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Theatrum Mundi - Page 110

  • Un conte

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Pas très loin de la mer, là où commence le désert, pas très loin de la mer, là où pourtant elle n’est plus visible, là où le désert déjà s’étend à perte de vue, et là pourtant où souffle encore une brise marine, là donc, à la tombée du jour, le vieil homme de retour posa soudain son arme, les quelques voyageurs épuisés qui le suivaient s’arrêtèrent, surpris sans doute par ce geste que rien ne semblait avoir préparé, le vieil homme posa son arme, il la laissa tomber mollement sans bruit dans le sable, ceux qui le suivaient ne dirent rien, trop surpris pour parler, surpris sans doute que le vieil homme, malgré dans l’air la proximité sensible de la mer, ne les y mène pas avant que la nuit soit descendue sur la terre, et avec elle le froid redoutable du désert, mais donc les voyageurs se turent, ils avaient grande reconnaissance à leur guide de les avoir menés jusqu’à la mer, presque jusqu’à la mer dont on sentait dans l’air la proximité, et le vieil homme dit : – Asseyez-vous, car je vais vous raconter une histoire. C’est une longue histoire et il ne faudra pas vous endormir tandis que je la raconterai, car celui qui s’endort pendant ce récit ne se réveillera jamais. Chacun s’assit donc, se promettant de ne pas sombrer, y veillant d’autant plus qu’ils étaient épuisés d’un long voyage, chacun s’assit et l’homme commença de raconter l’histoire, mais l’histoire était dans une langue que les voyageurs ne parlaient ni ne comprenaient, et l’histoire était longue et le vieil homme parlait doucement, la nuit et le froid ensemble étaient descendus et l’histoire était longue et les voyageurs l’un après l’autre tombèrent mollement et sans bruit dans le sable, tandis que des larmes roulaient sur les joues du vieil homme qui parlait. 

     

     

     

     

     

  • Position politique

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    Le misérable théâtre de notre époque ne s’aventure que rarement à représenter le pouvoir et les hommes qui l’exercent.

     

    Le théâtre est politique quand il représente le pouvoir ; pas quand il exprime les opinions personnelles de l’auteur.

    Sophocle a occupé de hautes fonctions politiques. Les historiens, partant de ses pièces, sont incapables de comprendre quelles étaient ses idées. Le fait est qu’écrivant du théâtre, il se situait au-dessus de celles-ci mêmes.

     

    Représenter le pouvoir tient en la description la plus active et impartiale possible des forces historiques en conflit – et par cette dernière expression je n’entends pas les dernières fadaises politiciennes ou sociétales – deux barbarismes – à la mode dans la bouillie journaliste.

    Cela seulement peut dire la hauteur ou la bassesse d’une époque, et conséquemment l’exalter ou lui nuire.

     

    Voilà bien pourquoi tout ce qui, dans la culture, n’est pas réellement théâtral reçoit aujourd’hui les plus vifs encouragements.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    (Voir aussi : Note de travail (2))

     

     

     

  • Opinions sur rue

    Crayon-trottoir. C’est une enquête réalisée dans la rue sur un échantillon de population approximativement représentatif de lui-même.

     

    – Bonjour, monsieur. Puis-je vous poser quelques questions ?

    – Quoi t’est-ce qu’on gagne ?

    – Un morceau de gloire relative en kit à monter soi-même.

    – C’est pas trop long alors, j’espère, parce que j’ai encore des courses à faire pour le chat…

    – Non, non, c’est très court. C’est une enquête anonyme pour savoir où on est avec la mort.

    – Ça a l’air intello, vot’ truc, là, dites, non, hein ?

    – Meuh non… Bon, vous y êtes ? Première question : Etes-vous prêt à mourir pour Dieu ?

    – Ah bah c’te blague, Dieu… Pff… Vraiment, hein.

    – 2. Etes-vous prêt à mourir pour votre pays / patrie / nation (rayez les mentions pas choisies ou pas comprises) ?

    – Vous déconnez pas un peu, non ?

    – 3. Pour de l’argent ?

    – Ah oué oué oué… Bah non merde, parce que comment qu’on le claque après ?

    – 4. Pour vos parents ?

    – De toute façon, ’vont bientôt crever, les vioques. Place aux jeunes ! Même qu’on peut les aider à se magner un peu grâce à la dignité. C’est qu’y a le pavillon à récupérer…

    – 5. Pour vos enfants ?

    – Euh… Ça dépend : c’est filmé ?

     

    Résultat de l’enquête :

    Probant.

    L’échantillon est tout à fait émancipé, libéré de toute emprise libérale, idéologique ou religieuse.

    Son désir légitime d’être filmé nous conduit à lui proposer de pratiquer quelques activités artistiques citoyennes ouvertes à tous.

     

    Morale – car c’en est une :

    Mourir pour rien

    C’est vachement bien

    De toute façon on va crever

    Autant que ça soye pour rien

     

    – Et sinon, monsieur, je peux vous demander ce que vous faites dans la vie ?

    – Je m’emmerde.

    – Non mais, comme métier ?

    – Chui assistante sociale bac +5, pourquoi ?