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  • Encore un effort... (2)

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    Lire la première partie.

     

     

    Je ne nierai pas cependant qu’une constitution semblable ne soit infiniment préférable à celle qui, après avoir concentré tous les pouvoirs, les déposerait dans les mains d’un homme ou d’un corps irresponsable. De toutes les différentes formes que le despotisme démocratique pourrait prendre, celle-ci serait assurément la pire.

    Lorsque le souverain est électif ou surveillé de près par une législature réellement élective et indépendante, l’oppression qu’il fait subir aux individus est quelquefois plus grande ; mais elle est toujours moins dégradante parce que chaque citoyen, alors qu’on le gêne et qu’on le réduit à l’impuissance, peut encore se figurer qu’en obéissant il ne se soumet qu’à lui-même, et que c’est à l’une de ses volontés qu’il sacrifie toutes les autres.

    Je comprends également que, quand le souverain représente la nation et dépend d’elle, les forces et les droits qu’on enlève à chaque citoyen ne servent pas seulement au chef de l’Etat, mais profitent à l’Etat lui-même, et que les particuliers retirent quelque fruit du sacrifice qu’ils ont fait au public de leur indépendance.

    Créer une représentation nationale dans un pays très centralisé, c’est donc diminuer le mal que l’extrême centralisation peut produire, mais ce n’est pas la détruire.

    Je vois bien que, de cette manière, on conserve l’intervention individuelle dans les plus importantes affaires ; mais on ne la supprime pas moins dans les petites et les particulières. L’on oublie que c’est surtout dans le détail qu’il est dangereux d’asservir les hommes. Je serais, pour ma part, porté à croire la liberté moins nécessaire dans les grandes choses que dans les moindres, si je pensais qu’on pût jamais être assuré de l’une sans posséder l’autre.

    La sujétion dans les petites affaires se manifeste tous les jours et se fait sentir indistinctement à tous les citoyens. Elle ne les désespère point ; mais elle les contrarie sans cesse et elle les porte à renoncer à l’usage de leur volonté. Elle éteint peu à peu leur esprit et énerve leur âme, tandis que l’obéissance, qui n’est due que dans un petit nombre de circonstances très graves, ne montre la servitude que de loin en loin et ne la fait peser que sur certains hommes. En vain chargerez-vous ces mêmes citoyens, que vous avez rendus si dépendants du pouvoir central, de choisir de temps à autre les représentants de ce pouvoir ; cet usage si important, mais si court et si rare, n’empêchera pas qu’ils perdent peu à peu la faculté de penser, de sentir et d’agir par eux-mêmes, et qu’ils ne tombent ainsi graduellement au-dessous du niveau de l’humanité.

    J’ajoute qu’ils deviendront bientôt incapables d’exercer le grand et unique privilège qui leur reste. Les peuples démocratiques qui ont introduit la liberté dans la sphère politique, en même temps qu’ils accroissaient le despotisme dans la sphère administrative, ont été conduits à des singularités bien étranges. Faut-il mener les petites affaires où le simple bon sens peut suffire, ils estiment que les citoyens en sont incapables ; s’agit-il du gouvernement de tout l’Etat, ils confient à ces citoyens d’immenses prérogatives ; ils en font alternativement les jouets du souverain et ses maîtres, plus que des rois et moins que des hommes. Après avoir épuisé tous les différents systèmes d’élection, sans en trouver un qui leur convienne, ils s’étonnent et cherchent encore ; comme si le mal qu’ils remarquent ne tenait pas à la constitution du pays bien plus qu’à celle du corps électoral.

    Il est, en effet, difficile de concevoir comment des hommes qui ont entièrement renoncé à l’habitude de se diriger eux-mêmes pourraient réussir à bien choisir ceux qui doivent les conduire ; et l’on ne fera point croire qu’un gouvernement libéral, énergique et sage, puisse jamais sortir d’un peuple de serviteurs.

    Une constitution qui serait républicaine par la tête, et ultra-monarchique dans toutes les autres parties, m’a toujours semblé un monstre éphémère. Les vices des gouvernants et l’imbécillité des gouvernés ne tarderaient pas à en amener la ruine ; et le peuple, fatigué de ses représentants et de lui-même, créerait des institutions plus libres, ou retournerait s’étendre aux pieds d’un seul maître.

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    Fin du chapitre « Quelle espèce de despotisme les nations démocratiques ont à craindre », à la fin du second volume de « De la démocratie en Amérique », d’Alexis de Tocqueville (1835).

     

  • Nouveaux territoires de l'amour (un peu de narcissisme à la faveur des émeutes de Vitry-le-François)

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    Ce titre demande une explication.

     

    Je travaille partiellement, depuis quelques années, à Vitry-le-François.

    Le directeur de la scène conventionnée de Vitry, flanqué d’un metteur en scène associé, m’a passé commande, aux environs de Noël 2005, peu de temps donc après les émeutes de novembre, d’une pièce sur « les banlieues ».

    – Vous êtes sûrs que vous voulez me demander ça, à moi ? ai-je dit.

    – Mais oui, mais oui… fit le premier.

    – Mais oui, mais oui… fit le second.

    J’acceptai, pensez donc.

    Il était surtout question de parler du vivre-ensemble, ou vivrensemble, dans une barre d’immeuble qu’on va raser sous prétexte de rénover le quartier (les salauds).

    Quatre comédiens. Un homme (blanc), trois femmes (une blanche, une « black », une « beur »). – Pas de ballon de foot ? Pas de ballon de foot.

     

    J’ai dit que j’écrirai une farce.

    Au sens aristophanien.

    Autant que faire se peut.

     

    Son titre fut :

    Territoires de la merde.

     

    Mon meilleur titre.

    Mon synopsis évoquait aussi une émission de télé, sorte de Thalassa des banlieues, cyniquement intitulée : « Territoires de l’amour ».

    Mes commanditaires me pressèrent de changer le premier titre (impubliable) pour le second (putassier et cynique). Ce que j’acceptai, avec ma coutumière lâcheté.

    Non sans avoir préalablement argumenté :

    – Mais merde, quand vous voyez ces émeutes, vous vous dites, comme tout le monde : « Putain, c’est la merde… » et non pas « chouette, c’est l’amour ! ».

    Il apparut que j’étais cynique.

    Toujours le même déni de réalité.

    Mais c’est l’incitation au rêve, à l’émotion, à l’utopie, que j’ai moi toujours trouvée cynique.

    Mais bon, je cédai.

     

    Puis j’écrivis la pièce.

    Mes commanditaires la refusèrent.

    Une de mes meilleures pièces.

    La scène représente un parking. Les personnages sont : 1. une professeurere des écoles alcoolique dernier stade, célibataire et hystéro-dépressive ; 2. une jeune « beurette » émancipée quoique portant foulard, ayant parfaitement intégré les codes du quartier et transportant un sac très lourd dont nous ne saurons jamais ce qu’il contient ; 3. un politicien libéral-socialiste (c’est-à-dire qu’on ne sait s’il est encarté au Parti Salopiste ou à l’Union pour une Médiocrité Présidentielle) d’une infinie veulerie ; 4. une journaliste « black », très énergique, dirigeant son émission d’une main de fer, coupant la parole, au besoin avec vulgarité, etc. J’avais ajouté une cinquième «  personnage », une sorte d’Intelligence Artificielle qui, dans la dernière partie, c’est-à-dire dans l’émission télé, donnait à chaque phrase prononcée par les autres la note d’audimat. Ce qui rendait bien sûr complètement incohérent ce piètre simulacre de débat – l’annonce d’un 2, par exemple, engageant le locuteur à se contredire lui-même immédiatement, etc.

     

    Bref, ma pièce fut refusée. Dès lecture.

    Toujours le même déni de réalité (« Ce n’est plus la droite qui est réactionnaire, c’est la réalité », comme le disait quelque part le fade Laurent Joffrin…).

    Ils montèrent un autre texte, non-théâtral, sociologique et neuneu, je veux dire : pavé de bonnes intentions idiotes, et comme les programmes annonçaient une pièce titrée Territoires de l’amour, ils conservèrent ce titre de merde que j’avais initialement destiné à illustrer l’abjection journalistique.

    CQFD.

     

    CQFD est le titre des 20 pages de notes racontant l’histoire de cette commande et de son refus par ses commanditaires mêmes.

    Peut-être les publierai-je ici, quelque jour où je serai lassé de pondre de nouveaux billets.

     

    Depuis, j'ai archivé la pièce dans Tout faut.

  • Encore un effort...

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    Je pense donc que l’espèce d’oppression dont les peuples démocratiques sont menacés ne ressemblera à rien de ce qui l’a précédé dans le monde ; nos contemporains ne sauraient en trouver l’image dans leurs souvenirs. Je cherche en vain moi-même une expression qui reproduise exactement l’idée que je m’en forme et la renferme ; les mots anciens de despotisme et de tyrannie ne conviennent point. La chose est nouvelle, il faut donc tâcher de la définir, puisque je ne peux la nommer.

    Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres :  ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et, s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie.

    Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ?

    C’est ainsi que tous les jours, il rend moins utile et plus rare l’emploi du libre-arbitre ; qu’il renferme l’action de la volonté dans un plus petit espace, et dérobe peu à peu à chaque citoyen jusqu’à l’usage de lui-même. L’égalité a préparé les hommes à toutes ces choses : elle les a disposés à les souffrir et souvent même à les regarder comme un bienfait. 

    Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l’avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière ; il en couvre la surface d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule ; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger.

    J’ai toujours cru que cette sorte de servitude, réglée, douce et paisible, dont je viens de faire le tableau, pourrait se combiner mieux qu’on ne l’imagine avec quelques-unes des formes extérieures de la liberté, et qu’il ne lui serait pas impossible de s’établir à l’ombre même de la souveraineté du peuple.

    Nos contemporains sont incessamment travaillés par deux passions ennemies : ils sentent le besoin d’être conduits et l’envie de rester libres. Ne pouvant détruire ni l’un ni l’autre de ces instincts contraires, ils s’efforcent de les satisfaire à la fois tous les deux. Ils imaginent un pouvoir unique, tutélaire, tout-puissant, mais élu par les citoyens. Ils combinent la centralisation et la souveraineté du peuple. Cela leur donne quelque relâche. Ils se consolent d’être en tutelle, en songeant qu’ils ont eux-mêmes choisi leurs tuteurs. Chaque individu souffre qu’on l’attache, parce qu’il voit que ce n’est pas un homme ni une classe, mais le peuple lui-même, qui tient le bout de la chaîne.

    Dans ce système, les citoyens sortent un moment de la dépendance pour indiquer leur maître, et y rentrent.

    Il y a, de nos jours, beaucoup de gens qui s’accommodent très aisément de cette espèce de compromis entre le despotisme administratif et la souveraineté du peuple, et qui pensent avoir assez garanti la liberté des individus, quand c’est au pouvoir national qu’ils la livrent. Cela ne me suffit point. La nature du maître m’importe bien moins que l’obéissance.

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    Le texte qui précède est de 1835.

    On le trouve au centre du chapitre « Quelle espèce de despotisme les nations démocratiques ont à craindre », à la fin du second volume de « De la démocratie en Amérique », d’Alexis de Tocqueville.

    L'illustration en tête du billet provient du blog Police du monde parodique.

  • Œdipe, de Vladimir Volkoff

     

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    Belle pièce précise, concise et poétique que cet Œdipe (1993).

     

    ŒDIPE. – (…) Fondu de bout en bout du même métal, avec des maillons fils qui sont des maillons pères, avec des maillons pères qui sont des maillons fils, sauf le premier et le dernier, car le premier n’aura pas eu de père, et le dernier ne peut avoir de fils sous peine de ne pas être le dernier. C’est enfantin. C’est simple.

     

    Le Chœur qui représente à la fois les enfants de Thèbes et les étoiles a également fonction de jouer du temps ; selon le sens dans lequel il tourne et fait ronde, l’intrigue se déplace vers le futur ou le passé. La pièce peut ainsi commencer par la marche du vieil Œdipe, les yeux crevés, probablement vers Colone, accompagné de sa fille Antigone. Laquelle voit en rêve – le Chœur tourne dans le sens des aiguilles d’une montre – sa fin, après que ses frères se seront entretués sous les remparts de Thèbes, après qu’elle aura désobéi à Créon et rendu, ou tenté de rendre, à Polynice les honneurs funèbres. Racontant à son père sa vision, celui-ci comprend que la tragédie ne finit pas avec lui, et que la destinée poursuit aussi sa descendance. Et nous voilà revenu, de quelques tours de Chœur dans l’autre sens, à la rencontre d’Œdipe et de la reine Jocaste qu’il ignore être sa mère, après qu’il a tué son père, qu’il ignorait être son père, et vaincu le Sphinx, qui, ici, n’est point un sphinx ou l’idée mythologique qu’on s’en fait, mais la Chienne-Chantante, ordinateur femelle et qui règne sur Thèbes, s’étant soumis jusqu’au roi, Laïos, qu’Œdipe, donc, vient de tuer en légitime-défense… parce que celui-ci refusait qu’Œdipe affrontât la Chienne-Chantante.

    L’affrontement d’Œdipe et de la Chienne-Chantante – car elle chante réellement, et de la variété ! – est évidemment le sommet de la pièce. Les trois énigmes sont très bien amenées, commençant par une inversion discrète dans la plus connue, celle des trois âges de la vie et du nombre de pattes, puis poursuivant par deux questions réellement complexes qu’Œdipe déchiffre, décrypte et résout magnifiquement (je n’en dirai pas plus). Vaincue, la Chienne-Chantante explose. Thèbes est libérée, Œdipe enfin peut épouser Jocaste.

    Mais la pièce ici bascule et change ; les vivants et les morts peuvent se parler, à témoin cet extrait de dialogue entre Laïos et Antigone, qui ne se connurent pas pourtant (dans la pièce de Volkoff, c’est la Chienne-Chantante qui, déjà, avait annoncé à Laïos et Jocaste, que leur fils tuerait son père et épouserait sa mère) :

    LE CHŒUR. – Tu as cru que la Chienne-Chantante édictait un oracle infaillible ?

    LAÏOS. – J’ai cru.

    LE CHŒUR. – Et pourtant tu as cru aussi que tu le ferais avorter ?

    LAÏOS. – J’ai espéré.

    LE CHŒUR. – Le père meurt, le fils vit. Le fils à son tour devient père et meurt. Il est interdit d’attenter aux gréements agencés par les dieux.

    ANTIGONE. – Grand-père, ne touchez pas à ce petit

             Enfant. Je dois l’avoir pour père un jour.

     

    La pièce est une très tendre réflexion au milieu des carnages, sur ce qu’est un père, sur ce qu’est un fils ; sur ce qu’est un homme. Elle ne s’épargne pas de poser la question des dieux, et de Dieu, ni de jumeler le destin à la machine (au nom d'animal festif). Et ce tout est rythmé, plus que rythmé, « monté » par ce Chœur représentant à la fois les enfants de Thèbes et les étoiles.

    Ce Chœur qui dit, dans sa première intervention :

    LE CHŒUR. – Nous sommes les étoiles du ciel et nous sommes les enfants de Thèbes.

             Il n’est pas interdit d’être l’un et l’autre.

    Nous sommes les enfants déjà nés et ceux qui attendent de naître,

             nous sommes aussi les étoiles sans destin.

    Au ciel, nous tournons lentement autour de la ville de Thèbes ;

             sur terre, nous grouillons dans ses ruelles tortueuses.

    Et clôt ainsi la pièce :

    LE CHŒUR. – Nous, les étoiles, nous allons rentamer notre ronde ordinaire et attendre la fin du monde en dansant sur la tête des hommes.

     

    Très bien construite, la pièce est également très bien écrite. Les décasyllabes et les vers libres alternent avec la prose, et le tout trouve son unité dans la justesse d’emploi de chacun de ces modes, non moins que dans l’indication de l’auteur ouvrant le livre : « Note sur la diction. La diction doit être celle de la prose soignée. Sauf cas particuliers, la synérèse sera préférée à la diérèse et les e en fin de mot ne se prononceront pas. »

     

     

  • Interview NDE (2)

    Interview NDE (première partie) 

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    ** 

    LA MORT – Vous voyez, ça ne marche pas.

    L’INCONNUE – En effet.

    LA MORT. – Vous avez l’air un peu perdue, n’est-ce pas ?

    L’INCONNUE. – Oui. Je ne sais pas trop quoi penser de tout ça. Est-ce alors que je suis morte pour toujours ?

    LA MORT. – Dites-vous simplement que vous êtes en vacances ; et que ces vacances n’auront pas de fin.

    L’INCONNUE. – Ca, c’est génial.

    LA MORT. – C’est d’enfer, même. – Vous reconnaissez-vous dans ce miroir ?

    L’INCONNUE. – J’aimerais bien. Qui est-ce ?

    LA MORT. – Vous. En ce moment. Ne voulez-vous pas vous reconnaître enfin pour cette belle femme encore ?

    L’INCONNUE. – J’aimerais bien. Ou j’aurais bien aimé. Mais il aurait fallu que ce ne soit pas. Ce n’est pas moi, cette femme.

    LA MORT. – Si.

    L’INCONNUE. – C’est moi ?

    LA MORT. – Prenez donc le temps de vous tâter, si vous voulez.

    L’INCONNUE. – Je suis belle ?

    LA MORT. – Vous êtes belle.

    L’INCONNUE. – C’est mon nez surtout qui est plus court qu’avant, non ?

    LA MORT. – Il est parfait à présent.

    L’INCONNUE. – Vous ne vous moquez pas ?

    LA MORT. – Non.

    L’INCONNUE. – Je suis belle, maintenant ? Je suis belle !

    LA MORT. – Nous repartons du bon pied et dans un nouveau train, ma chère. N’est-ce pas que je suis là pour vous aider, et que vous en êtes bien certaine ?

    L’INCONNUE. – Bien sûr. Il semble bien. Dites, pour combien de temps suis-je belle ainsi ?

    LA MORT. – Pour le temps qu’il faut.

    L’INCONNUE. – C’est merveilleux. Un conte de fées. Vous me rendrez mon nom, après ?

    *

    LA MORT – Alors, à la gare, ce lundi, il s’est passé quoi ?

    L’INCONNUE – Je suis descendue du train et…

    LA MORT – Et ?

    L’INCONNUE – Et je suis allée au travail.

    LA MORT – Ah ! quand même. Je rappelle aux spectateurs que si cette affirmation était fausse, ça sonnerait. Donc, il ne s’est rien passé de particulier ?

    L’INCONNUE – Rien du tout, non. Pourquoi ?

    LA MORT – Pour rien. Et vous vous en souvenez tout de même ?

    L’INCONNUE – Oui.

    LA MORT – Ca, c’est fort.

    L’INCONNUE – C’est fort. En quoi ?

    LA MORT – La ferme. Les autres lundis, vous vous en souvenez ?

    L’INCONNUE – Non. Pas vraiment. Ou plutôt, les autres lundis sont ce lundi-là. Pareil. En tous points.

    LA MORT – Alors, ce n’est pas un lundi dont vous vous souvenez. Pas un lundi particulier.

    L’INCONNUE – Vous êtes psychologue, dites donc.

    LA MORT – Oui. Psychopompe, même. Je suis la Mort.

    L’INCONNUE – Ca, c’est pour la télé.

    LA MORT – Oh, pas seulement. Je suis quelqu’un comme vous et moi. Mais passons. Pas un lundi particulier, donc ?

    L’INCONNUE – Non, un lundi normal, tous les lundis de la vie en un seul souvenir invariable.

    LA MORT – Souvenir qui donc est faux.

    L’INCONNUE – Oui. Souvenir faux mais dont je me souviens.

    LA MORT – En somme, vous allez plutôt bien.

    L’INCONNUE – Sans doute, oui.

    LA MORT – Tout va bien.

    L’INCONNUE – Je crois, oui.

    LA MORT – Non, sérieusement, tout va bien ?

    L’INCONNUE – C’est vrai. Tout va bien.

    LA MORT – C’est vrai. Ma chère, vous êtes parfaitement normale. En pleine santé. Heureuse mère de deux jolis enfants. Formidable. Exceptionnelle. Normale. Banale. Une être humaine comme les autres.

    L’INCONNUE – Merci, merci. – Mais alors, mon nom ?

    LA MORT. – Vous en avez besoin encore ?

    L’INCONNUE. – Je ne sais pas. Peut-être pas, non. – Non, en fait.

    LA MORT – Voilà, voilà, il ne nous reste plus qu’à remercier notre candidate chez qui les effets de notre Spécial Sérum ne vont pas tarder à se dissiper totalement, laissant à la place de cette émission une zone mémoire entièrement vierge. Merci beaucoup à vous, donc.

    L’INCONNUE – Merci à vous.

    LA MORT – A demain pour un nouveau Jeu de la Mort en Direct, pour un nouveau JMD.

    L’INCONNUE – Merci encore à vous…

    Guillerette musique de générique.