Suite et fin de la mise en ligne de la saynète Défense et Illustration du Sinistère de la Culutre, tirée de Pour une Culutre citoyenne ! Liens :
Défense et Illustration du Sinistère de la Culutre (1)
Défense et Illustration du Sinistère de la Culutre (2)
LE CONSEILLER. – Et c’est ainsi, Madame la Ministre, que nous pénétrâmes au cœur de la plus grande entreprise de perversion jamais réalisée.
LE MINISTRE. – Oui. C’est un effondrement institué.
LE CONSEILLER. – Et qui fonctionne formidablement.
LE MINISTRE. – J’ai toujours pensé que Jack Loche était un agent soviétique.
LE CONSEILLER. – Peut-être même pas. Un imbécile convaincu est le plus précieux des criminels. Précisément parce qu’il est innocent.
LE MINISTRE. – Et moi, il faut que je poursuive ces horreurs-là ?
LE CONSEILLER. – Nous n’en sommes plus là.
LE MINISTRE. – La guerre froide est terminée, je suis au courant.
LE CONSEILLER. – Mais les imbéciles ne changent pas d’avis.
LE MINISTRE. – Comment fait-on pour revenir en arrière ?
LE CONSEILLER. – On ne peut pas. Il y a la continuité du service public qui est rectiligne comme la flèche du temps, et par bonheur, la République qui transcende tout, et intègre en son sein jusqu’à sa destruction même.
LE MINISTRE. – Amen.
LE CONSEILLER. – Raison pour laquelle il faut continuer de citer la belle phrase de ce brave Malraux, Madame la Ministre.
LE MINISTRE. – Je serai donc soviétique. Ce n’est pas parce que c’est de l’art que la République le défend, c’est parce que la République le défend que c’est de l’art.
LE CONSEILLER. – Vous êtes douée.
LE MINISTRE. – Merci.
LE CONSEILLER. – Pour le reste, un peu de rhétorique : Employez souvent les mots d’innovation et de technologie, tout ira bien. Ajoutez aussi : au service de la création. Etc.
LE MINISTRE. – Nous sommes sur le marché, allelluiah.
LE CONSEILLER. – C’est le dossier qui doit vendre. Il est votre publicité. N’importe quelle pacotille surnavrante est un chef d’œuvre putatif. C’est important.
LE MINISTRE. – A nous donc d’organiser la compétition la plus sauvage entre toutes ces merdes réellement analphabètes et prétendument subversives.
LE CONSEILLER. – Exact. La première phase décentralisée d’abrutissement et d’analphabétisation étant un franc succès, nous avons déjà entrepris de nous retirer progressivement d’un peu partout, Madame la Ministre.
*
LE MINISTRE. – J’entrevois la solution, à présent.
Il faut laisser ces équarisseurs de toute intelligence s’étriper à mort entre eux ; qu’ils soient prêts à se marcher sur la gueule les uns les autres pour fourguer leur brave petite moraline humanitaire à la con.
Je veux, oui, qu’ils se comportent comme les pires crapules du libéralisme le plus déchaîné pour vendre à des spectateurs pré-achetés les sirupeuses douceurs de la tolérance et de l’égalité pour tous !
Je veux qu’ils fassent tous très exactement le contraire de ce qu’ils disent ; je veux que les petits crèvent et que les gros engraissent, et que les spectacles des gros défendent en théorie et à grande eau ces mêmes petits qu’ils ont eux-mêmes écrabouillés en pratique et dans le sang ! Je veux aussi que tous ces imbéciles soient propres et laids et honnêtes comme les représentants de ces labos pharmaceutiques qui exterminent en Afrique pour vendre en Occident l’hygiène et la santé.
Je veux, oui, que ces ectoplasmes d’artistes rivalisent de sourire et de sympathie et de compréhension et aussi de gentillesse, et que le plus atroce de ces marchands de lieux-communs gauchistes monte en rampant les marches menant à mon bureau à moi, Micheline Broutard.
Je veux que le plus anti-capitaliste de ces spectacles imbéciles soit jugé au nombre de représentations vendues et qu’au surplus il serve à maintenir son public dans la torpeur molle de bonne conscience idiote où il baigne depuis déjà trente ans.
Je veux un pays où chaque écolier rêve d’être artiste pour faire un jour caca par terre devant mille ahuris criant au génie et à la subversion parce que c’est écrit dans le programme.
Je veux que pas un homme sensé ne foute les pieds dans un théâtre. Ou pas deux fois. Et je ne veux plus d’hommes sensés non plus.
Je veux coter la merde culturelle en bourse, et que le plus petit prolo soit fier d’être actionnaire à deux balles.
Et moi, moi, moi-je veux aller chaque soir au spectacle pour jouir de cette ordure.
Vous voudrez bien parfois m’accompagner, Saint-Foin ?
LE CONSEILLER. – Je ne vais jamais au spectacle, Madame la Ministre.
LE MINISTRE. – Ah. Et vous faites quoi de vos soirées ?
LE CONSEILLER. – Je lis Shakespeare.