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Interview NDE (1)

Je livre ici, en deux fois, une saynète d’interview retranchée (à mon grand regret) de la version définitive de Wonderland. Le nom de la chaîne télé est NDE 1 (Near Death Experience One). L’Inconnue est certainement connecté à un détecteur de mensonges, etc.

Ange mort. E de Morgan.jpg

Studio de télé. Logo NDE 1.Lumières vives, rose fluo. Et une arme, aussi, au bon moment.

Sur le divan hi-tech, l’Inconnue lentement s’éveille – semble-t-il ; la Mort est là déjà, très en beauté…

 

LA MORT. – Elle dort. Elle dort et ne sait pas encore que son visage, nous le lui avons refait à neuf et rajeuni pour la compétition. Je soufflerai sur sa face et elle s’éveillera, attention, 1, 2, 3.

 

*

 

L’INCONNUE – Qu’est-ce que je fais ici ?

 

Atroce feulement numérique.

 

LA MORT – Taisez-vous. Contentez-vous de répondre aux questions.

L’INCONNUE – C’est un interrogatoire.

 

Atroce feulement numérique.

 

LA MORT – Taisez-vous. C’est un débat télévisé.

L’INCONNUE – Cauchemar.

 

Atroce feulement numérique.

 

LA MORT – Taisez-vous, merde.

L’INCONNUE – Laissez-moi sortir.

LA MORT – Nous avons fouillé votre passé. Nous n’avons rien trouvé. De quoi vous souvenez-vous ?

L’INCONNUE – Pardon ?

LA MORT – De quoi vous souvenez-vous ?

L’INCONNUE – Mais… à propos de quoi ?

LA MORT – De quoi vous vous souvenez, putain de merde. Listez vos saloperies de souvenirs par ordre chronologique, ils seront soumis à vérification.

L’INCONNUE – C’est débile.

LA MORT – Et alors ? Je ne vous demande pas ce que vous en pensez. Listez. Listez. Un souvenir. Même un seul, tout petit, paumé dans un coin.

L’INCONNUE – Ouais. La gare, le lundi, c’est à la gare que je viens, un lundi, c’est le lundi que j’arrive à la gare, je vais au travail, à Wonderland.

LA MORT – Quel jour quittiez-vous votre travail ?

L’INCONNUE – Quittiez ?

LA MORT – Quittez. Quel jour quittez-vous votre travail ?

L’INCONNUE – Le samedi. Le vendredi. Je ne sais pas. Peut-être le jeudi.

LA MORT – C’est à la gare ?

L’INCONNUE – Oui.

LA MORT – Vous reprenez le train, c’est bien ça ?

L’INCONNUE – Oui, c’est ça, c’est pourtant logique. Je ne vois pas pourquoi toutes ces questions.

LA MORT – Alors, comment pouvez-vous me dire que c’est un lundi, pas un jeudi, votre souvenir ?

L’INCONNUE – C’est un lundi. Sûrement. Je me vois descendre d’un train. Du train.

LA MORT – Comment peut-on se voir descendre d’un train ? Quand on descend d’un train, on ne s’en voit pas descendre. Vous mentez.

L’INCONNUE – Non, non, je ne crois pas.

LA MORT – Bon. Et que se passe-t-il à la gare ?

L’INCONNUE – Je descends du train.

LA MORT – Ne vous répétez pas. Cherchez. Ca n’a pas d’intérêt, ce souvenir, s’il est juste ce souvenir. Cherchez. Que se passe-t-il à la gare ? 

L’INCONNUE – C’est un lundi, je descends du train… et après… eh bien, après, je ne sais plus.

LA MORT – Vous ne savez plus ? Plus du tout ?

L’INCONNUE – Non. Du tout. Je ne sais rien. Je suis vidée. Et vide.

LA MORT – C’est maigre. Un autre souvenir ? Un homme, par exemple.

L’INCONNUE – Un homme ? Vous voulez dire un homme en particulier ? Non, non, je ne vois pas.

LA MORT – Pourtant vous avez des enfants.

L’INCONNUE – On me les a offerts.

LA MORT – Qui donc ? Un homme, justement, j’imagine.

L’INCONNUE – Non, non, je ne crois pas. A un moment, ils étaient là, c’est tout. Je ne vois que ça.

LA MORT – Le nom de vos enfants ?

L’INCONNUE – Bégonia. Docile.

LA MORT – C’est un souvenir, ça. Deux filles, donc ?

L’INCONNUE – Peut-être. A moins qu’il n’y ait un garçon.

LA MORT – Quels âges ont-ils ?

L’INCONNUE – Je ne sais pas. Il y a longtemps, je trouve, que je les ais.

LA MORT – Mais enfin, vous les aimez ?

L’INCONNUE – Je ne comprends pas.

LA MORT – Vous leur donnez à manger ?

L’INCONNUE – Evidemment. C’est con comme question. Je suis leur mère.

LA MORT – Gardez vos commentaires pour vous. Vous leur donnez à boire aussi, et des vêtements, et ce genre de choses ?

L’INCONNUE – Oui, oui.

LA MORT – Alors vous les aimez.

L’INCONNUE – Même qu’ils vident tout mon compte en banque. Ils pillent même les dettes.

LA MORT – Les chéris…

L’INCONNUE – Les petits enculés, oui…

LA MORT – En somme, vous êtes heureuse ?

L’INCONNUE – Heureuse ?

LA MORT – Oui, vous travaillez, vous gagnez votre vie, vous avez deux enfants parfaitement adorables, vous êtes heureuse. Le bonheur, quoi.

L’INCONNUE – Le bonheur.

LA MORT – Et votre nom, madame, il est revenu votre nom ?

L’INCONNUE – Quel nom ? Ah, mon nom. Non.

LA MORT. – C’est bien, ça. Ca soulage. Quelle expérience.

L’INCONNUE. – Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi je ne sais plus mon nom ?

LA MORT – Je rappelle à nos spectateurs que vous êtes sous sérum de vérité. Et vos enfants, ils ne le connaissent pas votre nom ?

L’INCONNUE – Je ne sais pas.

LA MORT – Comment vous appellent-ils ?

L’INCONNUE – Maman.

 

Atroce feulement numérique.

 

LA MORT – Vous mentez ! N’oubliez pas que je suis là tout spécialement pour vous aider. Comment vous appellent-ils, alors ?

L’INCONNUE – La Vieille.

LA MORT – Bravo. Vous vous sentez vieille, vous ?

L’INCONNUE – Oui.

LA MORT – Quel âge avez-vous ?

L’INCONNUE – Eh bien… écoutez… je dirais… 65 ans…

LA MORT – Faux. Je suis ravie de vous apprendre que, génétiquement, vous avez 34 ans.

L’INCONNUE – Vous savez ça, vous ?

LA MORT – Oui, je sais ça. J’en sais même plus que ça. Ce n’est pas très vieux, 34 ans. La vie va encore vous traîner un moment. Elle va vous traîner longtemps, très longtemps, oui, très longtemps, très très.

L’INCONNUE – Ah oui. Et comment ça ? Et comment vous le sauriez ?

LA MORT – Comment je le sais. Mais parce que vous êtes morte, ma chère.

L’INCONNUE – Rendez-moi mon nom, maintenant. Non, je ne suis pas morte. Et vous non plus, vous ne savez pas mon nom. Pas morte encore, non. Salope. Mon nom.

LA MORT – Je le sais. Mais je ne puis pas vous le dire. C’est tout à fait contraire au règlement.

L’INCONNUE – Cette discussion est atroce.

LA MORT – Fermez-la.

L’INCONNUE – Je ne suis pas morte.

LA MORT – Si. Vous êtes morte. Essayez donc de vous tuer.

L’INCONNUE – Quoi ?

LA MORT – Essayez donc de vous tuer.

L’INCONNUE – On passe encore à la télé, là ?

LA MORT – Oui. L’audimat monte à max.

L’INCONNUE – C’est de la folie.

LA MORT – Si vous ne croyez pas que vous êtes morte, essayez donc de vous tuer. Pour voir.

L’INCONNUE – Pour voir ?

LA MORT – Oui, oui, pour voir. Préférez-vous que je vous tue ?

L’INCONNUE – Non. Non.

LA MORT – Alors, allez-y.

L’INCONNUE – Bon. Pourquoi pas, après tout ?

LA MORT – Adieu Bégonia, adieu Docile.

L’INCONNUE – Quoi ?

LA MORT – C’est ce que vous devriez dire. Adieu Bégonia, adieu Docile.

L’INCONNUE – Adieu Bégonia, adieu Docile.

 

L’Inconnue se tire une balle dans la tête.

 

(A suivre…)

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