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Contre Novarina

En écrivant tout à l’heure, sans crayon ni papier, dans un café perdu au milieu des déambulations des acheteurs de Noël, le billet qui précède, j’ai repensé à quelque boutade que j’ai pris l’habitude d’opposer à quiconque me demande ce que je pense du théâtre, ou de la poésie, de Valère Novarina, lequel, pour tout vous dire, m’attire et me repousse également :

– Et tu penses quoi de Novarina ?

(J’ai bien l’impression qu’en réalité, personne ne sait trop quoi penser de l’incompréhensible monsieur Novarina, et je ne prétends pas déroger à l’impression.)

Pardon de l’interruption, je vous remets la boutade en situation :

– Et tu penses quoi de Novarina ?

– Eh bien, j’attends que ce soit traduit en français.

– C’est malin…

– Et toi, tu en penses quoi ?

– Je ne sais pas trop, en fait. Mais tout le monde dit que c’est bien. Il y a le côté art brut, surréalisme, poésie imbittable et chansons d’opérettes, accordéon-musette et art contemporain, Nietzsche bourré à la guinguette qui débine des masses de monologues hachés de dialogues tordus avec je ne sais pas, moi, Artaud …

– Ouais, et le côté Bible et Saint Thomas d’Aquin et Saint Jean l’Evangéliste et le côté fatrasie et mystère médiévaux, bref le côté Christus patiens, et puis le côté théâtre dans le théâtre…

– Ouais, sans compter qu’il peint, qu’il dessine, aussi, Novarina…

(Bon, je ne vais pas vous refaire le coup de Picasso qui cache Rouault…)

 

Il compte à fond sur l’acteur, l’énergie, le spectacle, mais on ne déroge pas au texte, lâchons le mot, au poème. (Je ne vois pas spécialement de compromis là-dedans.) Tant pis s’il n’y a pas vraiment d’histoire – en fait, il y en a trop… Les grands mystères de la Passion, après tout, n’hésitaient pas à repartir de la Genèse, et à dialoguer à leur sauce toute la Bible pour parvenir enfin à expédier le Fils de l’Homme dans ces enfers dont il allait triomphalement ressortir ressuscité…

Comme ça doit être plus que catastrophique quand c’est mal fait, il a raison de faire lui-même ses spectacles.

 

N’empêche. Il est à la mode, Novarina.

Chose dont je n’augure rigoureusement rien, sinon l’idée qu’à un moment, il n’y sera plus, c’est fatal.

Ce qui, en soi, ne dit rien pour ou contre son œuvre.

 

Pour l’instant, ils n’ont pas d’autre choix, nos décideurs commerciaux d’Etat, que de le mettre dans la mode. Il est bien trop énorme, ou hénaurme, Novarina ; ils n’arriveraient pas à le cacher dans leur magasin de porcelaine en toc made in China.

– Bon, ça y est, vous l’avez vu, le monstre, hein, c’est marrant cinq minutes mais après c’est tout le temps pareil et personne n’y comprend rien, heureusement que les acteurs y vont à l’énergie et à la chansonnette, on va donc vous le remballer et l’expédier à la déchetterie…

Exit Homo Novarinus.

Il s’en fout, Novarina, il sait bien qu’énorme comme il est, il ne tiendra pas non plus dans les bennes à ordures. Il y écrasera tous les autres auteurs contemporains concassés là (je ne donne pas les noms, je suis fatigué et ils sont trop nombreux) et il finira peut-être même par se faire éjecter.

 

Et donc, tout à l’heure, dans le brouhaha de ce marché de Noël, en écrivant dans ce bar, de tête, le billet qui précède, j’ai eu l’impression que je venais, entre autres choses, parlant une fois de plus du théâtre, de synthétiser en quelques lignes l’essentiel de la dramaturgie novarinienne – si ça se dit.

Mais ce n’est pas ce que je voulais  faire. Et ce n’est pas cela d’abord que j’ai fait.

Je voulais juste écrire cinq lignes en prose d’adresse au public. Et simplifier un peu, si possible, une chose compliquée. Avec pour seule contrainte de ne pas écrire le mot Dieu, parce que pour faire passer ce mot-là, en France, surtout dans le théâtre dit public, aujourd’hui, il faut déconner pendant deux mille pages – et peut-être bien que c’est ce qu’il fait, d’ailleurs, Novarina…

 

Bon. J’en suis quitte pour changer ma boutade.

– Et tu penses quoi de Novarina ?

– Je voulais le traduire en français, mais finalement je l’ai résumé. Mis au calme, ça fait cinq lignes. Bien sûr, on est passé du bariolage au noir et blanc, et de véhémence à confidence, et de fresque murale à miniature miniature…

Pour la suite du dialogue, faudra attendre que j’aie testé.

 

Parce que oui, je les fais vraiment, mes blagues. Pour l’instant, il y a ceux qui prennent l’air choqué, mais c’est faux (les chefs et autres gens bien placés ont dit que c’était ce nom-là dont on devait dire du bien, on ne plaisante pas avec les choses sacrées, fussent-elles laïques et subversives) ; et ceux qui rigolent, qu’ils aiment plutôt un peu ou plutôt pas, ou ne sachent vraiment pas quoi en penser.

 

Voilà.

 

 

 

 

 

(Billet écrit avant-hier.)

Commentaires

  • Je lis, attentivement. J'apprends. Je suis allée regarder le site du monsieur énorme qui ne tiendra pas dans les bennes à ordures. Je pense aux autres auteurs contemporains concassés. J'ai jamais pensé à ça, moi.
    J'y pense, j'y pense vraiment.Je m'applique.C'est vrai, ça m'intéresse.
    Et puis je lis autre chose en même temps parce qu'en fait je m'en fiche un peu de Novarina.J'attrape les mots que je comprends: "dans un café perdu"..."c'est malin"..."au calme ça fait cinq lignes"...
    et je me dis que tiens oui, tout au calme fait cinq lignes, qu'on le sait depuis toujours d'ailleurs, mais qu'on oublie ou on fait semblant d'oublier. C'est ça qui est puissant comme pensée. Pas embrouiller. Résumer. Cinq lignes. A mon avis yen a qui seraient pas d'accord.
    Et à mon avis ils ont tort. Très tort, même!!!

  • Je vais peut-être faire un second billet sur Novarina... J'aime bien ce qu'il fait. Quant aux autres auteurs contemporains concassés, je ne les plains vraiment pas. A la bonne vôtre (on boit quoi, avec un héron? l'eau de la fontaine?) !

  • Moi je plains personne! Surtout pas les auteurs ou les artistes contemporains. Soit je les trouve nuls, soit je les regarde d'un peu loin en clignant des yeux, vous voyez le genre, genre "voyons voir, on dirait qu'il se passe des choses intéressantes dans le coin mais prenons garde, si jamais ils me mangent, pour qui ils se prennent etc" et autres tutti quanti.
    Bon. Là j'arrive il y a quelque temps. Je me dis ce type est imbuvable.Vous évidemment. Et puis tiens je me dis peut-être pas. Au fil des jours je trouve ça très bien ce que vous écrivez. J'ai lu pas mal de textes aussi dans les archives.J'aime pas tout, mais beaucoup. Des fois je ne comprends pas, faute de connaissances suffisantes. Mais grâce à vous je lis Le soulier de satin, je vais lire Antoine et Cléopâtre.C'est bien, pour moi.
    Je mesure combien -au su de l'univers qui peut lire ce que j'écris ici- ce commentaire peut faire marrer (ricaner? oh!)...M'en fiche, mais alors là complètement.
    J'attends le 2eme billet sur Novarina. Voilà!
    Quant au héron, zut, on peut pas continuer au champagne de la fontaine?

  • Mais vous êtes en pleine forme ! C'est réjouissant ! Champagne, donc.

  • La question Novarina, trop compliquée pour la résumer en 3 mots. Oui, le théâtre doit être un théâtre de parole. Non la parole ne peut pas noyer toute la scène. Tiens. C'est peut-être faisable, après tout. Enfin. Y'a encore beaucoup à dire.

  • Bien d'accord avec vous, Solko. J'avais écrit le billet "Adresse" sans penser à Novarina; c'est après coup que je me suis dit que les problématiques se rejoignaient, moi avec mes cinq pauvres lignes, lui avec ses milliers de pages. Cela dit, je ne pense pas que le "Contre Novarina" d'ici soit réellement contre Novarina. Son théâtre est moins dramatique (la parole en surrégime y fait tourner l'action dans le vide, mais quelle énergie faut-il pour pédaler ainsi le néant de l'homme!)que puissamment poétique et très rigoureusement théologique... J'y reviendrai bientôt, je pense.

  • "très rigoureusement théologique"...donc particulièrement casse-couilles en fait, c'est le propre même de la théologie, même avec forte adjonction de poésie; par ailleurs, un mélange théologie-poésie semble particluièrement hétérogène à première impression.
    le mieux en théologie, ce sont les six dernières années de la vie de thomas d'aquin, quand il a finit par comprendre qu'il valait mieux garder le silence plutôt que...

  • Vous avez bien raison, gmc. Mille ans d'élaboration théologique sont casse-couilles; deux mille ans de civilisation chrétienne fondés sur cette théologie aussi; d'ailleurs, la civilisation est casse-couilles et c'est une merveilleuser raison de l'abandonner. Pas la peine d'espérer que vous imitiez quelque jour saint thomas d'Aquin.

  • il y a une phrase que j'aime beaucoup dans un ouvrage dont la première traduction française est sortie en 2006 chez fayard, le lankavatara (ou soutra de l'entrée à lanka).
    pendant 350 pages, le bouddha répète à un de ses disciples (de bon niveau ;-)), "j'ai la meilleure doctrine, j'ai la meilleure doctrine, etc "
    tout ça pour lui dire à la fin: "vois-tu, mahamati, le plus important, c'est ceci: toutes choses sont libres du langage"


    vous noterez que dans la doctrine chrétienne dont vous semblez vous réclamer figure exactement la même chose, que je vous résume:

    - nommer est le privilège du porteur de lumière
    - le porteur de lumière n'est pas la lumière
    - le porteur de lumière porte un nom: il s'appelle lucifer

    mais, je vous rassure, les doctrinaires n'aiment généralement pas les poètes, donc tout est normal et je n'essaierai donc pas de vous montrer pourquoi je suis en grande partie dans la même position que thomas d'aquin quand il cessa d'écrire, ceci même alors que personnellement je commence à écrire.

    soit dit en passant, civilisation est un mot creux ne contenant que le vent qui l'oppose à sauvage, le mot date des XVIème et XVIIIème siècles, soit le début de la grande époque de la colonisation, il n'a aucune autre sorte de signifiant.

  • @ gmc : Bien d'accord avec vous.

  • La seule chose que je sais.
    C'est que lorsque je sors d'une pièce de Valère Novarina.
    Je ne parle plus.
    Pendant des heures.

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