La phrase est là surgie, précise, nette – pensée. Aucune étrangeté formelle, et pourtant la plus grande. Chaque page en contient dix, cent, mille, bibliothèques à ouïr, bruissant dans le silence.
Chaque poème est séparé des autres, et pourtant lié à eux ; de saut en saut, « quantiquement », l’œuvre avance, fort construite malgré l’apparence contraire, au gré de ses parties : elle s’achemine lentement, quoique toujours un peu trop vite, vers cette fin deux fois romaine, sac inclus.
« Ne cherchons plus à domestiquer les imbéciles. Nous n’en aurons pas le temps. Laissons-les croire que nos forteresses sont accessibles. Ils n’ont pas besoin de nous pour spontanément en gagner les culs-de-basse-fosse tandis que nous sourions au soleil. »
Le poème est un savoir de guerre, le recueil un butin pris à quelque mauvais ennemi ; non pas un ennemi poétique, vague et flou, ou mythique, mais notre monde. La phrase juste ne se satisfait pas de sonner, si elle ne ramène avec elle des mémoires ensevelis, oubliés. Car d’abord il est question de la vie, aujourd’hui, et de battre, si possible, l’énormité de tout ce qui la veut empêcher.
« Nous n’avons pas une vie, mais plusieurs, oui.
Seuls les imbéciles se contentent de la plus périphérique, de la plus asservie d’entre elles. »
A la maxime, à l’aphorisme, fait toutefois contrepoint, mais comme du dedans de lui, ce savoir de guerre que présente ici tel particulier, selon ce qu’il a vécu, et lu, et aimé.
« Quand tu avances, la Bibliothèque marche avec toi. »
Ce savoir de guerre est accumulé depuis l’enfance et il vient se ramasser là, en ces quelques pages, avec ses fulgurances, ses goûts, ses choix – rien qui soit indifférent ; il peut être question de Troie, ou bien de Cecilia Bartoli ; d’Ages d’Or divers, numérotés, ou de Gustave Flaubert ; La Fontaine et Gorgias se font face à livre ouvert.
Bien sûr, je pourrais dire aussi ce qui, personnellement, dans ce Savoir de guerre m’agace ou me hérisse. Mais cela n’a aucune espèce d’importance. Je me trouve simplement, lecteur, devant un soldat qui raconte sa guerre, un poète ; et sauf à tricher, personne en vérité ne se trouve fondé à lui dire : « Tu te trompes ». Car il ne se trompe pas ; simplement n’avons-nous pas vécu tout à fait la même guerre.
Savoir de guerre, Christophe Van Rossom
Ed. William Blake and Co.
20 euros.