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Corruptions...

D’autre part, s’il prend conseil de plusieurs, jamais il ne les trouvera d’un même accord, et lui, s’il n’est de très bon jugement, ne les pourra bien accorder ; de ses conseillers chacun pensera à son profit particulier et lui ne les pourra corriger ni connaître.

Machiavel, Le Prince, XXIII, Comme l’on doit fuir les flatteurs

 

J’écris en ce moment un texte dont le sous-titre pourrait être, par exemple, La Chute de la maison Europe. Ou …Heurope. Ou Heurhope. Ce n’est pas une prophétie, ni même peut-être un constat ; c’est plus probablement un souvenir.

Plus j’avance dans l’écriture de cette pièce, et j’avance très lentement, plus je me dis qu’il est certainement vain de faire représenter ça en France. A croire que je tente de réunir toutes les conditions pour n’y parvenir pas. Bizarrement, cela ne me décourage pas. Au contraire, même.

 

– Tu n’iras plus très loin avec ce que tu écris, me dit gentiment au restaurant un directeur de salle. Au lieu d’un de tes textes, la prochaine fois, tu devrais monter un classique.

– Ouais. Corneille. Pas le chanteur, hein, dis-je en rigolant…

– Ah non, pas Corneille ou Racine, hein, les gens n’y comprennent plus rien.

Quoi faire ? Je me sers un grand verre de vin rouge.

 

Un peu plus tard, en fumant une clope devant le restaurant.

– Vas-y, dis-moi un classique, là, ce qui te passe par la tête…

Dom Juan. Personne ne veut comprendre que Molière écrit Dom Juan à charge…

– Parfait ! m’interrompt-il. Si tu montes Dom Juan, je coproduis !

– … c’est Tartufe II, finis-je…

– Peut-être, peut-être, mais Dom Juan, ça plaît.

 

Et donc maintenant, j’écris cette pièce

Pour tel personnage, le nœud du politique est juridique, celui du juridique théologique, celui du théologique divin ; dans l’autre sens, issue du silence, la parole se dégrade à chaque étape… (Ne manque au bas étage que le journalisme, mais je ne suis pas en mesure actuellement de chier des flopées de borborygmes…)

Pour tel autre au pouvoir, le divin et le théologique n’ont tout bonnement pas d’existence réelle ou admissible, le juridique doit se soumettre au politique ; quant à la parole, c’est la sienne et point-barre…

Voilà le conflit majeur, béant, dont je n’écris que les conséquences – lesquelles finalement je découvre à mesure –, et ça broie !

Nonobstant quoi I am not what I am, comme dit l’honest Iago de Shakespeare en prenant à rebours humain la définition de Dieu par lui-même (Exode 3,14) ; et Totus mundus agit histrionem !

(Je m’amuse à schématiser carrément, ici. Mais bon.)

 

Je dois avouer que la plupart des choses qui se s’écrivent aujourd’hui dans et pour le théâtre, à des degrés divers certes, me dégoûtent profondément et qu’il y a une certaine satisfaction facile à s’imaginer y être refusé ; ce qui n’ôte rien à la pertinence du point de savoir pour quelle raison je m’obstine à m’y présenter…

Il serait mille fois plus intelligent de monter correctement Corneille, cette réponse en actes à Machiavel, que toute cette flopée d’auteurs contemporains réticulés, asservis volontaires, intégrés à la machine à décerveler nommée Culture – laquelle machine est couplée, comme le sait tout lecteur de Jarry, à la pompe à phynance –, rivalisant politiquement de bêtise et de naïveté perverses.

Je peux toujours essayer de changer de barque, ça ne marchera pas : on ne remonte pas dans le temps. Du moins, pas à ce niveau social en quoi consiste ce qu’on appelle une production. Etant moi-même un auteur dramatique contemporain, la seule chose que je puis réussir est de sortir vivant de ce système nécrophage... Non point pour mon confort, mais pour un meilleur angle de tir.

 

– Si tu montes Dom Juan, il faut pas le faire avec les frous-frous, mais avec du hip-hop, hein, du hip-hop, si tu veux que ça tourne vraiment partout. C’est ça qui marche.

Et de la vidéo, frous-frous d’époque, frous-frous

Je me ressers un grand verre de vin. C’est la fête, après tout.

 

Je me dis de plus en plus souvent, tout de même, que je n’écris pas dans la bonne langue ; mais quand je cherche, uniquement par jeu, quelle serait cette langue-là, qui serait la bonne, détermination que je suis obligé, sans me préoccuper le moins du monde de savoir si je la parlerais ou écrirais, d’indexer, faute de mieux, sur les situations politiques de pays, je ne trouve pas non plus.

Théâtre ou pas, il n’y a peut-être pas d’autre question que celle de la souveraineté…

Je continue donc en français, par défaut.

 

 

 

 

Commentaires

  • J'ai envie de vous dire que vous perdez votre temps et qu'en même temps vous le sauvez. Un auteur dramatique. Premier (seul peut-être) spectateur du spectacle qu'il écrit. C'est une sorte de solitude écartelée, n'est-ce pas ? Tant que le public n'est pas là. Et quand il est là ...

  • Et si tu montes un "hoilday on ice", je te pré-achète !

  • Même pas je te crois, ma chère Showrégrâphe ! quoique je sois ravi de te voir passer par ici.

  • puisque les commentaires y sont fermés, à propos d'une "cuite de pentecôte" :
    1- me fait penser à une citation d'un ami (à propos des artistes) : "Ils croient qu'ils chient le monde tous les matins".
    2- toujours amusant de constater le décalage entre le soit disant profond désintérêt affiché pour la religion et les terribles émois qu'elle semblerait malgré tout susciter (en tout cas chez S...)
    3- j'adore cette "anecdote" !

    Rideau = cigarette

  • Oui, oui, une chape de cons s'est abattue sur la religion... Mais, ma chère, on finira bien par se causer, un de ces jours.

  • Inch'Allah ! : )

Les commentaires sont fermés.