Une des consolations de ce métier tordu, et non la moindre, tient dans le fait de fréquemment rouler seul dans ces campagnes séparant deux villes. J’aime partir en avance, éviter les nationales, traverser des villages trop tranquilles. Les paysages banals, un peu tristes, lavent mon cœur de l’électrique saloperie des villes. J’aime, au retour souvent, le temps d’une sèche ou deux, visiter quelque cimetière parsemé d’inconnus. Et puis rouler encore, sans musique. La solitude ici ne semble pas trafiquer sur son genre ; toutes les saisons me plaisent au moment qu’elles sont là.
Le théâtre, fertile en censeurs pointilleux,
Chez nous pour se produire est un champ périlleux.
Un auteur n’y fait pas de faciles conquêtes ;
Il trouve à le siffler des bouches toujours prêtes.
Chacun le peut traiter de fat et d’ignorant ;
C’est un droit qu’à la porte on achète en entrant.
Il faut qu’en cent façons, pour plaire, il se replie ;
Que tantôt il s’élève, et tantôt s’humilie ;
Qu’en nobles sentiments il soit partout fécond ;
Qu’il soit aisé, solide, agréable, profond ;
Que de traits surprenants sans cesse il nous réveille ;
Qu’il coure dans ses vers de merveille en merveille ;
Et que tout ce qu’il dit, facile à retenir,
De son ouvrage en nous laisse un long souvenir.
Boileau, Art poétique, chant III