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Theatrum Mundi - Page 75

  • Dramaturgiques 1-3, précédé de Couple avec interrupteur hystérique #1

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    En guise d’amuse-gueule, d’abord ce texte poétique écrit pour « illustrer » une œuvre d’art contemporain de l’Américain Jerome Jeden dans un luxueux catalogue à paraître :

     

     

     

     

    COUPLE AVEC INTERRUPTEUR HYSTERIQUE #1

     

    Il est là, elle l’engueule, le méprise, l’humilie ; il n’est pas là, elle pleure, vacille, s’effondre ; elle le rappelle et il revient. Il est là, elle l’engueule, le méprise, l’humilie ; il n’est pas là, elle pleure, vacille, s’effondre ; elle le rappelle et il revient. Il est là, elle l’engueule, le méprise, l’humilie ; il n’est pas là, elle pleure, vacille, s’effondre ; elle le rappelle et il revient. Il est là, elle l’engueule, le méprise, l’humilie ; il n’est pas là, elle pleure, vacille, s’effondre ; elle le rappelle et il revient. Il est là, elle l’engueule, le méprise, l’humilie ; il n’est pas là, elle pleure, vacille, s’effondre ; elle le siffle, il revient.

     

     

    *

    Je ne saurais trop prier ceux de mes chers lecteurs qui pourraient s’accorder à ne point trouver trop futiles les petits travaux que j’ai pris l’habitude de leur présenter ici même, de porter une bienveillante attention aux trois petits dialogues qui suivent, modestement intitulés Dramaturgiques 1-3, et se trouvent être en abrégé le fruit de mes travaux dramaturgiques (donc) de ces dernières années…

     

     

     

     

     

     

     

    DRAMATURGIQUES 1-3

     

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    Tous les arts contribuent au plus grand de tous les arts, l’art de vivre. 

    Brecht

     

    1.

    L’homme. – Je cherche une occasion de mourir ; donnez-moi le prétexte.

    La société. – Pourquoi te donnerais-je cela ?

    L’homme. – Je n’ai pas peur de me battre.

    La société. – Ah, tu veux servir.

    L’homme. – Disons ça, alors.

    La guerre éclate. Issues également incertaines.

     

    2.

    L’homme. – Je cherche une occasion de mourir ; donnez-moi le prétexte.

    La société. – Pourquoi te donnerais-je cela ?

    L’homme. – Je n’ai pas peur de me battre.

    La société. – Je t’interdis de te battre.

    L’homme se tue. La société meurt.

     

    3.

    L’homme. – Je cherche une occasion de mourir ; donnez-moi le prétexte.

    La société. – Pourquoi te donnerais-je cela ?

    L’homme. – Je n’ai pas peur de me battre.

    La société. – J’aime la paix.

    L’homme attaque la société. Issues également incertaines.

     

    *

     

    Commentaires

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    Il est extrêmement agréable, lorsque l’on ne sait pas trop quoi écrire et que cette oisiveté même nous presse, de se livrer brièvement, volontairement à l’imbécillité la plus crasse.

    L’imbécillité consiste ici à fabriquer récréativement quelques dialogues faussement intelligents, profonds comme un trompe-l’œil, contrefaçon dégueulasse et méprisant la vie, et dont je puis seulement souhaiter, avec une pédagogie de carnaval, qu’ils servent à démasquer ceux de mes contemporains criminels qui les pratiquent sérieusement, appuyant leurs crevures ineptes d’un vernis propagandiste quand il n’est pas philosophe, sinon pire (ici, Brecht)…, lesquels contemporains sont ordinairement, mais cette fois dans la vie, de très jolies ordures, ce qui leur permet donc de très artistement se pavaner et de prendre de haut l’ordinaire péquin n’entendant fort logiquement rien à leurs carabistouilles à la con. Fabriquer ces trois dialogues idiots m’a pris exactement douze minutes, saisie incluse.

    Quant à la première pièce, Couple…,  elle m’a pris beaucoup moins de temps encore ; elle signale d’un dièse bienvenu son exemplaire modernité et devrait en droit être accompagnée d’une citation de Freud ; Jerome Jeden, lui, n’existe carrément pas.

     

     

  • Printanière poésie couleur femme

    (Billet initialement paru sur Ring : ici)

    cochons.jpg

    Quand une amie, en voiture l’autre jour, m’a annoncé en rigolant franchement que le thème du Printemps des Poètes de cette année était Couleur de femme ou Couleur femme (elle ne savait plus trop, et je ne puis point lui en vouloir, l’expression ne pouvant être réputée poétique que de n’avoir aucun sens précis) et que la manifestation débutait le 8 mars, date de la Journée de la Femme (qui est celle aussi, du coup, de la très justifiée Blague misogyne), j’ai d’abord émis l’hypothèse improbable mais drôlatique (enfin, relativement) qu’il y avait là une coquille (au sens de la typographie, pas de l’œuf) et qu’il devait être en réalité question de je ne sais quelle Coulure de femme (c’est de l’humour à la mode non point machiste mais féministe, me justifié-je illico, songeant avec nostalgie à cet ancien journal féministe intitulé Le Torchon brûle, revue menstruelle) et, bref, nous avons bien rigolé tous les deux.  

    Plus tard, je me suis renseigné sur internet. C’était bien Couleur femme. Le titre était emprunté au recueil de poèmes d’une dame nommée Guénane Cade. Le site officiel du Printemps des Poètes donne un extrait de sa poésie (sans préciser d’ailleurs si elle vient bien de ce recueil-là, mais bon) ; je ne crains pas de le recopier ici :

     

    « Ouvre la fenêtre

    les yeux les bras

    tout est ici

    ici-bàs

    ici bat la poésie

    d’autre monde il n’y a pas.

     

    Être Poète

    c’est prendre les mots

    par la main

    pour craindre moins

    d’avancer

    seul

    au cœur des masques collés

    sur la vie.

     

    Être poète

    c’est percer une fenêtre

    quand le mur n’en a pas. »

     

    C’est beau, hein ?

    Puissant, profond, simple, pigeable illico, archi-rabâché, pétri de lieux communs. (J’ai même recopié les coquilles : « ici-bàs » ; avec les poètes on ne sait jamais.)

    Il dit d’ailleurs la vérité, ce poème, quoique bien malgré lui : dans ces temps pourris de transparences diverses et d’assauts répétés contre le dernier mur en carton-pâte séparant le privé du public, il n’y plus guère partout que d’immenses baies vitrées dans lesquelles il serait parfaitement crétin d’aller percer des fenêtres. « A quoi bon des poètes par temps de fenêtres ? », comme ne disait pas Hölderlin.

     

    Mais peu importe, cela m’a donné envie.

    Oui. Pourquoi ne serais-je point poète, moi-z-aussi ?

    Quitte à rajouter un e à mon prénom, afin de bénéficier des privilèges idiots qu’on accorde aux poètes femmes cette année (en contrepartie de quoi, d’ailleurs – je pense vraiment qu’il faudrait un peu se poser la question ?).

    C’est vrai, quoi. Il suffit de revenir fréquemment à la ligne, en somme de tronçonner sa banale phrase en morceaux pour la tartiner tranquillement sur la page en espérant que ce douteux artifice lui donnera la profondeur dont elle manque d’évidence. Yapluka. D’autant qu’on peut dire ce qu’on veut comme on veut, et de préférence n’importe quoi n’importe comment.

    (Je m’étonne toujours, à cette heure sinistre où le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle, que mes amis écologistes bon teint ne tonitruent pas davantage contre les poètes gaspilleurs de papier qui passent leur temps à foutre sur une page pleine ce qui aurait pu tenir en trois lignes franchement pas indispensables. Oui, ces baratineurs de long de poètes printaniers qui bouzillent des forêts à la moindre renécharade que leur esprit flatule, il n’en est jamais question sur vos tracts en papier recyclé de campagne électorale, amis écologistes.)

    Pourquoi s’emmerder, hein ? Devenons poète à notre tour et perçons une salutaire fenêtre dans la baie vitrée (je trouve l’image moins éculée que le sempiternel enfonçage de portes ouvertes – merci Guénane Cade).

     

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  • De l'inutilité du théâtre, tout court

    Ma bibliothèque est un monstre presque vivant. Depuis quatre ou cinq ans, elle déborde, craque, ne peut plus contenir tous mes livres. Mieux, elle les fait disparaître derrière des empilements de fortune toujours menaçant ruine. Tout classement est aboli – on en retrouve parfois vaguement la trace alphabétique. Reposer un livre dedans ou plus généralement dessus, c’est prendre le risque qu’elle en vomisse plusieurs autres. Une vingtaine parfois dégringolent, découvrant d’autres livres en désordre, oubliés – forces présentes en seconde ligne, voire en troisième. Il y avait deux ans que j’étais infoutu de remettre la main sur mon Folio d’Ubu et voilà que le monstre l’a recraché hier. Je l’ai trouvé au sol, en rentrant. Je ne sais pas d’où il est tombé. Peu importe.

     

    Pour fêter ces retrouvailles, je vous recopie ici le paragraphe inaugurant un texte intitulé « De l’inutilité du théâtre au théâtre », paragraphe dans lequel beaucoup de choses ont seulement fait semblant de vieillir ou, plutôt, n’ont vieilli qu’en termes journalistes d’actualité :

     

    Ubu-Jarry.jpg

     

    Je crois que la question est définitivement tranchée de savoir si le théâtre doit s’adapter à la foule ou la foule au théâtre. Laquelle, antiquement, n’a pu comprendre ou faire semblant de comprendre les tragiques et comiques que parce que leurs fables étaient universelles et réexpliquées quatre fois en un drame, et le plus souvent préparées par un personnage prologal. Comme aujourd’hui elle va à la Comédie-Française entendre Molière et Racine parce qu’ils sont joués d’une façon continue. Il est d’ailleurs assuré que leur substance lui échappe. La liberté n’étant pas encore acquise au théâtre de violemment expulser celui qui ne comprend pas, et d’évacuer la salle à chaque entracte avant le bris et les cris, on peut se contenter de cette vérité démontrée qu’on se battra (si l’on se bat) dans la salle pour une œuvre de vulgarisation, donc point originale et par cela antérieurement à l’originale accessible, et que celle-ci bénéficiera au moins le premier jour d’un public resté stupide, muet par conséquent.

     

     

    Depuis Jarry, celui qui peut comprendre s’est lui-même, doucement, expulsé des théâtres – ainsi d’ailleurs que tous ceux que la société ne saurait plus contraindre à devoir faire semblant ; quant à la foule, elle fait les mises en scène devant des publics clairsemés. L’absence totale de substance a de longtemps abattu le mur invisible, parfois dit « quatrième », séparant les personnages des spectateurs –  les personnages, jugés trop dangereux, ayant été évacués, on a pu ensuite ôter les barreaux de la cage de sorte que le rien puisse donner sur lui-même

    On ne se bat plus dans les salles.

    Ouf.