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poésie - Page 19

  • Bien arrangé, mal arrangé

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    Vous ne voyez donc pas, me dit le type accoudé au comptoir, que nous en sommes revenus aux sacrifices humains ? Et je ne parle pas des guerres, hein ; non, je parle d’ici, maintenant, en France et en temps de paix. Enfin, en temps de rien.

    Il me sourit dans le miroir en trempant son croissant dans le café.

    – Ouais, dis-je par une espèce de lâcheté matinale, on manque peut-être un peu de recul. C’est facile, comment dire ? d’anthropologiser dans le sens qui nous arrange.

    – Parce que vous croyez vraiment que ça m’arrange.

    D’un autre côté, il a l’air arrangé, le gars. C’est un fou.

     

    Moi aussi, je peux faire de la poésie.

    Si je veux, quand je veux.

    Je fais qu’est-ce que je veux.

    Mais ça m’emmerde.

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  • Nihil novi sub sole

     

     

     

     

     

     

    Une des consolations de ce métier tordu, et non la moindre, tient dans le fait de fréquemment rouler seul dans ces campagnes séparant deux villes. J’aime partir en avance, éviter les nationales, traverser des villages trop tranquilles. Les paysages banals, un peu tristes, lavent mon cœur de l’électrique saloperie des villes. J’aime, au retour souvent, le temps d’une sèche ou deux, visiter quelque cimetière parsemé d’inconnus. Et puis rouler encore, sans musique. La solitude ici ne semble pas trafiquer sur son genre ; toutes les saisons me plaisent au moment qu’elles sont là.

     

     

     

     

    Le théâtre, fertile en censeurs pointilleux,

    Chez nous pour se produire est un champ périlleux.

    Un auteur n’y fait pas de faciles conquêtes ;

    Il trouve à le siffler des bouches toujours prêtes.

    Chacun le peut traiter de fat et d’ignorant ;

    C’est un droit qu’à la porte on achète en entrant.

    Il faut qu’en cent façons, pour plaire, il se replie ;

    Que tantôt il s’élève, et tantôt s’humilie ;

    Qu’en nobles sentiments il soit partout fécond ;

    Qu’il soit aisé, solide, agréable, profond ;

    Que de traits surprenants sans cesse il nous réveille ;

    Qu’il coure dans ses vers de merveille en merveille ;

    Et que tout ce qu’il dit, facile à retenir,

    De son ouvrage en nous laisse un long souvenir.

     

    Boileau, Art poétique, chant III

     

     

     

     

     

     

     

  • Ce que veulent les veules

     

     

     

     

     

    Artistes, les égards et l’argent, tout nous est dû. Notre souverain, pour parvenir, les a promis. Lui fait seulement miroir notre médiocrité servile.

     

    Morale : Fidèles seulement à la bassesse, nous tenons notre médiocrité mieux que lui ses promesses ; nous nous en faisons gloire en quémandant encore.

     

    Autrement dit :

    Qui suce à pleine bouche le manche du pouvoir

    Et se plaint du mépris dans lequel on le tient,

    Paraît pour ce qu'il est quand il est ridicule;

    Pour de l'argent bientôt, suppliera qu'on l'encule.

  • A Léon Bloy

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    SAINT GRAAL

     

    Parfois je sens, mourant des temps où nous vivons

    Mon immense douleur s’enivrer d’espérance.

    En vain l’heure honteuse ouvre des trous profonds,

    En vain bâillent sous nous les désastres sans fonds

    Pour engloutir l’abus de notre âpre souffrance,

    Le sang de Jésus-Christ ruisselle sur la France.

     

    Le précieux Sang coule à flots de ses autels

    Non encor renversés, et coulerait encore

    Le fussent-ils, et quand nos malheurs seraient tels

    Que les plus forts, cédant à des effrois mortels,

    Eux-mêmes subiraient la loi qui déshonore,

    De l’ombre des cachots il jaillirait encore.

     

    Il coulerait encor des pierres des cachots,

    Descellerait l’horreur des ciments, doux et rouge

    Suintement, torrent patient d’oraisons,

    D’expiation forte et de bonnes raisons,

    Contre les lâchetés et les « feu sur qui bouge ! »

    Et toute guillotine et cette Gueuse rouge ! ...

     

    Torrent d’amour du Dieu d’amour et de douceur,

    Fleuve rafraîchissant du feu qui désaltère,

    Fût-ce parmi l’horreur de ce monde moqueur,

    Source vive où s’en vient ressusciter le cœur

    Même de l’assassin, même de l’adultère,

    Salut de la patrie, ô sang qui désaltère !

     

     

     

     

    Poème de Paul Verlaine, tiré d’Amour.

     

    Dessin : Bloy par Vallotton.