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Défense et Illustration du Sinistère de la Culutre (1)

Je publierai ici, en trois fois, la saynète tirée de Pour une Culutre citoyenne ! et titrée Défense et Illustration du Sinistère de la Culutre. (Les photographies d'Alexandre Viala ont été prises lors des répétititons du spectacle : on y voit Fabien Joubert et Emmanuelle Roussel...)

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Votre but doit être de prendre intact tout ce qui est sous le ciel.

SUN TZU, L’art de la guerre

 

Rappelons brièvement que le sainfoin est la nourriture préférée de l’âne. Pour le reste, dans cette scène où il ne se passe objectivement presque rien d’autre que ce qui se dit, le décor est évident : c’est un bureau, dans un ministère. On peut aussi bien ne rien mettre sur le plateau, ou une chaise, ou un bureau, dans un ministère. – Le conseiller, vêtu d’un fort seyant camaïeu de gris, est là déjà quand arrive son ministre, tailleur rose éclatant, gros nœud fleuri dans les cheveux…

LE MINISTRE. – Alors vous, vous devez être Charles-Emmanuel Saint-Foin, celui de mes conseillers qui se dispense des réunions plénières…

LE CONSEILLER. – Madame le Ministre.

LE MINISTRE. – La Ministre. Soyons modernes un peu, mon vieux Saint-Foin, et ensemble féminisons la langue : Déjà quand j’étais enfante, j’étais une chicque garce ; c’est pour ça même que je voulais devenir médecine, mais j’ai finite ingénieuse agronome. C’est vous dire si je m’y connais en culture, moi, Micheline Broutard.

LE CONSEILLER. – Beau parcours, Madame la Ministre. La société civile m’a toujours fait rêver…

LE MINISTRE. – Vous vous moquez. Vous savez mieux que moi à quel point l’Administration tient ce pays. A propos, comment se fait-il qu’un brillant élément tel que vous ait été rétrogradé du Ministère de l’Intérieur à celui de la Culture ? Les porte-flingues vous donnaient des boutons, à la longue ?

LE CONSEILLER. – Veuillez plutôt voir là un penchant personnel accrédité par la hiérarchie, Madame la Ministre. La Culture au fond est une vieille dépendance de l’Intérieur.

LE MINISTRE. – Mais c’est bel et bien fini depuis lurette, ça, non, Saint-Foin ? Vous confondez Culture et Censure.

LE CONSEILLER. – Volontairement : c’est la même chose. Il est vrai que le mot Culture, au premier abord, a une connotation plus positive. Au lieu de censurer des choses prétendument intelligentes qui nous échappent, nous en promouvons nous-mêmes de parfaitement imbéciles. C’est une grande avancée.

LE MINISTRE. – Je ne voyais pas les choses comme ça. Il n’y a donc pas, selon vous, d’opposition de fond entre la Culture et l’Intérieur ?

LE CONSEILLER. – Aucune, non. Comme l’Eglise qu’elle veut à toute force remplacer, la République est une et indivisible ; autant dire qu’elle transcende ses propres ministères.

LE MINISTRE. – Ah ? C’est une façon de voir… Mais par exemple, la pornographie ?

LE CONSEILLER. – La loi la combat par les taxes, qui sont notre morale, l’Intérieur la boute hors de l’espace public minimal, et nous la soutenons hautement et humblement sous le couvert de l’art.

LE MINISTRE. – J’ai vu la semaine dernière, en prévision de mon arrivée ici, une sorte de théâtre où des gens tout nus faisaient caca par terre.

LE CONSEILLER. – Je vois. Mais hurlaient-ils des onomatopées, et gesticulaient-ils comme des déments ?

LE MINISTRE. – Ah, ça oui !

LE CONSEILLER. – Alors c’est de l’art, Madame la Ministre. C’est même ce que nous avons de plus subversif en magasin. Le haut de la gamme. Rassurez-vous, pour les bouseux de Province, qui selon nos critères sont un peu attardés, nous avons la version soft : gesticulations et hurlements comiques, mais sans caca.

LE MINISTRE. – Subversif… Mais qu’est-ce que cela subvertit au juste, Saint-Foin ?

LE CONSEILLER. – Mais rien du tout, Madame la Ministre, rien du tout.

LE MINISTRE. – Et moi qui en ai fait tout un complexe d’infériorité. Je me suis même dit que j’étais trop con pour comprendre.

LE CONSEILLER. – Trop conne, Madame la Ministre. Sauf votre respect. Féminisons la langue.

LE MINISTRE. – Je me suis bien faite rouler par ces cacatophiles. La subversion ne subvertit rien. C’est pour cela, en somme, que nous l’encourageons.

LE CONSEILLER. – Et même la finançons à 100%. Oui. Le verbe subvertir ne s’emploie plus. Parce qu’il faudrait nommer ce qu’on subvertit. On préfère l’adjectif. On dit juste qu’un artiste, ou un spectacle, est subversif. Ca veut dire qu’il travaille pour nous.

LE MINISTRE. – Ce sont des flics en quelque sorte, alors. Mais malgré eux.

LE CONSEILLER. – Ils n’ont pas statut de fonctionnaire, tout de même. Non, ce sont plutôt des indics. Des petites frappes sans intérêt. Un peu paranos, un peu mégalos. Et d’une vénalité, je ne vous dis pas… Alors on les baffe – aura ? aura pas la monnaie ? – et ils crachent ce qu’il faut. Et s’ils ne crachent pas, on les rebaffe pour le plaisir et on les jette, aura pas la monnaie !

LE MINISTRE. – Vivent les subversifs, alors ! Je sens que vous allez m’être précieux, mon petit Saint-Foin.

LE CONSEILLER. – Je n’en demande pas tant, Madame la Ministre.

LE MINISTRE. – Je dois aussi vous dire que vos collègues ne vous apprécient guère, Saint-Foin.

LE CONSEILLER. – Ils ne savent pas ce qui est bon.

LE MINISTRE. – Certains croient même que vous avez une oreille ici et une bouche à l’Intérieur.

LE CONSEILLER. – Je sers la République. Et eux ?

 

 

 

 

 

 

 

(A suivre…)

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