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Livres - Page 35

  • Corruptions...

    D’autre part, s’il prend conseil de plusieurs, jamais il ne les trouvera d’un même accord, et lui, s’il n’est de très bon jugement, ne les pourra bien accorder ; de ses conseillers chacun pensera à son profit particulier et lui ne les pourra corriger ni connaître.

    Machiavel, Le Prince, XXIII, Comme l’on doit fuir les flatteurs

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  • Après-coup

    D’aucuns ont bien dû rire, et se moquer des vieillards, dont l’un déjà était mort, en lisant le livre de Malraux sur De Gaulle, paru en 1971, intitulé Les Chênes qu’on abat. La conversation, rapportée, réécrite par Malraux, a lieu à Colombey-les-deux Eglises, en 1969, entre la démission du Général et son décès, donc.

     

    – Restent en place, dis-je, Mao, et dans une certaine mesure, Nasser.

    – Mao, oui. L’Islam, peut-être. L’Afrique, qui sait ?

     

    C’est un peu moins drôle quarante ans plus tard.

    Dans mon édition, de 1971, c’est page 198.

     

    Huit pages plus loin, De Gaulle, l’air de rien (j’isole la phrase exprès) :

     

    Il est étrange de vivre consciemment la fin d’une civilisation !

     

    La page d’après, le début d’une question de Malraux :

     

    Le problème le plus dramatique de l’Occident est-il celui de la jeunesse, ou celui de la démission de presque toutes les formes d’autorité ?

     

    Et, même page, un morceau isolé de la réponse de De Gaulle :

     

    Voyez-vous, il y a une chose qui ne peut pas durer : l’irresponsabilité de l’intelligence. Ou bien elle cessera, ou bien la civilisation occidentale cessera.

     

    Et tiens, pour faire bonne mesure, la dernière phrase du livre , page 236 (le texte des Chênes qu’on abat repris dans La Corde et les Souris, volume faisant suite aux Antimémoires, les deux livres formant Le Miroir des Limbes, a été prolongé par Malraux) :

     

    La nuit tombe – la nuit qui ne connaît pas l’Histoire.

     

    Malraux, Les Chênes....jpg

     

     

     

     

     

     

  • Un poème de la modernitude

    Courte et triste est notre vie ;

    il n’y a pas de remède lors de la fin de l’homme

    et on ne connaît personne qui soit revenu de l’Hadès.

    Nous sommes nés du hasard,

    après quoi nous serons comme si nous n’avions pas existé.

    C’est une fumée que le souffle de nos narines,

    et la pensée, une étincelle qui jaillit au battement de notre cœur ;

    qu’elle s’éteigne, le corps s’en ira en cendre

    et l’esprit se dispersera comme l’air léger.

    Avec le temps, notre nom tombera dans l’oubli,

    nul ne se souviendra de nos œuvres ;

    notre vie passera comme les traces d’un nuage,

    elle se dissipera comme un brouillard

    que chassent les rayons du soleil

    et qu’abat sa chaleur.

    Oui, nos jours sont le passage d’une ombre,

    notre fin est sans retour,

    le sceau est apposé et nul ne revient.

     

    Venez donc et jouissons des biens présents,

    usons des créatures avec l’ardeur qui sied à la jeunesse.

    Enivrons-nous de vins de prix et de parfums,

    ne laissons point passer la fleur du printemps,

    couronnons-nous de boutons de roses avant qu’ils ne se fanent,

    qu’aucune prairie ne soit exclue de notre orgie,

    laissons partout des signes de notre liesse,

    car telle est notre part, tel est notre lot !

    Opprimons le juste qui est pauvre,

    n’épargnons pas la veuve,

    soyons sans égard pour les cheveux blancs chargés d’années du vieillard.

    Que notre force soit la loi de la justice,

    car ce qui est faible s’avère inutile.

    Tendons des pièges au juste, puisqu’il nous gêne

    et qu’il s’oppose à notre conduite,

    puisqu’il nous reproche nos péchés contre la Loi

    et nous accuse de péchés contre notre éducation.

    Il se flatte d’avoir la connaissance de Dieu

    et il se nomme enfant du Seigneur.

    Il est devenu un blâme pour nos pensées,

    sa vue même nous est à charge ;

    car son genre de vie ne ressemble pas aux autres

    et ses sentiers sont tout différents.

    Nous comptons pour lui comme de la fausse monnaie,

    et il s’écarte de nos chemins comme d’impuretés.

    Il proclame heureux le sort final des justes

    et il se vante d’avoir Dieu pour père.

    Voyons si ses dires sont vrais,

    expérimentons ce qu’il en sera de sa fin.

    Car si le juste est fils de Dieu, Celui-ci l’assistera

    afin de connaître sa douceur

    et d’éprouver sa résignation.

    Condamnons-le à une mort honteuse,

    puisque, à l’entendre, il sera visité. 

     

    Ce poème fut écrit en grec dans la première moitié du premier siècle avant Jésus-Christ, probablement à Alexandrie.

    Son auteur nous est inconnu.

    On peut lire l’intégralité de ce poème dans la plupart des Bibles chrétiennes. Il a pour titre Sagesse de Salomon (chez les Grecs), ou simplement Sagesse (liber sapientiae, selon la Vulgate). Il ne figure pas dans l’Ancien Testament des juifs, les protestants en font un apocryphe.

    La présente traduction est celle d’Emile Osty et Joseph Trinquet (Bible Osty).

    Quant au passage cité, il est introduit ainsi :

     

    Mais les impies appellent la mort du geste et de la voix ;

    la tenant pour amie, pour elle ils se consument,

    avec elle ils font un pacte,

    dignes qu’ils sont de lui appartenir.

     

    Car ils disent entre eux, dans leurs faux calculs :

     

    Le premier passage cité ici relate donc la parole de ces impies ayant fait un pacte avec la mort.

    La modernité n’est pas du tout récente ; c’est une très ancienne saloperie.

    Et rien ne la contient plus.

     

     

     

     

  • La route, de Cormac McCarthy

    La route.jpg

    Ce qui est saisissant, dès les deux premières pages de La Route, c’est l’impression très forte, très nette, qu’aucun écrivain français n’aurait pu écrire aujourd’hui deux pages comparables, ni au surplus les achever ainsi :

    Il ne savait qu’une chose, que l’enfant était son garant. Il dit : S’il n’est pas la parole de Dieu, Dieu n’a jamais parlé.

     

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  • Audace de Falk Richter

    Il ne reste plus grand-chose du théâtre, au sens qu’avait encore ce terme il y a encore vingt ans, et plus sûrement quarante. Pour être un peu plus précis, il n’en reste quant au tout-venant de la production culturelle française, et certainement européenne, que la parabase, c’est-à-dire, étendu à tout désormais, ce moment où – mais jadis, c’était par contraste – un personnage exprime l’opinion personnelle de l’auteur – laquelle opinion trahit généralement que l’auteur à appris à penser en lisant Libé ou Le Monde diplo, et à écrire dans le galimatias que diplôme l’Education Nationale (sic) ; légèrement au-dessus, si j’ose dire, enfin, au-dessus au moins dans l’ordre de la reconnaissance politico-médiatique, issue en droite ligne de l’idéologie libérale-libertaire véhiculée par les pousse-au-crime de soixante-huit, se tient la propagande, qui, nous devant manifestement tenir lieu de production d’élite, met parfois une sorte de paradoxal point d’honneur à imiter formellement, mais c’est pour mieux le défaire quant au fond, l’ancienne chose connue dans les siècles sous le nom de théâtre. Parabase proliférante ou propagande de pointe, voilà ce qu’il demeure du théâtre – et je tiens volontiers, contre l’indifférence générale, que ce n’est pas seulement navrant.

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