Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

volkoff

  • Œdipe, de Vladimir Volkoff

     

    OEdipe Volkoff.jpg

     

    Belle pièce précise, concise et poétique que cet Œdipe (1993).

     

    ŒDIPE. – (…) Fondu de bout en bout du même métal, avec des maillons fils qui sont des maillons pères, avec des maillons pères qui sont des maillons fils, sauf le premier et le dernier, car le premier n’aura pas eu de père, et le dernier ne peut avoir de fils sous peine de ne pas être le dernier. C’est enfantin. C’est simple.

     

    Le Chœur qui représente à la fois les enfants de Thèbes et les étoiles a également fonction de jouer du temps ; selon le sens dans lequel il tourne et fait ronde, l’intrigue se déplace vers le futur ou le passé. La pièce peut ainsi commencer par la marche du vieil Œdipe, les yeux crevés, probablement vers Colone, accompagné de sa fille Antigone. Laquelle voit en rêve – le Chœur tourne dans le sens des aiguilles d’une montre – sa fin, après que ses frères se seront entretués sous les remparts de Thèbes, après qu’elle aura désobéi à Créon et rendu, ou tenté de rendre, à Polynice les honneurs funèbres. Racontant à son père sa vision, celui-ci comprend que la tragédie ne finit pas avec lui, et que la destinée poursuit aussi sa descendance. Et nous voilà revenu, de quelques tours de Chœur dans l’autre sens, à la rencontre d’Œdipe et de la reine Jocaste qu’il ignore être sa mère, après qu’il a tué son père, qu’il ignorait être son père, et vaincu le Sphinx, qui, ici, n’est point un sphinx ou l’idée mythologique qu’on s’en fait, mais la Chienne-Chantante, ordinateur femelle et qui règne sur Thèbes, s’étant soumis jusqu’au roi, Laïos, qu’Œdipe, donc, vient de tuer en légitime-défense… parce que celui-ci refusait qu’Œdipe affrontât la Chienne-Chantante.

    L’affrontement d’Œdipe et de la Chienne-Chantante – car elle chante réellement, et de la variété ! – est évidemment le sommet de la pièce. Les trois énigmes sont très bien amenées, commençant par une inversion discrète dans la plus connue, celle des trois âges de la vie et du nombre de pattes, puis poursuivant par deux questions réellement complexes qu’Œdipe déchiffre, décrypte et résout magnifiquement (je n’en dirai pas plus). Vaincue, la Chienne-Chantante explose. Thèbes est libérée, Œdipe enfin peut épouser Jocaste.

    Mais la pièce ici bascule et change ; les vivants et les morts peuvent se parler, à témoin cet extrait de dialogue entre Laïos et Antigone, qui ne se connurent pas pourtant (dans la pièce de Volkoff, c’est la Chienne-Chantante qui, déjà, avait annoncé à Laïos et Jocaste, que leur fils tuerait son père et épouserait sa mère) :

    LE CHŒUR. – Tu as cru que la Chienne-Chantante édictait un oracle infaillible ?

    LAÏOS. – J’ai cru.

    LE CHŒUR. – Et pourtant tu as cru aussi que tu le ferais avorter ?

    LAÏOS. – J’ai espéré.

    LE CHŒUR. – Le père meurt, le fils vit. Le fils à son tour devient père et meurt. Il est interdit d’attenter aux gréements agencés par les dieux.

    ANTIGONE. – Grand-père, ne touchez pas à ce petit

             Enfant. Je dois l’avoir pour père un jour.

     

    La pièce est une très tendre réflexion au milieu des carnages, sur ce qu’est un père, sur ce qu’est un fils ; sur ce qu’est un homme. Elle ne s’épargne pas de poser la question des dieux, et de Dieu, ni de jumeler le destin à la machine (au nom d'animal festif). Et ce tout est rythmé, plus que rythmé, « monté » par ce Chœur représentant à la fois les enfants de Thèbes et les étoiles.

    Ce Chœur qui dit, dans sa première intervention :

    LE CHŒUR. – Nous sommes les étoiles du ciel et nous sommes les enfants de Thèbes.

             Il n’est pas interdit d’être l’un et l’autre.

    Nous sommes les enfants déjà nés et ceux qui attendent de naître,

             nous sommes aussi les étoiles sans destin.

    Au ciel, nous tournons lentement autour de la ville de Thèbes ;

             sur terre, nous grouillons dans ses ruelles tortueuses.

    Et clôt ainsi la pièce :

    LE CHŒUR. – Nous, les étoiles, nous allons rentamer notre ronde ordinaire et attendre la fin du monde en dansant sur la tête des hommes.

     

    Très bien construite, la pièce est également très bien écrite. Les décasyllabes et les vers libres alternent avec la prose, et le tout trouve son unité dans la justesse d’emploi de chacun de ces modes, non moins que dans l’indication de l’auteur ouvrant le livre : « Note sur la diction. La diction doit être celle de la prose soignée. Sauf cas particuliers, la synérèse sera préférée à la diérèse et les e en fin de mot ne se prononceront pas. »