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verlaine

  • A Léon Bloy

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    SAINT GRAAL

     

    Parfois je sens, mourant des temps où nous vivons

    Mon immense douleur s’enivrer d’espérance.

    En vain l’heure honteuse ouvre des trous profonds,

    En vain bâillent sous nous les désastres sans fonds

    Pour engloutir l’abus de notre âpre souffrance,

    Le sang de Jésus-Christ ruisselle sur la France.

     

    Le précieux Sang coule à flots de ses autels

    Non encor renversés, et coulerait encore

    Le fussent-ils, et quand nos malheurs seraient tels

    Que les plus forts, cédant à des effrois mortels,

    Eux-mêmes subiraient la loi qui déshonore,

    De l’ombre des cachots il jaillirait encore.

     

    Il coulerait encor des pierres des cachots,

    Descellerait l’horreur des ciments, doux et rouge

    Suintement, torrent patient d’oraisons,

    D’expiation forte et de bonnes raisons,

    Contre les lâchetés et les « feu sur qui bouge ! »

    Et toute guillotine et cette Gueuse rouge ! ...

     

    Torrent d’amour du Dieu d’amour et de douceur,

    Fleuve rafraîchissant du feu qui désaltère,

    Fût-ce parmi l’horreur de ce monde moqueur,

    Source vive où s’en vient ressusciter le cœur

    Même de l’assassin, même de l’adultère,

    Salut de la patrie, ô sang qui désaltère !

     

     

     

     

    Poème de Paul Verlaine, tiré d’Amour.

     

    Dessin : Bloy par Vallotton.

  • Romantisme encore

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    Oisive jeunesse

    A tout asservie,

    Par délicatesse

    J’ai perdu ma vie.

    Ah ! que le temps vienne

    Où les cœurs s’éprennent.

     

    Rimbaud, Chanson de la plus haute tour

     

     

     

     

    La prime à la jeunesse, à la jeunesse foudroyée qui plus est, fut au XX° siècle très romantiquement – quoique, du moins officiellement, contre le romantisme – attribuée à ces précoces poètes que furent Lautréamont et Rimbaud.

    Mais pourquoi ?

    Pour empêcher qu’on lise Baudelaire et Verlaine, non ?

    Pour faire écran, du moins.

    Certains même voulurent voir, religieusement, en Rimbaud et Lautréamont des manifestations quasi-exclusives de la Vérité. Ils ont fini par faire de ces poètes des Bernadette Soubirous de carnaval, voire de gay pride… Sérieusement : des Bernadette Soubirous de quoi ? sinon de leurs propres engagements débiles de l’époque.

    Les Bernadette Soubirous de leur invertissement – puisque ça rapporte, donc, d’inverser…

    Ces gens-là, cadavres ou vieux barbons désormais, nous bassinent encore avec la jeunesse, la leur bien sûr, qui est en toc comme tous les marchandises désormais, jeunesse foudroyée aussi, bien sûr, mais autrement (puisque autrement est leur sésame), et on raccroche au passage 1968, le joli mois de mai des cadavres de la Fausse Commune…

    Rimbaud ni Lautréamont n’y sont pour quoi que ce soit, dans cette affaire sinistre. Ils sont même les victimes de cette affaire : ils sont devenus illisibles, invisibles sous le déluge commercial, pardon, intellectuel…

    Et Artaud, donc !

    Il a souffert, Artaud. Oui.

    Et il en a torché, des pages déchirées de douleur.

    (Le très vieux verbe français se douloir, du temps que la douleur aussi avait son verbe, se conjuguait ainsi : je me deux).

    Mais il est juste bon désormais à servir d’alibi aux poètes casse-couilles à prétentions intellectuelles, aux philosophes bien en chaires, aux metteurs en scène d’institutions, à tout cette lie de l’intelligence qui n’y entend goutte, mais cite et cite et cite, et se bâtit ainsi une moelleuse carrière à Peredelkino-sur-Seine ; à tout ce qui empile des discours secondaires

    Artaud est foutu, lui aussi.

     

    C’est peut-être la leçon de notre époque férue de quantités, et de chiffres : l’œuvre poétique demeure inconnue ou, dans le meilleur des cas, disparaît bien vite –, ou bien n’atteint à la notoriété que pour se voir annulée, annihilée (que j’entends en somme comme : annexée au néant) par des masses énormes de commentaires imbéciles, lesquels ensuite donnent lieu à simplification, à cliché – par quoi l’image du poète devient icône, ses adorateurs sourds se prosternant idolâtrement devant…

    Bref, c’est fini.

     

    (Voir aussi ici.)

     

  • Sans le Moyen Âge, on ne comprend rien...

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    Non. Il fut gallican, ce siècle, et janséniste !

    C’est vers le Moyen Âge énorme et délicat

    Qu’il faudrait que mon cœur en panne naviguât,

    Loin de nos jours d’esprit charnel et de chair triste.

     

    Roi, politicien, moine, artisan, chimiste,

    Architecte, soldat, médecin, avocat,

    Quel temps ! Oui, que mon cœur naufragé rembarquât

    Pour toute cette force ardente, souple, artiste !

     

    Et là, que j’eusse part – quelconque, chez les rois

    Ou bien ailleurs, n’importe, – à la chose vitale,

    Et que je fusse un saint, actes bons, pensers droits,

     

    Haute théologie et solide morale,

    Guidé par la folie unique de la Croix,

    Sur tes ailes de pierre, ô folle Cathédrale !

     

     

     

    Le sonnet qui précède est le dixième poème de la première partie de Sagesse, de Verlaine, recueil publié en 1880.