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La journée est infinie. Cela vient de ce qu’elle est fausse, sans doute.
Je parle de la journée comme unité dramatique.
Je suis parvenu au moment où tel personnage doit faire telle chose ; j’ai cru tout faire pour parvenir à ce moment-là, et maintenant ce moment n’est tout bonnement pas possible.
Pas pour des raisons métaphysiques ou psychologiques. C’est plus simple.
Le personnage doit être seul pour faire ce quelque chose ; et il ne lui est pas loisible d’être seul. C’est con, hein.
Passer des heures à choisir ces mots avec soin, à éviter aussi que les phrases puent l’épithète (1), et ne pas savoir ni où l’on va (c’est la vie…) ni ce que l’on est en train de faire au juste (idem). Ce qui n’empêche pas de pouvoir en parler. Des heures s’il le faut. Ce que je ne fais pas non plus.
J’en ai fini de ce que je voulais faire ; tout commence, tout est ouvert.
(Du coup, je ne fais rien. Rien, c’est-à-dire : ce que vous lisez. Du coup, je ne fais rien, mais avec légèreté.)
J’ai quand même mis deux semaines à comprendre.
A vérifier dans tous les sens, sans rien écrire d’ailleurs, que ça ne pouvait pas aller où je croyais. Deux semaines à se gratter la tête, et à marmonner : – Merde…
Les choses devraient pouvoir aller vite, enfin.
Maintenant que j’en sais moins que les gusses sur la page.
C’est le point de bascule.
Ils n’ont qu’à se démerder, ces connards.
Je les laisse tomber.
Champagne.
Voir aussiBousilleretTravails, et remonter de lien en lien si le coeur vous en dit...
(1) Je me suis dit tout à l’heure qu’en dépit de l’amour que je leur porte, il fallait abandonner les épithètes aux critiques. (Au surplus, c’est moins emmerdant que d’arrêter de fumer. Demain, j’arrête les adverbes…)
Il ne reste plus grand-chose du théâtre, au sens qu’avait encore ce terme il y a encore vingt ans, et plus sûrement quarante. Pour être un peu plus précis, il n’en reste quant au tout-venant de la production culturelle française, et certainement européenne, que la parabase, c’est-à-dire, étendu à tout désormais, ce moment où – mais jadis, c’était par contraste – un personnage exprime l’opinion personnelle de l’auteur – laquelle opinion trahit généralement que l’auteur à appris à penser en lisant Libé ou Le Monde diplo, et à écrire dans le galimatias que diplôme l’Education Nationale (sic) ; légèrement au-dessus, si j’ose dire, enfin, au-dessus au moins dans l’ordre de la reconnaissance politico-médiatique, issue en droite ligne de l’idéologie libérale-libertaire véhiculée par les pousse-au-crime de soixante-huit, se tient la propagande, qui, nous devant manifestement tenir lieu de production d’élite, met parfois une sorte de paradoxal point d’honneur à imiter formellement, mais c’est pour mieux le défaire quant au fond, l’ancienne chose connue dans les siècles sous le nom de théâtre. Parabase proliférante ou propagande de pointe, voilà ce qu’il demeure du théâtre – et je tiens volontiers, contre l’indifférence générale, que ce n’est pas seulement navrant.
Il y a un épisode qui concerne la mort de Savinio. Savinio et sa femme faisaient chambre à part. Il était gravement malade, il souffrait du cœur ; aussi laissait-il la porte ouverte entre eux deux. Un matin sa femme, en se levant, trouve cette porte fermée, et derrière, Savinio, mort : il s’était levé, il était allé fermer la porte, pour que sa femme ne l’entende pas mourir.
Leonardo Sciascia, De la Sicile et de la vie en général (Conversations avec Domenico Porzio), ed. Liana Levi
Tombé là-dessus, en feuilletant ce beau livre d’entretiens, au moment où Sciascia, évoquant la vertu, passe de Sénèque à Diderot, et de Diderot à ce Savinio dont je ne connais ainsi rien d’autre que l’histoire de sa mort.
(On ne me croira peut-être pas, je m’en contrefous d’ailleurs, mais hier soir, j’étais en train de lire et relire, pour des problèmes de théâtre, Théorie de la Constitution de Carl Schmitt. J’ai fait une promenade sur internet, et je suis tombé surce billet, consacré à Sollers et ses sbires, de Juan Asensio, puis sur sa controverse légère avec Elisabeth Bart. Du coup, ramassant à la va-comme-je-te-pousse tout ce bazar, je me suis délassé à écrire ça. Vers trois heures du matin, ayant relu le texte, je l’ai trouvé au moins bizarre – j’avais même l’impression de parler de moi à la troisième personne du singulier, alors que non, pas vraiment. Je ne l’ai pas mis en ligne. Je le fais maintenant. La page informatique, de plus en plus, me semble un paillasson.)
Le bar du quartier carbure à Radio Nostalgie (il y a pire, notez bien). – On ne peut pas couper ça ? dis-je. Après tout, j’y suis le seul client, à cette heure. Mon dernier rendez-vous, selon toute probabilité, ne viendra pas ; et c’est tant mieux. – Non, me répond le patron en essuyant un verre, sinon il n’y aurait plus d’ambiance. Je m’abstiens de tout commentaire. Je commande un autre café, sors fumer sur le pas de porte. Il fait froid, le ciel dégagé est blanc plutôt que bleu. Je reviens au comptoir, bois rapidement mon café, règle les quatre, sors. Je marche dans cette petite ville que je ne connais pas. Le froid attaque les mains. La forme des rues, l’architecture sont singulières, les boutiques sont les mêmes que partout, à quelques petits commerces près. J’approche du centre-ville, sans doute, puisque les rues maintenant sont équipées de haut-parleurs qui diffusent de la musique d’ambiance. Un poil plus récente que le tout-venant de Nostalgie. Mêmes boutiques, mêmes musiques, cette ville inconnue m’est déjà familière. Faussement. Peut-être signalent-ils, en creux, ces haut-parleurs la présence, plus discrète, de caméras de surveillance. Je ne sais pas. Je ne les cherche pas. Le flicage a lui-même bien assez de flics. M’est avis qu’ils concourent, sans bien le savoir, professionnels et amateurs. La justice arbitre. Petit jackpot des dommages et intérêts. Ce qui m’emmerde plus, c’est de prendre ce bain musical simplement en marchant dans les rues. J’entre dans un magasin, la musique y est différente ; j’y achète en vitesse des chaussettes (eh oui) fabriquées en Chine. Retour à la bouillie musicale populaire. C’est en anglais. Je ne cherche pas à comprendre les paroles. La voix du coup est seulement musique. Je fume une autre cigarette devant la vitrine d’une grande boutique de chasse. Il n’y pas de magasin de chasse, dans ma ville. Il n’y en a plus, du moins. Je regarde les fusils, les couteaux, les revolvers, les armes de défense, les fac-similés, aussi. Tiens, ça chante en français. Les paroles, quoique navrantes, s’impriment bien. Je vais me la trimbaler toute la soirée, celle-là. Quel monde en merde. J’ai un refrain con dans la tronche, je le sifflote. La loi a imposé un pourcentage de chansons françaises, pour stopper l’invasion anglo-américaine. Ça a permis à la France d’abrutir encore sa variétoche et de développer son rap. Ah, les beaux appels au meurtre, au viol, ah, la poésie rebelle, Rimbaud, tout ça. Une église. J’entre dedans. Je cherche le silence, peut-être. Je n’y crois pas. Qu’il va y avoir du silence. Dans la plupart des églises, en ville du moins, et dans l’hypothèse que leurs portes ne sont pas fermées, une musique douce est diffusée en fond sonore. Une musique religieuse, dix-huitième généralement. Le silence est insupportable, sans doute. Pour le coup, dans cette église par ailleurs charmante, je ne suis pas déçu. La musique est assez forte, et elle consiste, à mon avis, en chants paroissiaux locaux enregistrés par les paroissiens mêmes. Naufrage total. C’est complètement kéké. Les curés mouduculs ne suffisent plus à renvoyer les gens dehors ; il faut aussi, en leur absence, la musique la plus évidemment abrutissante. Encore plus évidemment con que tout le reste. Niais, si vous préférez, et de bout en bout. De l’expression à la théologie, si j’ose dire, en passant par la musique. « On ferme », semble avoir décrété l’Eglise sans avoir eu besoin de lire Muray ; « de toute façon, c’est encore mieux dehors » (il fallait le faire, quand même). Je retourne à la rue. J’entre dans un café. Prendre l’apéritif. Avant de rentrer au restaurant de l’hôtel. Picon. Rolling Stones en fond sonore. Encore les Stones. Et un troisième. Ah, cette fois, c’est un disque : choix musical du patron. C’est l’Happy Hour, une horde de jeunes gens débarque. Demande au patron de changer de disques. Lequel, au nom de l’ambiance, j’imagine, obtempère. Et nous voilà à présent avec je ne sais quelle saloperie technoïde à fond les ballons. J’ai envie de décaniller, mais le patron me remet mon verre. – C’est sympa, hein, hurle-t-il. – Quoi ? Je n’ai vraiment pas compris. – C’est sympa, hein, je dis, hurle-t-il derechef. J’acquiesce, lève vers le haut un pouce d’autant plus hypocrite qu’il est très énergique. Je finis mon verre, je me casse. Il fait nuit, à présent. Je vais remonter doucement vers l’hôtel. Je mangerai. J’irai dans ma chambre. J’essaierai de ne pas allumer la télé. Et de lire. Mais bon. Ce n’est jamais gagné. Ce que je lis ? Esquisse d’une phénoménologie du droit. Kojève. Livre dans lequel l’intelligence et les limites de la démonstration paraissent ensemble. En attendant, je fredonne cette chanson de merde, entendue tout à l’heure (je ne fais pas de bub).
Evidemment, j’ai mangé en variétés débiles et regardé pendant deux heures une merde infâme à la télé. Puis j’ai noté des trucs. Je ne lirai pas. Ni Kojève, ni Rabelais, retrouvé au fond de mon sac complètement corné.
Voilà ce que j’ai noté.
Empire de la musique & musique de l’Empire. Le sinistre occultiste Abellio, je crois, considérait sérieusement la musique comme une drogue douce. La surconsommation, volontaire ou pas, me la ferait plutôt considérer comme une drogue dure. Tout est question de consommation, plutôt. Comme toujours. Société de consommateurs. Entendre : de junkies (parlons moderne). Nous flottons dans ce bain musical. Cool, man (en français dans le texte). D’ailleurs, le mot cool vient peut-être (je n’en sais rien, mais j’aimerais bien) de la vieille expression française à la coule. Etre à la coule. A lire, on visualise le fond de noyade de cette affaire. Quand j’ai le choix de la musique, ce qui se fait rare avant la nuit, en général je n’en écoute pas. Quand j’en écoute, je choisis souvent de la musique baroque ou symphonique, sans paroles. Quand je choisis un opéra, j’essaie hélas rarement de suivre le livret. Exercice trop difficile. J’écoute donc essentiellement de l’allemand, de l’italien, rarement du français. Le français d’opéra, je ne le comprends pas. Pas un admirateur de Gounod, mais jamais réussi à comprendre ce que disait son chœur archi-rabâché après « Gloire immortelle de nos aïeux »… Quand je suis vraiment claqué, j’écoute des chants grégoriens en buvant un bordeaux blanc (ou autre chose, d’ailleurs, mais j’ai un souvenir précis de telle soirée…). Hildegard von Bingen. Et puis la musique religieuse (pas les chants paroissiaux kékés, hein, merci). Le Requiem de Mozart est assez joyeux aussi. Et le Nisi Dominus de Vivaldi… Bref, j’écoute surtout du latin. Plus encore que de l’allemand ou de l’italien. Du latin. En fait – cela m’apparaît à l’instant – j’ai choisi mon Empire et, bizarrement, il ne chante pas en anglais.
Pour finir, et à propos de Vivaldi, je vais quand même faire de la pub. La vidéo qui suit est d’ailleurs elle-même une publicité :
Dernière chose. Les trois artistes que vous venez de voir passeraient tout à fait inaperçus dans la rue. Ce sont des interprètes de grand talent. Ils ne ressemblent d’ailleurs pas à des clowns, pardon, à des artistes, des créateurs oué tu vois.