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Tragédie, farce (1), par Stéphanie M.

 

 

Paul Newman Liz Taylor.jpg

0. Préface pour plus tard

 

C’est par pitié que j’écris. J’ECRIS PAR PITIE. Au point paradoxal de retournement du mépris. Là exactement où ce qui doit être adressé aux pitoyables est lui-même nécessairement impitoyable et prend le nom glorieux de Pitié, donc. TOUT EST A MERCY, donc.

Je n’ai pas vraiment voulu ce qui suit, que j’avais idiotement commencé en anglais. La ville par la fenêtre, c’est un morceau cubique noir de New York (que j’ai quittée) sous un ciel bleu acier. Les personnages sont Lui, Elle, et Moi (hélas). Il y a mon histoire finie avec un homme marié, et le souvenir d’un enfant mort (le sien). Après coup, je me suis dit que j’avais pas mal instrumentalisé l’homme dans ce poème (dramatique ?). Et alors ? Qu’est-ce que vous voulez que ça me foute ?

Ce qui est bien plus emmerdant, c’est qu’il faudra des tas de machines et du temps pour représenter ça, qui est juste du brouillon violent. Et que donc la spontanéité (fausse, trafiquée pourtant) sera partie en couilles. Et on fera passer l’obscurité pour de la profondeur. Alors que merde, c’est juste de l’obscurité. Ça s’appelle Tragédie parce qu’il n’y en a pas.

Juste l’agonie rendue presque indolore, morphine à flux tendu.

Novembre 2004, Stéphanie M., New York/Marseille 

 

 

ACTE I

 

1. Linteau (Dans la ténèbre)

 

LUI. – Au cas où ce ne serait pas clair, je lève un doigt à la poésie, à la littérature, à tous les arts, j’emmerde tous ces abrutis défenseurs de toutes les cultures subsalopes, j’érige bien haut mon médius d’honneur à l’humanisme catafalqué administrant sa charge létale rétroactive, je regrette que la Parole ne soit pas crevée et avec elle les animaux parlants en leur absolue totalité, je regrette la Création. Personne ne peut plus rien pour moi. MERCI. TROIS FOIS MERCI. En ce temps-là, je serai assis, du sable lentement coulera dont mes mains impuissantes n’ont retenu nulle sensation, et le petit garçon vint à moi, viendra encore, disant : « Père, je suis un soldat, je fais ce que tu veux, je suis ce que tu veux. » Je le regardai longuement ET infiniment, m’entendant dire enfin : « JE NE PEUX RIEN TE DEMANDER. » Ce qui nous sépare est infiniment rien, mon petit enfant mort, ô infiniment rien. Et je songeai combien l’absence est incuse. – Ce matin, dans un instant d’arrêt de tout, en regardant la toute-petite, je me suis effondré de joie, pour toujours, de joie, oui, de joie. Il y eut un soleil neuf et tout lui sera dû. Je ruisselais, mais invisiblement. OUI.

 

ELLE. – Je suis comme les chats, mon amour, j’ai plusieurs vies ; mais je les vis toutes ensemble, délicatement. Il ne s’agit pas ici, vois-tu, d’opinions personnelles ou de choses comme ça. Au contraire. Cette époque a pilonné le langage, tellement qu’il y en a plus. Même les ruines à présent, sont détruites. Il faut tout réinventer : les mots, l’amour, les corps. On va rire.

 

 

2. Publicité pour Tragédie (Debord et moi)

 

A la place du film, sa description :

 

LUI. – Gros plan sur la bouche de l’actrice. Dézoom très lent durant tout ce qui suit :

ELLE. – J’ai été embauchée dans cette publicité pour Tragédie et on m’a dit qu’il fallait que je montre mon cul parce que je suis encore jeune et pas trop mal foutue et que, bon,  ce sont justement ces culs-là qui font vendre… Or je ne montre pas mon cul mais ma gueule parce que ma gueule, c’est ce que moi j’ai intérêt à vendre… tandis que mon cul seul, mon cul sans ma gueule quoi, qui va deviner qu’il est le cul de cette gueule-là ?…

LUI. – Visage de l’actrice, derrière lequel peut-être on devine un miroir. Plan fixe :

ELLE. C’est l’unité de la misère qui se cache sous ces oppositions apparentes. Chaque marchandise déterminée lutte pour elle-même, ne peut pas reconnaître les autres, prétend s’imposer partout comme si elle était la seule.

LUI. – Dézoom lent, lequel fait apparaître dans le miroir des arbres, de la verdure, du ciel… :

ELLE. Mais bon, il faut que je vous vende ce truc-là, Tragédie… et après tout je ne vois pas quelle différence ça fait, ma gueule ou mon cul, sauf que ma gueule on voit bouger les lèvres, l’essentiel c’est que je sois payée et comme c’est encore un machin culturel à la con mon cul qui cause est subventionné par tout un tas de saloperies publiques administratives ou quoi… Ce qui dit bien ce que ça veut dire.  

LUI. – On voit à présent le buste nu de l’actrice ainsi que, dans le miroir derrière elle, l’homme qui tient la caméra :

ELLE. A l’acceptation béate de ce qui existe peut aussi se joindre comme une même chose la révolte purement spectaculaire : l’insatisfaction elle-même est devenue une marchandise dès que l’abondance économique s’est trouvée capable d’étendre sa production jusqu’au traitement d’une telle matière première. En concentrant en elle l’image d’un rôle possible, la vedette, représentation spectaculaire de l’homme vivant, concentre ce mouvement de banalisation qui, sous les diversions chatoyantes du spectacle, domine mondialement la société moderne.

LUI. – On voit à présent l’actrice totalement nue, amorphe, banalement assise sur une chaise de merde et tenant un papier plié à la main :

ELLE. Bref, pendant qu’on regarderait mon cul je devais dire quelques phrases assez simples et pas drôles avec un air pénétré, enfin je veux dire un ton ému ou un truc comme cela, une voix comme saisie par la beauté un peu plouc quand même de cette espèce de poème autobiographique qui, il faut bien le dire, est quand même vachement plus simple que le reste du bordel que mon cul était ou serait censé vous vendre… Bon, voilà le machin…

LUI. – L’actrice déplie son papier, pivote et tourne le dos à la caméra, posant ses genoux sur le siège et ses coudes sur le haut du dossier, en clair – hypocritement et non – elle ne nous montre pas tant son cul qu’elle ne nous tourne ostensiblement le dos, et lit lentement :

 

ELLE. – … [Le problème, c’est qu’on ne comprend pas du tout ce qu’elle dit… Alors on n’a qu’à dire ma préface, ou des bouts de ma préface.]  

 

LUI. – L’actrice revient vers nous, et les larmes-aux-yeux. Zoom rapide jusqu’à son visage, lent jusqu’à ses yeux :

ELLE. Rezoome un peu connard, je pleure tellement c’est émouvant. Et ça, je veux que ça se voie…

 

LUI. – Long silence. Puis, matérialisée par quelques secondes d’écran noir, fin du film… Qui reprend aussitôt du début, mais sans le son. Voix de l’actrice, off :

 

ELLE. L’humanisme de la marchandise prend en charge la culture et les loisirs de l’humanité et domine tout simplement ces sphères en tant qu’économie politique. Le reniement achevé de l’homme prend en charge la totalité de l’existence.

– Achetez Tragédie.

– Le langage de la communication s’est perdu, ainsi que l’exprime l’anéantissement de tout art.

– C’est mon cul qui vous parle.

– Plus l’exigence de cet art est grandiose, plus sa véritable réalisation est au-delà de lui.

– Mon cul aime Tragédie et il vous parle de la communication de l’incommunicable.

– Il n’y a pas d’autre monde que celui-là.

– Débrouillez-vous avec lui.

– On vous aime.

La suite est ici.


 

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