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Theatrum Mundi - Page 126

  • Pour la plus grande Gloire de Rien

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    (Article initialement publié sur Ring

    C’est une chose étrange et banale à la fois d’arriver dans une ville la veille qu’elle soit défaite ; de voir les dernières heures de la vie ordinaire tout affairées à aplanir la capitulation et bienvenir leur sac ; de saisir, sans pouvoir autre chose que sourire, ce contresens énorme par quoi une intelligence moyenne livrée à son jugement faussé, travaille à rien moins que s’éradiquer totalement, parfaitement convaincue pourtant de sa réussite assurée – et sinon convaincue, du moins conditionnée assez pour répéter sans cesse comme une formule magique les paroles convenues.

    Car Avignon cette nuit sera intégralement dégueulassée d’affiches bariolées pendouillant à ses murs au point que ses vieux remparts mêmes auront l’air d’être en toc, en carton-pâte ; demain sera pourrie de colonies d’artistes et assimilés, depuis le deuxième classe sale et fauché, roots quoi, mendiant une cigarette à quelque adjudant subventionné de province jusqu’au général de brigade naviguant de réception en réception, ne considérant pas même les spectacles comme autre chose qu’une réception encore, un peu barbante comme toutes ces choses de protocole, mais qu’il faut bien s’appuyer…

    Les discours officiels, écrits depuis longtemps, avec leur lot de formules interchangeables et sibyllines, sur des tons légèrement différents selon le pouvoir dont ils émanent, politique ou médiatique, encenseront rituellement, religieusement, la destruction planifiée, avec toutefois ce chouïa apparemment critique de réserve ou de déception, selon ces mêmes sources toujours, qui n’est chaque fois qu’une façon enchanteresse, je veux aussi bien dire : sorcière, de nous promettre que le pire est encore à venir, et qu’il faudra, petits soldats de l’inculture divinisée, recommencer l’année prochaine.

    Car il ne sera, à propos d’Avignon et de son Festival, question que de culture et puis surtout de création et donc de nouveauté et conséquemment de provocation et donc de levée de tabous, ce que seule permet l’image, la vraie, pas celle de la télé ; il ne sera pas tellement question d’art, le mot ayant passé, « mort de vieillesse » comme disaient les enfants, mais plutôt du statut des artistes, pauvres soldats de l’imbécillité instituée auxquels notre salope République bananière ne verse pas correctement leur solde, ce qui contraint ces chéris à une précarité accrue, et parfois même si des caméras traînent, à la révolte apparente, quand ils n’aspireraient qu’aux délices feutrées du bas-fonctionnariat merveilleux, insipide, cette Terre promise de l’égalité du prolétariat avec lui-même.

    Et cette nuit, la nuit suivante, et celle d’après encore, commenceront d’entrer discrètement, presque insidieusement, dans la jusque-là terne ville d’Avignon, des légions d’acteurs subordonnés et d’acteurs culturels posant aux petits chefs, lesquels ensemble prendront ensuite d’assaut, dans le désordre qui marque ces opérations de terrain, toutes les rues de la vieille ville, du midi jusqu’à la fermeture des cafés, quoique chacun, selon son rôle et sa fonction, se trouve devoir au prétexte justifiant l’invasion quelques heures réglementaires d’astreinte dans des salles privées de lumière naturelle ; on trouvera aussi, bien sûr, mêlés à ces professionnels de la profession quelques miliciens bénévoles, amateurs éclairés de cette destruction qu’ils vénèrent, ne rechignant pas, même, le reste de l’année, à leur échelle modeste et avec les trop maigres moyens qui leur sont consentis par leur trop frileux ministère, à éduquer à la déprédation institutionnalisée les jeunes générations ; cette nuit, donc, ou bien la nuit suivante, le siège d’Avignon aura commencé et, parce que c’est un siège moderne, et par suite inversé, il commencera du-dedans des remparts et prendra le beau nom de Festival.

    Pour la plus grande Gloire de Rien et le Salut égalitaire de Tous.

    Mais tout ceci même n’est qu’apparences.

    Tout ceci n’est que manifestations superficielles offertes à la crédulité des masses, qu’il faut sans cesse consolider, tout ceci n’est que choses perpétuellement données à voir pour être crues, afin qu’il n’y ait rien d’autre à voir et rien d’autre à croire, afin que soit interdit, invisible autant qu’incroyable, le temps de voir et croire autre chose. Car tout ceci n’est que réjouissances tirées à blanc et festivités religieuses d’apparat, et tout ceci, quoique les petits soudards de la culture tout à l’exécution hallucinée et mécanique des ordres ne veuillent pas le savoir, n’ayant pas à le savoir, est simplement un exercice, soldat, un exercice en conditions.

    Et mieux qu’un exercice intensément moderne, car la part d’exercice en quoi consiste de prendre une ville et de la mettre à sac au nom du Bien lui-même enfin descendu sur cette terre, avec la complicité, la collaboration, et peut-être même, si j’ose le mot, la communion pleine et entière, de sa population, n’est rien moins qu’une expérience, rien moins qu’une expérimentation.

    Car Avignon, depuis longtemps, est la ville que doit devenir toute ville, la ville offerte à toutes les expérimentations ; car Avignon est chaque année pendant un mois la ville que toute ville doit devenir toute l’année ; car Avignon est la ville cobaye sur laquelle les expérimentations modernes les plus virulentes sont pratiquées ; car Avignon est en somme la cellule souche du virus qui doit emporter, détruire, ravager toutes les villes d’Occident, à commencer par leurs capitales. Avignon est pendant un mois ce que doit à terme devenir, et ce que devient effectivement Paris, par exemple, chaque jour de l’année. Et, selon les critères propres de ses expérimentateurs, elle est l’avenir.

    La prise moderne d’une ville diffère de façon conséquente de la façon ancienne, archaïque, en un mot : militaire, de procéder, en ceci au moins que les petits soldats de la culture qui la pénètrent, en dépit qu’ils se pensent des acteurs quand ils sont à peine figurants et qu’ils se rêvent des héros quand ils ne sont que la chair anonyme de nos nouveaux canons sociométriques, sont effectivement les derniers à la pénétrer, et non pas comme jadis les premiers. Car tout, absolument tout, avant leur assaut, a été réglé et prévu, et mieux : planifié et administré, non pas de l’extérieur comme jadis, mais tout bonnement de l’intérieur ; et pour parodier un peu la belle langue des contrats, le juridisme occidental étant certainement le dernier lieu où la précision de la langue devra être conservée pour cette raison supérieure que dans les artères et les veines de ce corps-là circule et se recycle, et se recyclant se nettoie, tout ce que le reste du monde compte d’argent, et pour parodier un peu, dis-je, la belle langue des contrats, on peut dire que les producteurs, ou les promoteurs, de la prise moderne de la ville d’Avignon se sont assurés de la collaboration de la population locale, pour ne pas parler, une fois encore, de communion pleine et entière (si l’on veut m’objecter ici que des autochtones fuient le mois de juillet, je répondrai doucement qu’ils vont ailleurs participer à la prise d’autres villes, d’autres sites, tout au plus moins significatifs ou exemplaires). Et comment s’assure-t-on, en notre monde moderne, de la collaboration de la population locale ? Eh bien, en la payant. Quoi d’autre ? La destruction des villes ne se fera pas sans s’attacher leurs habitants par d’enviables retombées commerciales, et si les intermittents et autres miliciens du spectacle colonisant Avignon avec une légitimité proclamée de libérateurs culturels trouvent aujourd’hui à se plaindre de ce que les commerçants d’Avignon non seulement pratiquent des tarifs très élevés mais par surcroît se paient le luxe de ne même pas être aimables, c’est uniquement parce que, ce Festival ne durant qu’un mois, les autochtones ont encore le moyen, malgré l’argent, de comparer leur vie de juin avec leur vie de juillet et de trouver la première nettement plus agréable. Il va sans dire que ce léger désagrément collatéral est à imputer, non à l’expérience même, indiscutable quant à ses fondement et légitimité, mais au contraire à sa limitation dans le temps ; car il est évident à tous qu’en supprimant le moyen de comparer, on supprime également les petits désagréments dus à la comparaison même ; de sorte que ce désagrément lui-même finit par plaider pour une extension à l’année de ces jours de culture et de fête.

    Il faudra donc amplifier encore et toujours, religieusement, et avec tout ce que la religion peut avoir de salvatrice inconscience d’elle-même, le discours culturel vantant publicitairement les bienfaits inexistants de la culture de masse. Il faudra donc que les camelots culturels, quels que soient leur grade et leur fonction, venus en force à la Foire exposer, vendre et acheter leurs marchandises culturelles et, ce qui n’est pas accessoire, distribuer leur pognon à de grincheux autochtones dont ils détruisent la ville, soient absolument convaincus, pour être absolument convaincants, qu’ils travaillent, et mieux que tout ce reste du monde qui ne leur est que concurrence, à l’édification d’un monde meilleur, généreusement utopique et merveilleusement tolérant, défendant la solidarité en critiquant vertement, chaque fois qu’il est possible et il est souvent possible, le règne corrupteur et corrompu de l’argent, des marchandises et de l’inculture. Car il faudra détruire toujours davantage les villes, au motif de les émanciper et de les libérer des anciennes formes de civilité et de décence ; et il faudra toujours davantage, au nom de l’égalité, faire reculer les règles et les normes et faire sauter des tabous qui n’existent même plus, puisque n’est réellement tabou que ce dont on ne parle pas, faute d’en avoir l’idée et peut-être même les mots ; et il faudra toujours davantage, au nom de la culture, détruire la civilisation et abrutir les masses en exterminant l’individuation ; au nom de nos valeurs modernes, ruiner l’ancienne morale immonde ; au nom de la conquête de nouveaux droits abstraits, prendre d’assaut et détruire d’anciennes réalités concrètes, instituées de toujours ; au nom de la gratuité, vendre ce qui était donné, et instaurer partout où il n’était pas présent encore le règne de l’argent ; au nom d’une liberté sans frein, développer à l’infini de nouveaux outils juridiques interdisant les anciennes coutumes et, bientôt, obligeant aux nouvelles. Et il faudra toujours davantage dire le contraire de ce qu’on fait, en y croyant de toute sa foi d’acteur culturel contestataire par décret officiel, et éduquer toutes les générations futures à répéter malgré eux, à tout bout de champ, ou de chant, sans aucun cadre, et donc en public comme en privé, puisque rien ne doit permettre de séparer, autant dire : discriminer, rien de rien, de longues bribes de cette atroce liturgie de la modernité.

    C’est par tout cela, par toute cette expérimentation de culture intensive, limitée, on pourrait dire : sous cloche, par toute cette mise en œuvre de destruction massive que l’on cachera incessamment sous le couvert désormais religieux de création, et d’obligatoire positivité, que le Festival d’Avignon peut être dit d’avant-garde. Et l’on comprend mieux à quel noir dessein occulte, et avec quelle ironie sans aucune conscience d’elle-même, on fait servir l’ancien Palais des Papes et Antipapes.

    Pour la plus grande Gloire de Rien et le Salut égalitaire de Tous.    

    Comme le journalisme, tout uniment, comme chaque année, va venir nous parler du « coup d’envoi » de ce Festival, j’ai simplement trouvé plus amusant de commencer par la conclusion.

    Vous ne vous en êtes sans doute pas aperçu, mais tandis que vous lisiez ce petit texte, la nuit entière a passé. Ça y est.

    Le Festival a commencé : Avignon est une ville in-festée.  

     

  • Le monde qui fait le malin... (En lisant Renaud Camus)

     

     

     

     

    Nous sommes les derniers. Presque les après-derniers. Aussitôt après nous commence un autre âge, un tout autre monde, le monde de ceux qui ne croient plus à rien, qui s’en font gloire et orgueil.

    Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cessons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin. Le monde des intelligents, des avancés, de ceux qui savent, de ceux à qui on n’en remontre pas, de ceux à qui on n’en fait pas accroire. Le monde de ceux à qui on n’a plus rien à apprendre. Le monde de ceux qui font le malin. Le monde de ceux qui ne sont pas des dupes, des imbéciles. Comme nous. C’est-à-dire : le monde de ceux qui ne croient à rien, pas même à l’athéisme, qui ne se dévouent, qui ne se sacrifient à rien. Exactement : le monde de ceux qui n’ont pas de mystique. Et qui s’en vantent. Qu’on ne s’y trompe pas, et que personne par conséquent ne se réjouisse, ni d’un côté ni de l’autre. Le mouvement de dérépublicanisation de la France est profondément le même mouvement que le mouvement de sa déchristianisation. C’est ensemble un même mouvement de démystication. C’est du même mouvement profond, d’un seul mouvement, que ce peuple ne croit plus à la République et qu’il ne croit plus à Dieu, qu’il ne veut plus mener la vie républicaine, et qu’il ne veut plus mener la vie chrétienne, (qu’il en a assez), on pourrait presque dire qu’il ne veut plus croire aux idoles et qu’il ne veut plus croire au vrai Dieu. La même incrédulité, une seule incrédulité atteint les idoles et Dieu, atteint ensemble les faux dieux et le vrai Dieu, les dieux antiques, le Dieu nouveau, les dieux anciens et le Dieu des chrétiens. Une même stérilité dessèche la cité et la chrétienté. La cité politique et la cité chrétienne. La cité des hommes et la cité de Dieu. C’est proprement la stérilité moderne. Que nul donc ne se réjouisse, voyant le malheur qui arrive à l’ennemi, à l’adversaire, au voisin. Car le même malheur, la même stérilité lui arrive. Comme je l’ai mis tant de fois dans ces cahiers, du temps qu’on ne me lisait pas, le débat n’est pas proprement entre la République et la Monarchie, entre la République et la Royauté, surtout si on les considère comme des formes politiques, comme deux formes politiques, il n’est point seulement, il n’est point exactement entre l’ancien régime et le nouveau régime français, le monde moderne ne s’oppose pas seulement à l’ancien régime français, il s’oppose, il se contrarie à toutes les anciennes cultures ensemble, à tous les anciens régimes ensemble, à toutes les anciennes cités ensemble, à tout ce qui est culture, à tout ce qui est cité. C’est en effet la première fois dans l’histoire du monde que tout un monde vit et prospère, paraît prospérer contre toute culture.

    Péguy.jpg

    Ce texte est de 1910. Il est de Charles Péguy, dans le volume intitulé Notre Jeunesse. J’ai trouvé cet extrait dans le recueil dû à Denise Mayer La République… Notre Royaume de France (Nrf, Gallimard, 1946), que j'ai déjà cité ici. La phrase exacte de Péguy, tirée de L’Argent, qui donne son titre à l’ouvrage est celle-ci : « La République une et indivisible, c’est notre royaume de France ». (Sur un sujet voisin, avec moins de talent : De l'invertissement II, Tu ne transmettras point, Du devoir d'insubordination, De l'approbation du monde.)

    C’est la lecture de La grande déculturation, de Renaud Camus, qui m’a donné l’idée, ce soir, de le copier ici.  

     

    Renaud Camus. Déculturation.jpg

     

     

  • Claudel dans le programme

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    Je continue ici ma lecture aléatoire du programme officiel du Festival d’Avignon 2008, livret bien édité, d’une centaine de pages.

    Je rappelle que les « artistes associés » de ce Festival sont la comédienne Valérie Dréville et le metteur en scène « concepteur » Romeo Castellucci.

     

    C’est en tombant, à la fin du volume, sur la page « Calendrier des spectacles » que je m’en suis aperçu :

    Ils avaient disparu.

    Qui ?

    Les auteurs dramatiques.

    Enfin, ceux qui restaient.

     

    Je m’explique :

    Face au titre : « Partage de midi », on peut lire cette étrange brochette de noms : « Baron/Bouchaud/ Clamens/Dréville/Sivadier ».

    Paul Claudel a disparu.

    De même, face au titre : « Hamlet », vous trouverez le nom « Thomas Ostermeïer » ; face à « La Mouette », « Claire Lasne Darcueil ». Pas de William Shakespeare, ni d’Anton Tchekhov à l’horizon.

    Face à « Inferno », le beau nom de « Romeo Castellucci » ; et, bizarrement, face à « La Divine Comédie », celui de Valérie Dréville (en effet, la dame lit Dante – le vrai –, un seul soir, bien sûr).

    Je trouve cela tellement parlant que je ne ferai pas de commentaires.

     

    Pour qu’on ne dise pas que j’exagère, néanmoins, je précise que le sommaire, quoique présenté différemment, obéit aux mêmes règles : Titre et metteur en scène (ou chorégraphe ou je ne sais quoi), évacuation de l’auteur (quand il y en a un).

     

    Revenons à Paul Claudel, disparu.

    Valérie Dréville, artiste associée au Festival d’Avignon 2008, ouvre ledit Festival avec Partage de midi de Paul Claudel. La mise en scène est signée des acteurs eux-mêmes : Gaël Baron, Nicolas Bouchaud, Valérie Dréville, Jean-François Sivadier, auxquels s’est ajoutée Charlotte Clamens. Tout cela est tout à fait intéressant (j’aime l’idée que les acteurs décident de se passer d’un metteur en scène), et nous explique l’étrange brochette de noms mentionnée plus haut. Comme ce spectacle ouvre le 4 juillet le Festival d’Avignon, et joue toute sa durée, jusqu’au 26, il est présenté en début de programme (p. 6 et 7).

    La page 6 présente les artistes (hors Valérie Dréville, « artiste associée » déjà présentée), la page 7 le spectacle.

    La page 6 nous présente donc, laïus académique après laïus académique, les comédiens ou/et metteurs en scène Gaël Baron, Nicolas Bouchaud, Charlotte Clamens, Jean-François Sivadier, puis, à la toute fin, Paul Claudel (il devait rester de la place). Ça se présente comme ça :

     

    « Paul Claudel (1868-1955) a 37 ans lorsqu’il écrit Partage de midi, œuvre autobiographique revendiquée. Au sortir d’une relation amoureuse avec une femme mariée, il a vécu le drame d’une séparation. De cette passion vécue en terre chinoise, lorsqu’il était consul de France, naîtra la première version de Partage de midi, éditée à 150 exemplaires adressés en secret à quelques amis. Ce n’est qu’en 1948 qu’il acceptera qu’une version remaniée soit publiée et mise en scène par Jean-Louis Barrault. »

     

    Et hop. Tout y est, non ?

    Vous avez bien vu passer là le plus grand génie théâtral du XX° siècle ? Le colosse littéraire, un des seuls en un siècle essentiellement romanesque, à ne passer jamais par le roman (ni d’ailleurs, ou si peu, par la philosophie)… Lui préférant le théâtre, le poème, l’essai et la théologie.

     

    Ceci dit, et pour changer un peu, je me réjouis que Partage de midi soit l’œuvre la plus jouée durant ce Festival. J’espère seulement que sa représentation sera digne.

    Oui, digne.

     

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    Notez que Dante, lui, n’est pas du tout présenté.

    Mais c’est parce que Castellucci est Dante.

    Et Castellucci, bien sûr, est présenté.

    Donc Dante aussi.

    Etc.

  • Castellucci dans le programme (2)

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    Je tourne enfin la page présentant le projet de Divinna Commedia selon Castellucci, pour lire les pages consacrées aux deux spectacles et à l’installation. Ces textes de présentation sont toujours signés d’Antoine de Baecque.

     

    On n’apprend pas grand-chose sur ce que sera Inferno de Castellucci :

    « Inferno [de qui ? de Dante ? ou de Castellucci ? Ah, j’oubliais, c’est pareil…] est un monument de la douleur. L’artiste doit payer. Dans la forêt obscure où il d’emblée plongé, il doute, il a peur, il souffre. Mais de quel péché l’artiste est-il coupable ? S’il est ainsi perdu, c’est qu’il ne connaît pas la réponse à cette question. Seul sur le grand plateau du théâtre, ou au contraire muré dans la foule et confronté à la rumeur du monde, l’homme que met en scène Romeo Castellucci subit de plein fouet cette expérience de la perte de soi, désemparé. Tout ici l’agresse, la violence des images, la chute de son propre corps dans la matière, les animaux, les spectres. La dynamique visuelle de ce spectacle a la consistance de cette hébétude, parfois de cet effroi, qui saisit l’homme quand il est réduit à sa petitesse, démuni face aux éléments qui l’accablent. Mais cette fragilité est une ressource, cependant, car elle est la condition d’une douceur paradoxale. Romeo Castellucci montre à chaque spectateur qu’au fond de ses propres peurs, il existe un espace secret, empreint de mélancolie, où il s’accroche à la vie, à « l’incroyable nostalgie de sa propre vie ». »

    Ca promet, n’est-ce pas ? Monument de la douleur, plongé dans une forêt, muré dans la foule, la chute de son corps dans la matière, et mieux encore : dynamique visuelle qui a consistance d’hébétude…

    Ca a l’air formidable, tout bonnement.

     

    Ce qui est tout à fait étonnant, finalement, c’est qu’on puisse déduire, du galimatias qui sert de prose à Antoine de Baecque, que le projet de Castellucci ne manque pas de cohérence.

    Dans la présentation de l’installation Paradiso – je viendrai à Purgatorio ensuite – notre journaliste présente ainsi le Paradis selon Castellucci :

    « C’est un monde paradoxal, sans incarnation : dans Inferno, l’homme était exclu des élus, ici il est exclu du monde, condamné à errer dans un univers sans corps, sans visage, sans matière, un lieu de pure lumière et de sonorités sans limites, tout entier dévoué à la seule gloire du Dieu créateur. »

    Puis cite Castellucci, grand contempteur (apparemment) et rival (j’imagine) de ce Dieu créateur :

    « Pour moi, c’est le chant le plus épouvantable, précise d’ailleurs Castellucci à propos du Paradis de Dante, une forme d’exclusion renversée, et non pas un accueil en forme de bienvenue ! »

    Ce qui est formidable aussi, non. Mais surtout instructif, si l’on résume ainsi, selon le principe du nihilisme actif :

    Le Paradis aussi, c’est l’Enfer. Il n’y a donc plus ni Enfer ni Paradis.

     

    La Divine Comédie de Dante était tout entière tendue vers le Paradis, vers « l’Amour qui meut le soleil et les autres étoiles ».

    Celle de Castellucci ne risque guère d’être « divine » : l’Enfer et le Paradis s’annulent ; et peut-être est-ce pour cela que Castellucci ne fait spectacle que de l’Enfer et du Purgatoire, laissant son redondant Paradis désincarné être une « installation ».

     

    Voyons donc ce Purgatorio :

    « L’homme qui traverse le purgatoire – le « chant de la terre » – est un être curieux, sans cesse arrêté par le concret des choses et des objets qui l’entourent, dans une représentation de sa propre vie. Cette matière [ ?] l’occupe, l’encombre, l’attache, et souvent le tourmente. Elle témoigne de ce qu’est précisément le purgatoire selon Romeo Castellucci : la vie humaine dans sa répétition quotidienne, la familiarité des tâches de tous les jours, le piège de la routine, l’expérience du corps banal, les retrouvailles avec le monde fini, la nature connue, les matières de la vie. »

    Bien. Annulez l’Enfer et le Paradis, il reste la vie quotidienne. Le purgatoire de Castelluci est la matière témoignant de la matière.

    On n’avait vraiment pas besoin de Dante pour en arriver là.

    A moins qu’il ne se soit agi, au fond, que de démolir Dante.

    Ce qui est bien possible, après tout…

     

    Notre bon journaliste poursuit :

    « Il [l’homme, donc] se sait condamné à errer là, parmi la réalité, à la fois représentée sans distance, de manière abstraite, et de façon hyperréaliste, « une réalité sans ombre » dit le metteur en scène, qui s’est attelé à un important travail sur les formes en devenir. »

    Passons sur ce que peut bien signifier s’atteler à un important travail sur les formes en devenir

    Et regardons agir le même principe du nihilisme actif : l’abstraction c’est la réalité, la réalité c’est l’abstraction, il n’y a donc plus ni réalité ni abstraction.

     

    Conclusion :

    « La punition, ici, c’est tout simplement de vivre, de faire l’expérience du monde. »

     

    Ce qui serait désolant, si Castellucci n’était pas un génie créateur capable à lui seul d’hypostasier le Néant :

    « Ce Purgatorio est donc [ !]  plus qu’un spectacle, car c’est aussi pour le spectateur l’occasion d’une expérience à laquelle Romeo Castellucci donne beaucoup de prix : se retrouver, soudain, de l’autre côté du jeu du théâtre, dans l’envers de la représentation. »

    Quelle audace !

    Personne n’y avait jamais pensé !

    La suite :

    « Comme si chacun pouvait assister au spectacle de sa propre vie, mais primitive, renvoyée aux premiers temps, ceux des origines et de la naissance. Cette lucidité tout à coup offerte, comme une expérience de retour à la vue au sein de la nature contemporaine, de retour à la sensation au milieu de la ville moderne, n’est-elle pas plus terrible encore ? »

    Plus terrible que quoi, mon lapin ? Que la vie quotidienne ? Que l’envers de la représentation ?

    Conclusion :

    « C’est une angoisse existentielle qui sourd de ce spectacle, comme si les sensations et le corps se dissolvaient dans la matière [la comparaison veut-elle dire quelque chose ?]. »

     

    Bref, quand « une angoisse existentielle sourd » d’un spectacle, celui-ci est plus qu’un spectacle. Mais quoi ?

     

    Une conclusion aussi gigantesque nécessitait des moyens colossaux.

    Castellucci est un artiste planétaire ; un artiste globalisé.

    Il faudra bien en finir avec les langues, ces frontières.

    La planète culturelle en semble réellement convaincue, à simplement jeter un œil à toutes ces structures planétaires imbécilement conjurées à la destruction de l’œuvre de Dante (le vrai) :

    « Production de la Trilogie : Sociétas Raffaello Sanzio, Festival d’Avignon, Le Maillon-Théâtre de Strasbourg, Théâtre auditorium de Poitiers-Scène nationale, Le Duo (Dijon), barbicanbite09 (Londres) dans le cadre du Spill Festival 2009, de Singel (Anvers), Kunstenfestivaldesarts / La Monnaie (Bruxelles), Festival d’Athènes, UCLA Live (Los Angeles), Napoli Teatro Festival Italia, Emilia Romagna Teatro Fondazione (Modène), La Bâtie-Festival de Genève, Nam Jun Paik Art Center/Geyonggi-do (Corée), Vilnius Capitale européenne de la Culture 09, « Sirenos »-Festival international de théâtre de Vilnius, Cankarjev dom (Ljubljana), F/T09 – Tokyo International Arts Festival.

    Avec le soutien du ministère italien du Patrimoine et des Activités culturelles, de la Région Emilie-Romagne et de la Ville de Cesena avec l’aide du programme Culture (2007-2013) de l’Union européenne. »

     

    Budget de « création » ?

    A votre bon cœur…

     

    N'oubliez pas, comme dit ce bon Antoine de Baecque, que l'artiste doit payer...