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Fusées - Page 55

  • Vengeance

     

     

    Te voilà empêtré dans tes contradictions, crois-tu. Regarde-toi. Comment peux-tu désirer une chose, et en même temps ne pas l’aimer ? On dirait une vengeance.

    L’étrange machine mauvaise que tu es – aussi. A ton insu ? Vraiment ? Mais tu ne veux pas savoir, n’est-ce pas ?

    Tu te venges. Par le désir. Tes contradictions sont en tas, maintenant. Elles ne formeront pas un édifice présentable.

    Mais tu n’es pas tout le temps bête. Parfois, pour un moment plus ou moins bref, tu te rends compte, et te vois. Puis ta main chasse d’un revers cette grâce. Pauvre fou.

    Tu n’aimes pas, mais voudrais posséder. Vanité. Et ta vengeance n’aboutit pas, ne venge rien, se dissout au néant. Tu es un insensé.

    Tu es un assassin rentré. Un insensé. Un impuissant. Un possédé.

    Les horizons te bouffent. Tu désires et voudrais posséder. Tu veux te venger de toi, petit d’homme ? Mais ton action, avant même d’être, est celle du monde contre toi.

    Tu n’es jamais tant pire que lorsque tu désires du bien. C’est une misère d’arrangement. Pour te supporter. Regarde-toi, ce n’est encore pas toi que tu verras, salopard.

    Tu ne sais pas te voir seul.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Un retour...

    Je roule lentement au travers de la forêt immense tandis que la radio crache des appels rythmés au meurtre de flics. Je descends maintenant vers ma ville et elle n’est pas encore à feu et à sang ; j’arrête la radio. Je me souviens brutalement du crucifix taggé, tout à l’heure, dans les vignes. Les temps vont concorder bientôt, parfaitement, dans le chaos. Du moins, il m’est loisible de l’espérer. Quand j’ouvre les yeux, je comprends que je me suis arrêté et allongé au bord de la route. J’entre enfin dans ma ville, le long d’interminables barres d’immeubles, en écoutant L’art de la fugue. Pluie fine, à présent. Ensuite, j’ai gardé quatre jours cette musique en moi, et l’ai beaucoup fredonnée.

    C’est la guerre…déjà. Contrairement aux apparences, je n’exagère jamais. Mais chut…

  • Crépuscule

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    Enfin une chose que ce monde réussit parfaitement : faire coïncider exactement sa dimension comique et sa dimension tragique.

    Lesquelles, pourtant, ne se mélangent pas.

     

    Comprendre ce qu’il y a là-dessous de néant n’est pas une mince affaire.

     

    Une phrase venue conclure une conversation des plus banales, entendue hier au troquet, peut-être, résume cela :

    – Ouais… Même l’apocalypse est décevante…

    Un éclat de rire suivit. Le gars qui avait causé riait tout seul. Et le silence lui répondit.

    Par silence, j’entends : la radio en fond sonore.

    Une bluette imbécile, passablement rythmée.

     

    – Tu sais quoi ?

    – Non…

    – Tais-toi encore plus.

    C’est ce que je me dis, souvent.

    Mais je suis un incorrigible bavard, engeance d’homme.

     

    Et puis non, ce n’est pas se taire, qu’il faudrait, mais trouver le silence.

     

    Trop faible foi.

    Trop d’artifices mondains.

    Trop de hurlements tus.

    Ces soirs où je me sens un meurtrier…

    Un meurtrier privé même du souvenir de son acte.

    Et cherchant…

    Cherchant vainement.

    Au point de se sentir comme doublé de vanité.

     

    La vanité fait un bruit de ronronnement continu, que d’abord on n’entend pas ; et l’on croit au silence ; puis l’oreille s’accoutume, détaille et réalise que le silence est absent.

    Toujours une parole, même tue, peut-être surtout tue, abolit sinon ce silence attendu, du moins son illusion.

    Et tant mieux.

     

    Sans cette souffrance légère, presque inexistante, qui sentirait sa vie, le poids énorme de chaque matin pourtant neuf ?

    La saloperie aussi sauve.

    J’espère, en tout cas.

     

    De la saloperie seule, oui, le salut peut venir.

    Car ce qui n’est pas saloperie n’a nul besoin de salut.

     

    (Je suis très légèrement ivre. J’ai bu très peu, mais suis debout depuis maintenant quarante-trois heures. Le moment du sommeil est repoussé à chaque seconde plus facilement ; l’effort consiste donc à se coucher, à présent. Bien. N’oublie pas que des gens t’aiment, connard.)

  • Prison rose

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    La femme parle en premier :

    – J’ai fait repeindre en rose la prison ; tu ne sortiras pas d’ici vivant.

    – Et alors ?

    – Je t’imaginais davantage aimer la liberté. Mais cela même, tu es trop fier pour l’admettre.

    – Du temps que je régnais, je ne faisais nul cas de la liberté, et ce faisant, la laissais libre. Vous ne m’en privez pas, ma petite fille ; car vous ne me pouvez priver que de ce qui m’appartient.

    – Tu vas souffrir ici, mon oncle.

    – Certainement. Mais cela du moins est à moi.

    – Il faut que tu croupisses et souffres et meures ici. Toi ôté, le monde est libéré, chacun fait selon son désir. Nous n’avons plus besoin de soldats, nous n’avons plus besoin de devoirs.

    – Vous n’avez plus d’honneur.

    – Qu’importe, je n’aurai pas d’enfant.

    – Ton monde meurt, imbécile. Quel âge as-tu à présent, Ingrid ?

    – Moins que celui que je parais, puisque je ne parais évidemment pas mon âge.

    – Tu as toujours ce visage d’enfant butée, mais comme ciré, et cireux. Ton visage d’enfant est un masque de mort.

    – Non. Tu me hais.

    – C’est une décision que tu as prise. Je ne te hais pas. Simplement, il te fallait ma place, vite, toute ma place, tout de suite, quitte à me marcher sur la face. Je ne te souhaite pas qu’un jour tes enfants à leur tour t’imitent.

    – Mes enfants ? Quels enfants ? Je les tue dans mon ventre. Quant aux autres enfants de la Cité, ils me seront soumis. Comment ne reconnaîtraient-ils pas en moi la révolte, leur révolte, la matrice même de toutes les révoltes ?

     

    *

     

     

    Voilà, c’est tout. C’était une page de carnet, griffonnée ce matin dans un quelconque buffet non fumeur d’une charmante gare de Province. J’ai simplement imaginé d’inverser le rapport de pouvoir liant Antigone et Créon. Le vieux homme en tenue militaire approximative est arrêté, placé dans une cellule – bizarrement ? – rose (fluo). Nantigone (oui, Nantigone, pourquoi pas ?) lui rend visite – peut-être, pour plus de transparence, les protagonistes sont-ils séparés par une vitre blindée.

    Une autre note (très approximative et schématique), la veille :

    « Nantigone, fille de Nœdipe, pour exister, doit fantasmer son père en une espèce d’Hannibal Lecter. Elle doit le transformer en Hannibal Lecter, quitte à récrire l’histoire entière. Et par extension tout homme plus âgé qu’elle… » Pour Lecter, je pense surtout aux films, et donc à Anthony Hopkins. De Thomas Harris, j’ai seulement lu Dragon rouge, probablement peu après sa sortie en France, dans les années 85 (au pif).

     

    Je l’ai appelée Ingrid, finalement, (je voulais un prénom charmant et froid, papier glacé, qui sente le Nord, i. e. la Réforme) et lui est anonyme. Nommer (ou évoquer) Antigone, ou même Créon, les eût rendus illisibles. « Mon oncle » a l’inconvénient de rappeler le Fou dans King Lear, et « Cela du moins est à moi », à propos de la douleur (ou de la souffrance, je ne sais plus), est de Claudel (Mesa, je crois, dans Partage de midi).

     

    Restons-en là.

     

  • Détresse

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    – Dis donc, mon vieux, je suis tombé sur ton blog : tu ne vas pas te faire que des copains…

    – Ouais, c’est pas meetic, mon blog.

     

    Bien. Je serais curieux de savoir combien de gens, de nos jours, écrivent, si l’on peut dire, pour se faire des copains.

    Peut-être, par ces temps de détresse, n’ont-ils trouvé que cela pour repousser un peu le suicide. On le leur souhaiterait presque, si l’on était gentil.