Il se peut bien, comme d’excellents auteurs déjà l’ont dit, que l’écriture d’une tragédie, pour différentes raisons, dont quelques-unes tiennent à la haute politique – nulle part on ne trouve de souverain, qu’il soit homme ou dieu, réel et commun à représenter avec quelque respect – et les autres à la basse – l’accoutumance que nous avons à des spectacles faibles, préférant tous l’émotion à la raison –, ne soit plus possible aujourd’hui ; mais personne ne veut vraiment entendre ce corollaire, à savoir qu’en l’absence d’un référent également solide à moquer, la comédie non plus, sauf à se tromper d’objet comme on voit à toute heure, n’est pas possible… Pour autant, il serait évidemment odieux de se rendre, je dis bien : se rendre, à la bouillie ordinaire.
Si les choses ne se peuvent plus d’elles-mêmes soutenir, sans doute les faut-il soutenir de la chose opposée ; ainsi soutenir un commencement tragique d’un filigrane comique permet peut-être, en retournant la pièce, et avec l’avantage de n’en rompre aucunement l’unité, de finir une comédie en dansant sur les cadavres ; de sorte que tout le monde se réconcilie, avec une innocence de pervers, sur un tas de cadavres devenu nécessaire.
Je ne veux point de rires ou larmes sains, mais de hideux sourires sur nos faces de poupons.
Voir aussi : Travails (2) et plus généralement, colonne de droite, la section Notes de travail
Commentaires
Hum, le tragique de cette absence dont vous parlez ayant déjà été "représenté" sur le plan dramatique, je suppose? Ou alors je n'ai rien compris, et vu l'heure ce ne serait pas étonnant.
En tout cas, je ne comprends pas votre question, je crois, Tanguy.
Vous avez vu Watchmen ?
Le problème est que la bouillie ordinaire s'impose à tous, avec la puissance décuplée de la technologie. Un ami me disait ce matin : "j'ai peur que nous vieillissions bien seuls". Je regardais des lycéens, dans leurs tenues affreuses, en train de se bisouiller matinalement. Je regardais sans que rien, d'eux, n'arrête mon regard. Oui, nous vieillirons bien seul. Ensuite, je demandai aux élèves d'une classe que j'ai traînée dans une représentation de Brecht l'autre soir s'ils avaient des choses à dire. Presque tous avaient aimé le spectacle. Après, rien à dire. Quatre n'avaient pas aimé. ( j'aime / j'aime pas, nothing else)
Pourquoi ?
- parce qu'il y avait trop de marionnettes
- parce que le sièges étaient trop durs
- parce qu'il y avait trop de chants.
- parce que le public a applaudi trop longtemps et qu'il a fallu attendre qu'il ait fini pour se barrer.
Voilà.
Vous avez votre tas de cadavres, et de hideux sourires sur des faces de poupons.
Et les Ch'tis ?
@ Daredevil : Non, je n'ai pas vu.
@ Solko : Ce qui fait des gens de théâtre, peu ou prou, plutôt prou, des thanatopracteurs. C'est tout de même bon de le savoir.
@ Dupont : Les Ch'tis ne sont pas une comédie, c'est une pastorale. Et je dirais même plus : une pastorale comique...
Spoiler pour ceux qui veulent le voir :
La concordance de la sortie du film et le titre de votre note ainsi que "la réconciliation avec une innocence de pervers sur un tas de cadavres devenu nécessaire" m'y a fait penser. C'est exactement ça.