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Un poème de la modernitude

Courte et triste est notre vie ;

il n’y a pas de remède lors de la fin de l’homme

et on ne connaît personne qui soit revenu de l’Hadès.

Nous sommes nés du hasard,

après quoi nous serons comme si nous n’avions pas existé.

C’est une fumée que le souffle de nos narines,

et la pensée, une étincelle qui jaillit au battement de notre cœur ;

qu’elle s’éteigne, le corps s’en ira en cendre

et l’esprit se dispersera comme l’air léger.

Avec le temps, notre nom tombera dans l’oubli,

nul ne se souviendra de nos œuvres ;

notre vie passera comme les traces d’un nuage,

elle se dissipera comme un brouillard

que chassent les rayons du soleil

et qu’abat sa chaleur.

Oui, nos jours sont le passage d’une ombre,

notre fin est sans retour,

le sceau est apposé et nul ne revient.

 

Venez donc et jouissons des biens présents,

usons des créatures avec l’ardeur qui sied à la jeunesse.

Enivrons-nous de vins de prix et de parfums,

ne laissons point passer la fleur du printemps,

couronnons-nous de boutons de roses avant qu’ils ne se fanent,

qu’aucune prairie ne soit exclue de notre orgie,

laissons partout des signes de notre liesse,

car telle est notre part, tel est notre lot !

Opprimons le juste qui est pauvre,

n’épargnons pas la veuve,

soyons sans égard pour les cheveux blancs chargés d’années du vieillard.

Que notre force soit la loi de la justice,

car ce qui est faible s’avère inutile.

Tendons des pièges au juste, puisqu’il nous gêne

et qu’il s’oppose à notre conduite,

puisqu’il nous reproche nos péchés contre la Loi

et nous accuse de péchés contre notre éducation.

Il se flatte d’avoir la connaissance de Dieu

et il se nomme enfant du Seigneur.

Il est devenu un blâme pour nos pensées,

sa vue même nous est à charge ;

car son genre de vie ne ressemble pas aux autres

et ses sentiers sont tout différents.

Nous comptons pour lui comme de la fausse monnaie,

et il s’écarte de nos chemins comme d’impuretés.

Il proclame heureux le sort final des justes

et il se vante d’avoir Dieu pour père.

Voyons si ses dires sont vrais,

expérimentons ce qu’il en sera de sa fin.

Car si le juste est fils de Dieu, Celui-ci l’assistera

afin de connaître sa douceur

et d’éprouver sa résignation.

Condamnons-le à une mort honteuse,

puisque, à l’entendre, il sera visité. 

 

Ce poème fut écrit en grec dans la première moitié du premier siècle avant Jésus-Christ, probablement à Alexandrie.

Son auteur nous est inconnu.

On peut lire l’intégralité de ce poème dans la plupart des Bibles chrétiennes. Il a pour titre Sagesse de Salomon (chez les Grecs), ou simplement Sagesse (liber sapientiae, selon la Vulgate). Il ne figure pas dans l’Ancien Testament des juifs, les protestants en font un apocryphe.

La présente traduction est celle d’Emile Osty et Joseph Trinquet (Bible Osty).

Quant au passage cité, il est introduit ainsi :

 

Mais les impies appellent la mort du geste et de la voix ;

la tenant pour amie, pour elle ils se consument,

avec elle ils font un pacte,

dignes qu’ils sont de lui appartenir.

 

Car ils disent entre eux, dans leurs faux calculs :

 

Le premier passage cité ici relate donc la parole de ces impies ayant fait un pacte avec la mort.

La modernité n’est pas du tout récente ; c’est une très ancienne saloperie.

Et rien ne la contient plus.

 

 

 

 

Commentaires

  • hésiode a écrit un passage qui se rapproche de votre texte, d'une certaine manière:

    "C’est maintenant (l’âge des hommes) de la race de fer. Ils ne cesseront ni le jour de souffrir fatigues et misères ni la nuit d’être consumés par les dures angoisses que leur enverront les dieux. Du moins trouveront-ils encore quelques biens mêlés à leurs maux. Mais l’heure viendra où Zeus anéantira à son tour cette race d’hommes périssables : ce sera le moment où ils naîtront avec des tempes blanches. Le père alors ne ressemblera plus à ses fils ni les fils à leur père, l’hôte ne sera plus cher à son hôte l’ami à son ami, le frère à son frère, ainsi qu’aux jours passés. A leurs parents, sitôt qu’ils vieilliront, ils ne montreront que mépris ; pour se plaindre d’eux, ils s’exprimeront en paroles rudes, les méchants ! et ne connaîtront même pas la crainte du ciel. Aux vieillards qui les ont nourris, ils refuseront les aliments. Nul prix ne s’attachera plus au serment tenu, au juste, au bien ; c’est à l’artisan de crimes, à l’homme tout démesuré, qu’iront leurs respects ; le seul droit sera la force, la conscience n’existera plus. Le lâche attaquera le brave avec des mots tortueux, qu’il appuiera d’un faux serment. Aux pas de tous les misérables humains, s’attachera la jalousie, au langage amer, au front haineux, qui se plaît au mal. Alors, quittant pour l’Olympe la terre aux larges routes, cachant leurs beaux corps sous des voiles blancs, Aidos et Némésis, délaissant les hommes, monteront vers les Eternels. De tristes souffrances resteront seules aux mortels : contre le mal, il ne sera point de recours.”

    mais, plus près de nous, vous pouvez aussi trouver ceci de mahmoud darwich:

    And They Don't Ask: What Comes After Death


    Mahmoud Darwish


    And they don't ask: What comes after death?
    Though more intimate with the book of Paradise
    than with accounts of the earth, they're preoccupied
    with another question: What shall we do
    before this death? Near to life, we live
    and we don't – as if life were parceled out
    from a desert where the haggling gods of property
    settle their disputes.
    We live beside an ancient dust.
    Our lives burden the historian's night:
    "Though I make them disappear, they come back to me
    from absence."
    Our lives burden the artist:
    "I draw them and become one of them, veiled in mist."
    Our lives burden the General:
    "How can a ghost still bleed?"
    We shall be what we want to be. And we want
    a bit of life, not for just anything - but to honor
    the resurrection after our death.
    Unintentionally, they speak the philosopher's words:
    "Death means nothing to us: if we are then he isn't.
    Death means nothing to us: if he is then we are not."
    And they have rearranged their dreams
    and sleep standing.



    Et ils ne demandent pas: que vient-il après la mort?
    Bien que plus intimes avec le livre du Paradis qu'avec les comptes de la terre, ils sont préoccupés par une autre question: que devons-nous faire avant cette mort?
    Proches de la vie, nous vivons et nous ne vivons pas - comme si la vie avait été découpée en parcelles d'un désert où les dieux marchandeurs de la propriété plantent leurs disputes.
    Nous vivons près d'une ancienne poussière.
    Nos vies encombrent la nuit de l'historien:
    "Bien que je les ai fait disparaître, ils reviennent à moi de l'absence."
    Nos vies encombrent l'artiste:
    "Je les dessine et deviens l'un d'entre eux, voilé de brume."
    Nos vies encombrent le général:
    " Comment un fantôme peut-il encore saigner?"
    Nous devons être ce que nous voulons être. Et nous voulons un peu de vie, pas juste pour rien - mais pour honorer la résurrection venue après notre mort.
    Inintentionnellement, ils disent les mots du philosophe:
    "La mort ne signifie rien pour nous: si nous sommes, lui n'est pas.
    La mort ne signifie rien pour nous: s'il est, donc nous ne sommes pas."
    Et ils ont reconfiguré leurs rêves et continué de dormir debout.

  • Excellente, votre conclusion. Enfin, c'est une façon de parler. Excellente, votre façon de conclure.

  • Très bien mené ce dévoilement Pascal. Et sublime est le poème.

    @GMC: Merci pour vos extraits.

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