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personnages

  • De l'inutilité du théâtre, tout court

    Ma bibliothèque est un monstre presque vivant. Depuis quatre ou cinq ans, elle déborde, craque, ne peut plus contenir tous mes livres. Mieux, elle les fait disparaître derrière des empilements de fortune toujours menaçant ruine. Tout classement est aboli – on en retrouve parfois vaguement la trace alphabétique. Reposer un livre dedans ou plus généralement dessus, c’est prendre le risque qu’elle en vomisse plusieurs autres. Une vingtaine parfois dégringolent, découvrant d’autres livres en désordre, oubliés – forces présentes en seconde ligne, voire en troisième. Il y avait deux ans que j’étais infoutu de remettre la main sur mon Folio d’Ubu et voilà que le monstre l’a recraché hier. Je l’ai trouvé au sol, en rentrant. Je ne sais pas d’où il est tombé. Peu importe.

     

    Pour fêter ces retrouvailles, je vous recopie ici le paragraphe inaugurant un texte intitulé « De l’inutilité du théâtre au théâtre », paragraphe dans lequel beaucoup de choses ont seulement fait semblant de vieillir ou, plutôt, n’ont vieilli qu’en termes journalistes d’actualité :

     

    Ubu-Jarry.jpg

     

    Je crois que la question est définitivement tranchée de savoir si le théâtre doit s’adapter à la foule ou la foule au théâtre. Laquelle, antiquement, n’a pu comprendre ou faire semblant de comprendre les tragiques et comiques que parce que leurs fables étaient universelles et réexpliquées quatre fois en un drame, et le plus souvent préparées par un personnage prologal. Comme aujourd’hui elle va à la Comédie-Française entendre Molière et Racine parce qu’ils sont joués d’une façon continue. Il est d’ailleurs assuré que leur substance lui échappe. La liberté n’étant pas encore acquise au théâtre de violemment expulser celui qui ne comprend pas, et d’évacuer la salle à chaque entracte avant le bris et les cris, on peut se contenter de cette vérité démontrée qu’on se battra (si l’on se bat) dans la salle pour une œuvre de vulgarisation, donc point originale et par cela antérieurement à l’originale accessible, et que celle-ci bénéficiera au moins le premier jour d’un public resté stupide, muet par conséquent.

     

     

    Depuis Jarry, celui qui peut comprendre s’est lui-même, doucement, expulsé des théâtres – ainsi d’ailleurs que tous ceux que la société ne saurait plus contraindre à devoir faire semblant ; quant à la foule, elle fait les mises en scène devant des publics clairsemés. L’absence totale de substance a de longtemps abattu le mur invisible, parfois dit « quatrième », séparant les personnages des spectateurs –  les personnages, jugés trop dangereux, ayant été évacués, on a pu ensuite ôter les barreaux de la cage de sorte que le rien puisse donner sur lui-même

    On ne se bat plus dans les salles.

    Ouf.

     

     

  • Travails (2)

    La journée est infinie. Cela vient de ce qu’elle est fausse, sans doute.

    Je parle de la journée comme unité dramatique.

     

    Je suis parvenu au moment où tel personnage doit faire telle chose ; j’ai cru tout faire pour parvenir à ce moment-là, et maintenant ce moment n’est tout bonnement pas possible.

    Pas pour des raisons métaphysiques ou psychologiques. C’est plus simple.

    Le personnage doit être seul pour faire ce quelque chose ; et il ne lui est pas loisible d’être seul. C’est con, hein.

    Passer des heures à choisir ces mots avec soin, à éviter aussi que les phrases puent l’épithète (1), et ne pas savoir ni où l’on va (c’est la vie…) ni ce que l’on est en train de faire au juste (idem). Ce qui n’empêche pas de pouvoir en parler. Des heures s’il le faut. Ce que je ne fais pas non plus.

    J’en ai fini de ce que je voulais faire ; tout commence, tout est ouvert.

    (Du coup, je ne fais rien. Rien, c’est-à-dire : ce que vous lisez. Du coup, je ne fais rien, mais avec légèreté.)

    J’ai quand même mis deux semaines à comprendre.

    A vérifier dans tous les sens, sans rien écrire d’ailleurs, que ça ne pouvait pas aller où je croyais. Deux semaines à se gratter la tête, et à marmonner : – Merde…

    Les choses devraient pouvoir aller vite, enfin.

    Maintenant que j’en sais moins que les gusses sur la page.

    C’est le point de bascule.

    Ils n’ont qu’à se démerder, ces connards.

    Je les laisse tomber.

    Champagne.

     

     

     

     

     Voir aussi Bousiller et Travails, et remonter de lien en lien si le coeur vous en dit...

     

     

    (1) Je me suis dit tout à l’heure qu’en dépit de l’amour que je leur porte, il fallait abandonner les épithètes aux critiques. (Au surplus, c’est moins emmerdant que d’arrêter de fumer. Demain, j’arrête les adverbes…)

     

     

     

  • Bousiller

    Travails

     

     

     

    L’histoire d’amour tient en deux phrases brèves, chacun une. Puis arrive un troisième personnage qui leur parle d’autre chose (le sujet principal) et quand ce dernier sort, l’histoire d’amour des deux autres est définitivement bousillée.

    On dirait une consigne d’improvisation, j’y pense seulement maintenant. Ça m’étonnerait assez que quelqu’un les sorte jamais au débotté, mes deux phrases ; pourtant, elles m’ont l’air claires.

    Ce n’est pas que les histoires d’amour finissent mal en général (comme dit la chanson) qui m’emmerde, non, ce qui m’emmerde, c’est qu’elles m’emmerdent. Alors on expédie, une balle, un mort. Et on n’en parle plus.

     

    J’arrache ces putains de phrases une à une. Je les sors une à une et c’est une horreur. Ce sont vraiment des putains. Et elles ne doivent pas en être. C’est aussi bête que ça. Et aussi insoluble. Ça ne va jamais. Je ne prends que des mots de tous les jours et ils ne doivent plus être les mots de tous les jours. De là peut-être cette impression de guerre avec le temps – et je ne peux que la perdre, la faire et la perdre. Il faut défaire les mots, les vider, casser ce qu’ils trimbalent d’époque, de contemporanéité (mot atroce), mettons : d’ambiance. Il faut qu’ils soient moins, qu’ils soient nus, chétifs, et que le silence envahisse tout.

    J’ai écrit le premier acte laborieusement. Passer entre deux ou trois heures à écrire quatre ou huit phrases qui vous dégoûtent déjà de misère, fait que vous promenez le plus discrètement possible une sorte de honte quand, descendu dans la rue, vous croisez vos semblables et que vous les voyez se parler, se héler sans y penser, avec facilité. Mais qu’est-ce que je fais ? qu’est-ce que c’est, ce que je fais ? Au point que j’ai envoyé chier Machin, journaliste, en entrant au troquet : – Alors ça va, l’inspiration, hein ? – Ta gueule, fais pas chier.  

    Du coup, pour le deuxième acte, il a bien fallu que je redéverse tout ça sur quelque chose, que je bousille quelque chose, que je putanise ; et finalement, je travaille avec le même disque en boucle, c’est lui seul qui fait l’ambiance, et j’espère que ça m’aide à en vider tout le reste, ces salopes de phrases, donc. J’ai – je ne sais pourquoi, sinon parce qu’il n’y a pas de paroles, mais j’ai tant de disques sans paroles… – tout de suite choisi la Neuvième symphonie de Bruckner. Tant qu’à bousiller quelque chose, après tout, autant que ce soit immense.

    J’attends la suite, quand il va falloir le ramener dans la pièce, le banal. Quand il va falloir bousiller tout ce que je viens de faire, et mettre enfin les personnages à bavarder dans le vide. Et déjà je me dis que même le bavardage, il faudra le faire faux lui aussi, et que sans doute ça ne va pas couler comme ça, avec facilité…

     Je n’aurai vraiment parler que de bousiller, ce soir.