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critique - Page 20

  • Savoir de guerre, de Christophe Van Rossom

     

     

    La phrase est là surgie, précise, nette – pensée. Aucune étrangeté formelle, et pourtant la plus grande. Chaque page en contient dix, cent, mille, bibliothèques à ouïr, bruissant dans le silence.

    Chaque poème est séparé des autres, et pourtant lié à eux ; de saut en saut, « quantiquement », l’œuvre avance, fort construite malgré l’apparence contraire, au gré de ses parties : elle s’achemine lentement, quoique toujours un peu trop vite, vers cette fin deux fois romaine, sac inclus.

     

     

    « Ne cherchons plus à domestiquer les imbéciles. Nous n’en aurons pas le temps. Laissons-les croire que nos forteresses sont accessibles. Ils n’ont pas besoin de nous pour spontanément en gagner les culs-de-basse-fosse tandis que nous sourions au soleil. »

     

     

    Le poème est un savoir de guerre, le recueil un butin pris à quelque mauvais ennemi ; non pas un ennemi poétique, vague et flou, ou mythique, mais notre monde. La phrase juste ne se satisfait pas de sonner, si elle ne ramène avec elle des mémoires ensevelis, oubliés. Car d’abord il est question de la vie, aujourd’hui, et de battre, si possible, l’énormité de tout ce qui la veut empêcher.

     

     

    « Nous n’avons pas une vie, mais plusieurs, oui.

     

    Seuls les imbéciles se contentent de la plus périphérique, de la plus asservie d’entre elles. »

     

     

     A la maxime, à l’aphorisme, fait toutefois contrepoint, mais comme du dedans de lui, ce savoir de guerre que présente ici tel particulier, selon ce qu’il a vécu, et lu, et aimé.

     

    « Quand tu avances, la Bibliothèque marche avec toi. »

     

      Ce savoir de guerre est accumulé depuis l’enfance et il vient se ramasser là, en ces quelques pages, avec ses fulgurances, ses goûts, ses choix – rien qui soit indifférent ; il peut être question de Troie, ou bien de Cecilia Bartoli ; d’Ages d’Or divers, numérotés, ou de Gustave Flaubert ; La Fontaine et Gorgias se font face à livre ouvert.

     

    Bien sûr, je pourrais dire aussi ce qui, personnellement, dans ce Savoir de guerre m’agace ou me hérisse. Mais cela n’a aucune espèce d’importance. Je me trouve simplement, lecteur, devant un soldat qui raconte sa guerre, un poète ; et sauf à tricher, personne en vérité ne se trouve fondé à lui dire : « Tu te trompes ». Car il ne se trompe pas ; simplement n’avons-nous pas vécu tout à fait la même guerre.

     

     

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    Savoir de guerre, Christophe Van Rossom

    Ed. William Blake and Co.

    20 euros. 

     

     

  • Le Musée de la mer, de Marie Darrieussecq

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    Qu’on en accuse génériquement la bassesse de l’époque – ou en amateur de sous-catégories épuisantes : l’abrutissement journalistique triomphant, l’art contemporain niaiseux, l’imperium pornographique du cinéma et de l’image en général, ou ce que vous voudrez en fait de tordues épithètes… – le fait est que le roman s’est effondré en anecdotes et le théâtre en scénarios…

    Pourquoi, dès lors, perdre son temps à écrire des critiques ?

    Mieux vaut faire avec ces prétendus écrivains-là ce que l’école, manifestement, n’a pas fait.

    Je ne perdrai donc pas mon temps à vous parler de ce joli scénario – manière de dire que même les bonnes idées de départ (« manger de l’immangeable, coucher avec l’ennemi »), empruntées respectivement, de l’aveu de l’auteur de la rédaction, à Malaparte et Bergman ont été illico bousillées –, Le Musée de la mer, que Marie Darrieussecq a non seulement écrit mais encore publié, mais me contenterai de le noter :

     

    Le musée de la mer : 4/20

    Rapport qualité/prix : 1/5

     

    Et encore, je me trouve laxiste.

    Honnête, j’aurais mis 2/20.

    Mais j’ai préféré faire jusqu’au bout l’enseignant.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    On peut également aller voir le brouillon d'article, plutôt positif au demeurant, que j'avais écrit sur Ordet de Kaj Munk (adapté par Marie Darrieussecq.)

  • Deux ans

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    Cette idiotie de blog a maintenant deux ans.

     

    (La première année, ce blog m’a permis de ne pas écrire ; la seconde, il m’en a partiellement empêché.)

     

     

    1906

     

    Une phrase

     

    Lorsque je l’ai lue

    Cette phrase m’a immédiatement stupéfié

    Elle m’a arrêté

    Et laissé devant elle idiot, taclé

     

    Savez-vous ce qu’a dit le Christ

    Qui n’a pas fait le déplacement pour rien

    (Comme à propos d’autres tacles disait Thierry Roland)

    Savez-vous, disais-je, ce qu’a dit le Christ en 1906

    Lorsqu’Il est apparu à celui qui sera saint Silouane l’Athonite

    Eh bien Il a dit cela

    Dont on ne fait pas le tour immédiatement

    Et dont d’ailleurs on ne fait pas le tour ensuite non plus

    Du moins me semble-t-il

    Il a dit, le Christ, donc

     

    Tiens ton esprit en enfer et ne désespère pas.

     

     

     

    La question politique par excellence

     

    La plus grande part de ce que nous lisons, dans la forme exacte que les auteurs lui ont donnée, est, en tant que telle, presque irrémédiablement perdue, oubliée dès que lue. Et cela même dont nous pensons nous souvenir avec exactitude est le jouet des caprices de notre mémoire ; au point que le peu de phrases que nous pensons connaître exactement fait fréquemment l’objet de déformations continuelles, dont on ne prend conscience qu’au moment de revenir au livre en question ; quelle déception parfois ! Point trop gênés, nous avons encore tendance à préférer nos involontaires corrections, qui nous semblent correspondre mieux à notre prétendue pensée, à tel point que nous finirions par reprocher à tel auteur de n’être point aussi brillant que nous-mêmes.

    Ici, plutôt que de vous faire accéder aux déformations aberrantes qu’a conçues tout au long de cette année ma cervelle imbécile et chétive, je préfère revenir à l’original : 

     

    Les œuvres des grands écrivains du passé sont très belles, même de l’extérieur. Et pourtant leur beauté visible est d’une laideur consommée comparée à la beauté de leurs trésors cachés qui ne se dévoilent qu’après un travail très long, jamais facile, mais toujours agréable. Ce travail toujours difficile, mais toujours agréable est, je pense, ce qu’avaient à l’esprit les philosophes lorsqu’ils soulignaient l’importance qu’ils accordaient à l’éducation. Ils sentaient que l’éducation est la seule réponse à la question éternellement pressante, à la question politique par excellence, celle de savoir comment concilier un ordre qui ne soit pas une oppression avec une liberté qui ne soit pas licence.

    Leo Strauss, dernières phrases de « La persécution et l’art d’écrire » dans La persécution et l’art d’écrire (traduction d’Olivier Sedeyn).

     

     

    Message personnel

     

    Une autre phrase, dont je ne me souviens pas du tout de qui elle peut bien être, à tel point qu’il m’arrive sans trop de honte de me l’attribuer, et dont je ne certifierais pas même l’exactitude de l’approximatif alexandrin qu’elle délivre en passant :

     

    Corneille à son sommet passe Shakespeare au sien.

     

     

     

     

     

     

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  • Mauvaise foi versus zombies

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    Il est deux heures du matin, peut-être, et il commence seulement de faire bon. Quelques invités déjà ont déserté notre jardin, juste après le barbecue. Il reste un peu partout sur la grande table les reliefs du repas, des verres, des cendriers remplis et quelques cubis vides. Nous ne sommes plus que trois ; F., qui est comédien ; et mettons, M., jeune femme s’adonnant au vice désormais quelconque de « mettre en scène » ; et bien sûr votre serviteur, lequel d’ailleurs s’absente préparer un café. Revenant quelques minutes plus tard chargé des tasses et de la cafetière, telle est à peu près la conversation en cours à laquelle j’assiste :

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