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malraux - Page 2

  • Bien arrangé, mal arrangé

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    Vous ne voyez donc pas, me dit le type accoudé au comptoir, que nous en sommes revenus aux sacrifices humains ? Et je ne parle pas des guerres, hein ; non, je parle d’ici, maintenant, en France et en temps de paix. Enfin, en temps de rien.

    Il me sourit dans le miroir en trempant son croissant dans le café.

    – Ouais, dis-je par une espèce de lâcheté matinale, on manque peut-être un peu de recul. C’est facile, comment dire ? d’anthropologiser dans le sens qui nous arrange.

    – Parce que vous croyez vraiment que ça m’arrange.

    D’un autre côté, il a l’air arrangé, le gars. C’est un fou.

     

    Moi aussi, je peux faire de la poésie.

    Si je veux, quand je veux.

    Je fais qu’est-ce que je veux.

    Mais ça m’emmerde.

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  • Réel réel

    Partons donc, si vous le voulez bien, de cette note en bas de page de Jean-Claude Michéa (L’enseignement de l’ignorance).

     

    Quand la classe dominante prend la peine d’inventer un mot (« citoyen » employé comme adjectif) et d’imposer son usage, alors même qu’il existe, dans le langage courant, un terme parfaitement synonyme (civique) et dont le sens est tout à fait clair, quiconque a lu Orwell comprend immédiatement que le mot nouveau devra, dans la pratique, signifier l’exact contraire du précédent. Par exemple, aider une vieille dame à traverser la rue était, jusqu’ici, un acte civique élémentaire. Il se pourrait à présent que le fait de la frapper pour lui voler son sac représente avant tout (avec, il est vrai, un peu de bonne volonté sociologique) une forme, encore un peu naïve, de protestation contre l’exclusion et l’injustice sociale, et constitue à ce titre, l’amorce d’un geste citoyen.

     

    (L’humour – noir, il est vrai, mais que voudrait-on ? – de Michéa, je trouve, n’a pas été assez noté. L’expression « un peu de bonne volonté sociologique » est un sommet.)

     

    A l’adjectivation des substantifs ayant déjà un adjectif (citoyen remplaçant civique) correspond également la substantivation des adjectifs ayant déjà un substantif : réel était l’adjectif provenant de réalité ; il tend aujourd’hui à le remplacer : voilà qu’à toutes les sauces, on nous fourgue du réel.

     

    Il faut donc que le réel soit l’exact contraire de la réalité.

     

    J’en conclus ce billet, quitte à paraphraser une phrase attribuée à Malraux, et déjà passablement galvaudée, d’une note guillerette, sinon pas même optimiste :

     

    Le réel sera citoyen et il ne sera pas.

     

    Ce qui est très logique, merci.

  • Independence night

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    Pour lire l'article sur le Ring, cliquez sur la photo.

     

    Je conçois très bien qu’on soit en désaccord total avec toute définition de la culture, à commencer par celle que, en 1971, dans Les chênes qu’on abat, relatant une conversation de 1969, André Malraux place dans la bouche d’un général de Gaulle cherchant assez joliment ses mots : « Après tout, le mot culture a un sens. Qu’est-ce qui se continue – vous voyez ce que je veux dire – qu’est-ce qui ne se continue pas ? Il s’agit d’une opposition plus profonde qu’entre l’éphémère et le durable, vous comprenez bien : de ce qu’il y a de mystérieux dans la durée. Cette bibliothèque n’est pas une collection de vérités, opposée à des calembredaines. Il s’agit d’autre chose. Rien de moins clair que la victoire des œuvres sur la mort. »

    Depuis nous avons bel et bien changé de monde. Et Malraux, après avoir fait dire à son interlocuteur qu’ « il est étrange de vivre consciemment la fin d’une civilisation », concluait la première version de son ouvrage sur cette phrase, qui paraîtra peut-être murayenne à certains : « La nuit tombe – la nuit qui ne connaît pas l’Histoire. »

    Et en effet, nous ne sommes plus tellement certains que les mots aient un sens, qu’il s’agisse ou non de celui de culture ; que quelque chose se continue ne paraît guère souhaitable ; corollairement, l’opposition entre le durable et l’éphémère a été tranchée au profit de l’éphémère ; le mystère avec le durable itou s’en est allé ; les bibliothèques, lorsqu’elles survivent, accumulent des calembredaines bien inférieures aux fatrasies médiévales. Bref, rien n’est aujourd’hui plus clair que la victoire de la mort sur les œuvres.

    Les exemples d’un tel effondrement abondant d’évidence, il ne semble guère difficile de se pourlécher de ces anecdotes qui ont succédé aux événements, lesquelles anecdotes ne peuvent en somme être ordonnées que selon la gravité de la maladie qu’elles révèlent. Il n’est donc utile de s’attarder à commenter que celles se présentant sous forme de symptôme manifeste.

     

    Ainsi, France 2 diffusait dimanche soir (2 octobre), en deuxième partie de soirée, une émission intitulée : « Les indépendants montent le son », qui avait été préalablement enregistrée dans les salles et salons du ministère de la Culture, ainsi que dans les jardins du Palais-Royal, avec la complicité d’une Christine Albanel réjouie, passablement guillerette. On pouvait voir là, avec beaucoup de courage, ou de masochisme, c’est selon, évoluer (dans la nouvelle acception de ce verbe) la fine fleur de la chanson (plus ou moins) française, dont je ne résiste pas à vous citer la liste :

    Ayo, Keziah Jones, Travis, Amadou et Mariam, Aaron, Camille, Julien Clerc, Carla Bruni, Christophe, Renan Luce, Grégoire, Vincent Delerm, Bloc Party, Bense, Mattrach.

    On pouvait également se repaître, entre ses petites chansons idiotes pour adolescents éternels qui font généralement office de publicité citoyenne sur France Inter, de béats discours optimistes sur l’avenir de tout et de n’importe quoi : Laurent Baffie et Stéphane Blakowski représentaient sans doute la philosophie, Anne Roumanoff et Charles Berling la morale, Bernard Murat et Yvan Le Bolloch’ la théologie, Philippe Besson et Jean-Jacques Annaud la scolastique ; quoique toutes permutations semblent également possibles, tout étant égal à tout, valant tout. Il y avait encore d’autres prestigieux intervenants dont les noms – ils ne m’en voudront pas, je le crains – m’échappent ; et d’un intérêt comparable.

    Personne, fort heureusement, ne s’est avisé de se demander ce que pouvait bien être cette indépendance prétendument en question. Pas même Carla Bruni. « Les indépendants montent le son » étant un nom d’émission défrisant de connerie, comme à peu près tout ce qui se torche sous nos cieux médiatiques, et pas même foutu, hélas, de prétendre au contrepet, j’en ai déduit, à tort ou à raison, que l’indépendance, désormais, consistait seulement dans le fait de monter le son. J’aurais préféré qu’une telle indépendance baissât plutôt l’abat-jour...

    Bref, c’était le genre de soirée imbécile que n’aurait pas reniée un Jack Lang, premier en date de ces ministres des déprédations ordinaires, à moins qu’on ne le suppose conscient du coup de vieux qu’elle lui donne, le vouant, non moins que tout le bazar d’artistes en peau de lapin qu’il avait en son temps fourbi, à un oubli immensément mérité. C’était le genre de soirée parfaite pour valider les thèses que l’on peut à présent dire ethnologiques, présentées dans le patois journalistique ordinaire, d’un Donald Morrison dans Que reste-t-il de la culture française ?

     

    Diagnostiquer dans ce cloaque une tumeur au cerveau était un jeu d’enfant. Comme aussi définir, en dépit qu’elle en ait, la culture : La culture est l’approbation de ce qui est, quoi que ce soit. Mais cette définition même, qui ne le voit ? s’effondre sur elle-même, et jusqu’à rendre superfétatoire le mot qu’elle définit. Le ministère de la Culture et de la Communication pourrait aussi bien devenir le ministère de la Communication, ou, pour faire plus moderne, le ministère de la Comm’. Puisque cette émission culturelle ne se distinguait en rien de celles qui ne le sont pas. La mort envahit tout.

     

    Ah, j’allais oublier le plus beau. L’ensemble était présenté par le sémillant et défraîchi Guillaume Durand, véritable clou du spectacle, sinon pas du cercueil. Lequel s’était costumé d’un fort seyant pulovère noir sur lequel on pouvait lire en majuscules blanches, culture française oblige, The Beatles. J’y ai vu là comme un programme : le monde a commencé en 1960, même Elvis appartient à la préhistoire, rien de ce qui a existé avant ne doit avoir de valeur positive. L’extension du domaine de la fin de l’Histoire se fait à vitesse carcinomique.

     

     

     

     

  • Malraux est grand et BHL n'est pas sur la photo

    En réponse à une internaute, suite à mon billet sur ce brave BHL :

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    Chère madame,

    Vous me dites que j’exagère. Sans doute.

    Mais c’est BHL, et non pas moi, qui, au moment de dire que la laïcité n’est pas une religion, trouve judicieux d’intituler son article : Les dix commandements de la laïcité.

    A titre d’exercice, prenez les Dix Commandements de la Bible, notez-les, puis rayez ceux qui déjà n’ont plus du tout cours, ou ont tellement d’exceptions qu’ils sont sur la voie de la pure et simple caducité.

    L’idée me vient d’ailleurs en vous répondant que peut-être la République ne veut pas autre chose – l’ignorerait-elle (et certes il ne faut pas compter sur des vendus à la BHL pour chasser les temples du marché, sans parler même de l’inverse…) – que la fabrication d’un grand marché global (à l’américaine) où toutes les soi-disant religions, ramenées toutes à leur plus petit dénominateur commun et toutes égales entre elles, sinon pas identiques, formeraient ensemble, et sous couvert de laïcité donc, un nouveau polythéisme – athéisme et agnosticisme inclus – s’hybridant sans cesse, dont les piliers seraient les anciens monothéismes relativisés et, comme je le disais hier, « démilitarisés ». Les fidèles, plutôt attachés à telle divinité, pourraient de temps en temps, selon les occurrences, dont certaines seront bien vite festivement et œcuméniquement conseillées, voire imposées, faire appel (ou rendre grâce ou ce que vous voulez) à telle autre n’appartenant pourtant pas à leur confession d’origine.

    Un nouveau paganisme, en somme.

    Lequel se trouve être, selon moi, le fantasme originel de la prétendue laïcité. La République nous revient tout droit de la Rome païenne, et la démocratie de la Grèce polythéiste (dont je ne nie bien évidemment pas les apports immenses par ailleurs). Il s’était agi, en somme, et ce mouvement avait innocemment débuté à la Renaissance, de revenir avant le christianisme…

    Fantasme qui, au vu de notre époque merveilleuse, est devenu déjà son utopie, puis son idéologie, et dont la réalisation désastreuse semble en cours.

    Le retour en somme de Fabre d’Eglantine et de son calendrier révolutionnaire débile, version XXI° siècle.

    Et certainement aussi, de la Terreur.

    Car bien sûr rien de tout cela ne tiendra.

    Toute considération partisane à part, la République est bien trop faible pour tenir dans la réalité son fantasme.

    1606362721.jpgOui, Malraux avait raison, qu’il ait effectivement dit cette phrase ou non : « Le XXI° siècle sera religieux ou ne sera pas ». Mais je suis tenté d’entendre religieux ici au sens de René Girard, pour qui le christianisme justement est une sortie de la religion, c’est-à-dire au sens du religieux archaïque et de la violence mimétique, de la montée aux extrêmes et de la réconciliation de ces extrêmes sur un bouc émissaire ; religieux au sens de ce qui, paradoxalement, niant la Révélation déclenche l’Apocalypse.

    Religieux au sens de pas chrétien. Au sens : d’échec de la Paix.

    Le XXI° siècle (après Qui ?), en somme, est religieux et il ne sera pas.

     

    Cordialement, etc.

  • Défense et Illustration du Sinistère de la Culutre (2)

     

     

     

    Lien : Défense et Illustration du Sinistère de la Culutre (1).

    Voici donc la deuxième partie de cette saynète tirée de Pour une Culutre citoyenne ! La troisième, et dernière, ne tardera guère.

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    LE MINISTRE. – Bien. Mon vieux Saint-Foin, appelez-moi Micheline et soyez sincère : quelle est ma marge de manœuvre ?

    LE CONSEILLER. – Nulle, Madame la… Micheline. Le programme est sur ses rails, suivez le programme. Sinon, Micheline, vous ne pourrez que dérailler ; je veux dire : vous exposer inutilement à la vindicte artistico-médiatique.

    LE MINISTRE. – Mais tout de même, si l’idée me prenait d’être une Ministresse exemplaire et marquant de son sceau la fonction ?

    LE CONSEILLER. – Le complexe de Malraux, quoi : dangereux. Les ministères sont brefs, et la continuité du service public donne la part belle à l’Administration, laquelle s’y entend pour freiner car, telle un char d’assaut, son poids convertit la lenteur en puissance. Si vous me permettez cette envolée.

    LE MINISTRE. – Je me sens là comme un fusible dans un étau. Pour autant que ça veuille dire quelque chose. Donnez-moi un conseil.

    LE CONSEILLER. – Défensivement, soyez un fusible qui ne se fait pas sauter. Offensivement, suivez toujours le programme, mais accélérez où c’est possible.

    LE MINISTRE. – Ce programme, il est écrit ? Vous l’avez ? On le trouve où ?

    LE CONSEILLER. – Nulle part, fort heureusement. Au mieux peut-on le déduire de ce qui arrive.

    LE MINISTRE. – Vous pensez que je suis foutue d’avance, n’est-ce pas ?

    LE CONSEILLER. – Non, car il n’est pas trop tard pour ne rien faire et se fondre à la grisaille.

    LE MINISTRE. – Expliquez-moi ce putain de programme, bordel de merde, Saint-Foin. Parce que moi, Micheline Broutard, incrédule et naïve comme je suis, j’en suis restée à la phrase de Malraux : rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité

    LE CONSEILLER. – Oui, oui, je vois bien où vous en êtes. C’était une utopie séduisante ; mais comme toutes les utopies, la réalité l’a retournée en cauchemar. Et notre job, c’est de rendre le cauchemar séduisant.

    LE MINISTRE. – Comment a-t-on fait ce retournement ?

    LE CONSEILLER. – Très simplement. On n’a bien sûr rien changé à la phrase du vieillard. De sorte que vous pourrez encore la citer…

    LE MINISTRE. – C’est déjà ça : je ne connais que celle-là.

    LE CONSEILLER. – Non, on a simplement étendu la notion d’œuvre capitale de l’humanité à strictement tout ce qui se torche sous le ciel. Ce fut le coup de génie du Ministre Jack Loche.

    LE MINISTRE. – C’est atroce. Un exemple ?

    LE CONSEILLER. – Un connard écrit sur un mur (avec ou sans fautes, on s’en fout) la phrase éminemment poétique : J’encule ta mère. Ca dérange le bourgeois. Or, en son temps, Molière dérangeait le bourgeois, ou son équivalent à particule. Donc ce connard pourrait être le Molière d’aujourd’hui.

    LE MINISTRE. – Ce n’est qu’un syllogisme éculé.

    LE CONSEILLER. – C’est un raisonnement imparable.

    LE MINISTRE. – Vous trouvez vraiment ça imparable, vous ?

    LE CONSEILLER. – A la vitesse de l’approximation journalistique, ça l’est, vous pouvez me croire. Et donc, ce connard, on l’embarque : on l’achète, on le produit, on le défend contre les vilains réactionnaires, on le vend un peu partout, il fait école, on décline le concept en chanson technovulgaire, en jonglage innovant, en cirque impopulaire et emmerdant, en chorégraphie animalière, et voilà qu’il se met à nous pousser des chiées de petits Molière dans toute la France, de Dunkerque à Tamanra… à Ajaccio et de Choisy-le-Roi à Bourg-la-Reine. Et là, jackpot numéro un ! tout est devenu anonyme, c’est-à-dire égalitaire et progressiste, tout le monde est artiste !

    LE MINISTRE. – Adieu Shakespeare, Molière, Tolstoïevski, balayées les vieilles lunes élitistes !

    LE CONSEILLER. – Tout à fait, Micheline ! Mais voilà le jackpot numéro deux : La Culture d’un seul coup fusionne avec l’Education Nationale. Leur mission est la même : Imbécilliser la Nation par analphabétisation progressive. – A quoi bon lire encore Molière, les gars, puisque nous en fabriquons deux cents par an, qui ne demandent pas le niveau de compréhension d’un gamin de dix ans puisque tout est écrit en novlangue caca ? Tenez, emmenez donc plutôt les enfants au spectacle, ça les changera des conneries de la télé et ils y verront la même chose.

    LE MINISTRE. – Ici, la mise est raflée en totalité. C’est atroce.

    LE CONSEILLER. – Mais oui, c’est ça ! Il n’y a plus aucun effort à faire, tout est déjà acquis, l’enfant est un créateur, il apprend au maître à se défaire de la raison, place à l’émotion pure. L’émotion ! Il faudrait être un monstre froid, n’est-ce pas ? pour être contre l’émotion. Et pure, en plus ; je veux dire : infantile.

    LE MINISTRE. – Place à la subversion officielle.

     

     

     

    (A suivre...)