarades, que nous détruisons la connaissance, j’aimerais ce soir vraiment vous en persuader. En réalisant l’homme, l’homme sans transcendance ni médiation, en faisant simultanément de lui un dieu, c’est-à-dire la référence suprême, et un animal, car la science ne nous révèlera jamais que de la matière et donc, au sens propre, ne nous révélera rien, nous évacuons l’homme, tout l’homme, nous évacuons dans le blabla l’hypothèse que sa parole est autre chose que l’information qu’elle émet. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », a dit jadis un humoriste oublié. Mais nous, si nous sommes là, c’est avant tout pour ruiner l’âme jusqu’à faire disparaître ce mot ; à quoi alors pourrait bien nous servir une quelconque conscience ? Nous travaillons à l’homme nu, à l’homme enfin débarrassé des objections ; nous travaillons pour le néant, et il n’y a rien à faire alors que dé-réaliser dans la réalité la Genèse : car nous remontons, mais dans la vie même et non pas dans son texte, un à un ses versets, et les faisons disparaître ; jusqu’au moment glorieux, qui vient mes camarades, qui vient, où elle ne pourra plus nous servir, même négativement, d’aune. « La terre était vide et vague. » Toute la Création, selon le mythe juif, avait été faite à coups de séparations successives, de discriminations. Ce grand diviseur de Dieu séparait, simplement en nommant, ceci de cela, puis de cela un autre ceci encore, jusqu’à faire, assez mauvaisement, sortir de l’homme la femme. Nous remontons réellement tout cela, et, soyons grossier puisqu’il le faut ! nous recollons tout ce qui avait été séparé, et parce que tel est notre seul outil, nous recollons tout cela à l’oubli. Nous les recollons une à une, ces séparations imbéciles, peut-être même pas dans l’ordre exact des versets, d’ailleurs, ni dans son ordre inverse, nous sommes plus chaotique que cela, et je vais vous dire pourquoi : parce que la destruction ne s’embarrasse pas des plans de l’architecte. Nous ramènerons Dieu même à son néant, et son Verbe avec lui, et l’Incarnation de son Verbe avec lui. Il n’y a plus le choix, notre volonté propre n’y sera même pour rien, car elle aussi, avec tout son fatras de péché et de libre-arbitre, nous la faisons disparaître au chaos. Qui ne voit que déjà, nous avons dépassé sans retour le moment de la première tentation, et de l’Arbre de la Connaissance du bien et du mal, sans parler même du premier meurtre, c’est-à-dire du premier parricide ? Laissez-nous rire. Qui ne voit que cette destruction que nous parons chaque jour des délices supposées de la création et du progrès ne nous mène aux contrées de l’innocence primordiale, édénique ? Et l’on viendra encore nous dire que je ne suis pas un garçon tout ce qu’il y a de plus pacifique. Oh, je sais bien qu’aucune civilisation jamais n’a pu se passer de ce que les hommes, depuis peu – et devinez grâce à qui ? appellent une religion, et qui leur fut la Vérité. Mais enfin, si l’on a pu lui inventer son aune, à celle-là, sans doute est-ce qu’elle n’était pas absolue… Mais que l’on se rassure, une autre vient, plus jeune, plus forte, une vérité intangible qui ne se soutient pas de l’esprit mais de la lettre pure, bornée. Mais chut… Regardez-moi bien, regardez. Je n’existe même pas, mes paroles flottent seules dans l’air vicié de vos villes, à moins que ce ne soit en vos cerveaux qui déjà me sont acquis, et il n’est pas certain que vous les oyiez vraiment, et vous-même, peut-être n’êtes-vous tout simplement pas là, faute de là ?

  • Virginie T., qualité essentielle (2)

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    Eloignons-nous encore de notre point de départ.

     

    Les grandes matriarchies supposées de Bachofen (Le Droit maternel), dont Klossowski prétend que la conception « reste toujours valable sur le plan fondamental de l’inconscient collectif » (Origines cultuelles et mythiques d’un certain comportement des dames romaines), afin de défaire toute prétention à la paternité, prostituaient les vierges en une cérémonie cultuelle leur permettant de s’identifier aux divinités telluriques…

    Si l’on considère que la biologisation de la fonction paternelle, sa traçabilité par l’ADN, qui parut à la Justice française valoir que l’on exhumât Yves Montand, par exemple, est une façon encore d’évacuer la Parole au profit de la Science ; si l’on considère que la biologisation de la fonction paternelle est en somme une façon encore de démolir le Père, lequel, toujours « incertain » n’existait que sur la parole de la mère, « certaine » ; si d’autre part l’on considère l’idéologie moderne confiant aux femmes, et surtout à elles seules, la gestion biotechnologique et « médicale » de la fécondité et de la reproduction – contraception et avortement inclus ; si l’on considère le déluge pornographique, hérité de ces libérations et libéralisations tant vantées, comme un incitation à vivre sa sexualité comme une boucherie (Pierre Legendre n’hésite pas à définir l’hitlérisme comme « une conception bouchère de l’histoire » et je ne suis personnellement pas éloigné de penser que l’hitlérisme, que je préfère nommer ici post-nazisme, ait gagné le cœur même de nos sociétés qui, comiquement, ne le savent pas du tout et, traquant partout le retour de la Bête, ne traquent jamais que leur ombre – le chasseur qui est aussi la proie ne diffère in fine son suicide que par le fait de traquer son ombre propre…), incitation visant l’obligation, le passage obligé ; si l’on considère que la laïcisation du mariage – le mariage républicain n’étant que le mariage religieux dépouillé du sacrement et partant, du sacré – tourne à sa pure et simple contractualisation libérale proposant des modèles de contrats pouvant être rompus et renoués à volonté, alors il faut bien admettre que nous nous approchons grandement, avec certes notre propre façon moderne et scientiste, de ces matriarchies supposées, et de leur mode de passage rituel. J’aurais tendance à penser, comme je l’ai dit dans la première partie de ce billet, que la fonction réelle (quoique par réelle, je ne veuille aucunement dire : voulue, ou consciente) des établissements scolaires est de permettre cette initiation (1).  

    Le tout bien sûr est emballé à l’amour, lequel est une invention conceptuelle typiquement occidentale du XII° siècle. Invention essentiellement féminine : une proportion non négligeable d’hommes jeunes étant partie en guerre (les Croisades, par exemple), les femmes purent imposer le mode de discours qui leur convenait le mieux, etc. Ce fut l’amour courtois, qui leur fit d’un coup atteindre les hautes sphères – il faudrait voir comment Dante, jusqu’en son Paradis, sacrifie, mais formellement, à cette nouveauté-là et finalement la récupère à son profit –, et le commencement de leur idéalisation et de leur divinisation, lesquelles ont leur tribut réel, je viens de l’évoquer, dans une forme singulière de prostitution visant à évacuer la fonction paternelle. Car le Père est une fiction ; on ne rencontre d’un point de vue technique d’abord que des fils et des filles, puis des mères. Le Père, comme fiction, est un ouvrage de la Parole ; et c’est cette Parole d’abord qu’il convient d’attaquer. Qui ne voit que le père moderne devra toujours davantage tenir sa légitimité d’un critère biologique sur lequel il ne devrait pas être trop compliqué de greffer un virement bancaire automatique, par exemple ; quitte à ce que ce post-père-là monnaie son absence, comblant ainsi perversement ce manque fondamental par lequel il était, et donc disparaissant. Ce qui revient ni plus ni moins à lever un impôt, impôt d’étrange facture, je le concède volontiers.

    Et si l’amour ne servait qu’à cela ? A faire payer.

     

     

     

     

     

    (1) Je n’insiste pas ici, faute de temps, et de courage, sur la dimension paganiste ou néopaganiste de ceci. On pourra néanmoins lire cette ébauche.

     

     

     

    (A suivre…)

     

     

  • Tentative d'éloge du mépris

     

     

    Je livre ici quelques notes volontairement schématiques, symétriques, qui devaient initialement servir à quelques personnages, et leur ont peut-être effectivement servi… Notez, je vous prie, que ces considérations ne concernent pas spécifiquement notre actuel microcosme européen, protégé de la réalité par des couches d’utopies, d’illusions ; je les espère plutôt liées à son passé, ou bien à son ailleurs géographique concret.

     

     

    Il y a différentes sortes de mépris.

     

     

    Il y a par exemple le mépris du soldat pour le civil.

    Le mépris de l’homme qui se bat, risque sa vie, pour celui qu’il protège. Mépris amusé, mépris blessé parfois.

    Le mépris amusé du courage pour la passivité. Le mépris blessé de qui a quitté l’enfance dans d’héroïques horreurs.

     

     

    Et puis il y a le mépris du civil pour le soldat.

    Le mépris de l’homme tranquille pour le va-t-en-guerre. Mépris inquiet : jusqu’où peut-il aller ? Face à l’ennemi, mais aussi contre moi ?

    Le mépris de l’homme qui élève ses enfants pour celui qui, avant d’avoir à se battre, a rêvé de se battre. Et quel homme n’a jamais eu ce rêve ?

     

     

    Voir dans ces mépris réciproques des indices de civilisation, une pudeur du respect – loin des affichages publicitaires, propagandistes, loin des exhibitions…

     

  • Virginie T., qualité essentielle

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    La virginité, elle non plus, n’est plus ce qu’elle était.

    Tout le pays, comme un seul homme, s’en émeut.

    Je trouve ça touchant, moi aussi.

     

    (La question de savoir si l’arrêt du tribunal de grande instance de Lille est vraiment conforme au droit, qui annule le mariage pour tromperie sur cette qualité essentielle qu’est, en l’espèce, la virginité, est une question juridique ; et il faut la laisser aux spécialistes, qui ne manqueront certainement pas d’y revenir…)

     

    Il y a donc encore des gens qui mettent une espèce de point d’honneur à vouloir une femme vierge. Des gens qui ne se fussent pas mariés si on leur avait dit que de virginité, justement, il n’y en avait goutte. Des gens qui se marient pour que la nuit de noces soit réellement, objectivement unique et en tout cas, sans précédent…

    Des gens qui pensent qu’il doit y avoir du mariage dans le mariage.

     

    Comme si le mariage ne devait pas d’abord être une parodie de mariage.

    Un prétexte à ne pas payer le lave-vaisselle et le lave-linge et la vaisselle à la con.

     

    Il n’y a plus beaucoup de symboles dans notre monde.

    Quand il en reste, d’ailleurs, on tape dessus à tour de bras.

    Et puis quand on a bien séparé le symbole de sa réalité, qu’on a bien défait la réalité, on réactive le symbole.

    Le versant parodique n’échappe à personne.

    N’importe quelle fille peut se marier en blanc.

    Qu’est-ce qu’on vient encore nous emmerder avec la réalité ?

    Avec la virginité ?

    Le blanc, symbole de pureté ?

    Mais mon pauvre ami, il y aussi de pures salopes (je plaisante) et elles n’ont aucune raison de se priver d’un beau mariage en blanc.

    En effet.

     

    Même l’Eglise catholique semble avoir renoncé à marier des vierges.

    Elle marie donc n’importe qui, n’importe comment, n’importe comment. Elle n’est pas trop regardante. Elle marie même, selon son folklore, depuis que le rituel est effondré, des tonnes d’athées qui se soucient de la virginité comme de leur première capote.

    Elle au moins ne les marie qu’une seule fois, certes.

    Mais de bonnes âmes ne semblent pas découragées de lui faire changer d’avis.

    Parce qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis.

    Et qu’on voudrait bien que le Pape cesse de faire le pitre.

    Et qu’il devienne enfin moderne.

    Et qu’il défile à la Gay Pride.

    Et qu’il marie des homosexuels (épilés) de tous poils.

    Bref, on se marie à l’église comme on pose avec Mickey.

     

    Ce qui est scandaleux, dans cette affaire, c’est au fond cela : penser qu’au XXI° siècle, une fille devrait arriver vierge au mariage.

    Alors que nos belles gosses ont l’air moitié débile si elles ne se sont pas déjà fait troncher à quinze ans par des connards de dix-sept.

    Ce à quoi la libération pornographique les encourage sans cesse.

    Au point que je me demande, sérieusement, si la finalité cachée des collèges et lycées de France – dans lesquels la transmission des connaissances est tellement inexistante qu’elle finit par passer pour un prétexte plutôt malhabile –, n’est pas tout simplement de permettre à un maximum de jeunes gens destinés à demeurer adolescents le plus longtemps possible, et si possible à vie – l’adolescent étant bien sûr le moutonnier consommateur idéal, dépourvu de tout esprit critique réel – et ne tient pas tout entière dans cette idée de dépucelage générationnel institué.

    Mais peu importe, puisqu’il faut désormais passer par là.

     

    Et tout à coup, l’annulation d’un mariage pour tromperie sur une qualité essentielle : la virginité.

    Merde, deux siècles (bon an mal an) de République et de démocratie pour constater, malgré tous les efforts de destruction civile faits que :

    Il reste du mariage dans le mariage.

    Ce qui peut-être n’est pas tant une mauvaise nouvelle : Il reste encore des trucs à péter.

    (Parce que le progrès, quand même, ça consiste quand même à péter des trucs qui étaient là avant, et ça, c’est superpositif, ouais. Et cool, en plus. Yes.)

     

    Heureusement que cette jeune fille – pardon, cette jeune femme – est musulmane.

    (Quoique cela n’ait sans doute rien à voir avec la décision de justice, cela a tout à voir avec les réactions merdiatiques, pipolitiques, rachi(dada)tiques, etc.)

    Si elle avait été catholique, on eût hurlé au fascisme, à l’intégrisme, au retour des heures sombres de notre histoire, à je ne sais quoi encore.

    On en aurait plaisanté, aussi. Avec lourdeur. Mais enfin, on en aurait rigolé, même grassement.

    J’ai essayé, dans l’un ou l’autre spectacle, de plaisanter gentiment (et brièvement, aussi) sur l’islam.

    Silence total, sépulcral.

    Les gens sont écrabouillés de terreur.

    Ils n’ont pas le droit de rire, comprenez-vous.

    Ils ne sont pas autorisés.

    Parce qu’au fond, l’islam, c’est sacré.

    Eh oui, déjà.

     

    Moi, ça me fait rire encore plus, mais bon.

     

     

     

     

    (A suivre...)

  • Un peu de moujik, pour changer

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     Pour une fois que j’aime quelque chose, j’en parle. Ce n’est pas du théâtre, évidemment, dira-t-on… Mais d’ordinaire, je ne cours pas non plus après ces musiques difficilement définissables, et conséquemment : actuelles.

     

    J’ai donc vu l’autre soir, samedi 31 mai, à Reims, au festival Brise-glace, un set d’un groupe d’un seul musicien, nommé moujik – alias Matthieu Dehoux. « Auto-définition : électro-rock débridé ».

    Entre les morceaux, le type plaisante, fait même de longues phrases françaises, cohérentes, plutôt drôles, qu’il maugrée et s’amuse même parfois à laisser inachevées. Il parle au public comme s’il était seul, marchant en rond dans la salle, sans trop apparemment se soucier d’être entendu ou compris, fait ses réglages à vue, passe du synthé à la batterie, sur laquelle il joue à pleine puissance – ce dont la vidéo ne rend ici que très relativement compte…

    Puis de nouveau quelques phrases en marchant autour du dispositif instrumental, d’une désinvolture éclatante.

    Et synthé, samples, batterie.

     

    Me plaît également cette façon de quitter la batterie en jetant mollement les baguettes derrière soi, après quelques minutes d’un déluge de violence millimétrée.

    Et puis, c’est une musique sans pathos – aucun « message » à la con, pour une fois –, ce qui repose – étrangement, malgré ou grâce à la puissance sonore.

    Une abstraction fantasque, virtuose. J’y trouve une joie rayonnante. Une sérénité.

    (On va dire que je suis branque.)

     

    Désinvolture et puissance, humour et abstraction.