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Mauvaise foi versus zombies

Kairos, sisyphes et zombies.jpg

Il est deux heures du matin, peut-être, et il commence seulement de faire bon. Quelques invités déjà ont déserté notre jardin, juste après le barbecue. Il reste un peu partout sur la grande table les reliefs du repas, des verres, des cendriers remplis et quelques cubis vides. Nous ne sommes plus que trois ; F., qui est comédien ; et mettons, M., jeune femme s’adonnant au vice désormais quelconque de « mettre en scène » ; et bien sûr votre serviteur, lequel d’ailleurs s’absente préparer un café. Revenant quelques minutes plus tard chargé des tasses et de la cafetière, telle est à peu près la conversation en cours à laquelle j’assiste :

M. – Mais quand même, lui, il a une plus grosse bite.

F. – Tu es sûre ? Je ne suis pas certain, moi.

M. – Ah si, si, c’est très net, excuse-moi.

F. – Je dois être trompé alors par le fait que l’autre a de plus grosses couilles.

M. – Attends, celui de gauche ?

F. –  Oui, oui, celui de gauche.

M. – Peut-être, mais je ne sais pas si en fait elles sont plus grosses ; je dirais plutôt que c’est une impression causée par le fait qu’elles pendent.

F. – Ah, non, non, tu ne peux pas dire ça ; c’est de la mauvaise foi pure et simple.

M. – Bon, c’est vrai ; peut-être qu’il a vraiment de grosses couilles.

F. – Et il n’a pas vraiment une petite bite ; enfin, sa bite a l’air parfaitement normale – ou alors c’est la mienne qui…

(M. rit doucement. Ce qui me fait sourire, moi, c’est l’espèce de sérieux appliqué, un peu âpre même, avec lequel, chacun d’un côté de cette table en bazar, ils discutent.)

M. – Oh, bien sûr, elle est normale, sa bite ; mais l’autre à côté en a vraiment une plus grosse.

F. – Peut-être, mais elle a tout de même une forme bizarre.

M. – Une forme bizarre ?

F. – Bah oui, bizarre.

M. – Parce que c’est un peu refermé là ?

M. dessine dans l’air un geste assez évocateur.

F. – Ouais, c’est blindé à force de péter des culs.

Ils rient.

Les cafés sont servis.

Je me risque à intervenir :

– Dites, les enfants, si ce n’est pas trop vous demander : vous causez de quoi, là ?

– Bah, me répond F. avec nonchalance et comme si tout allait de soi, de Kaïros, sisyphes et zombies.

– C’est quoi ce truc-là ?

– C’est le spectacle qu’on a vu, hier, ajoute M. Oskar Gomez Mata. Un gars de Genève. Dans le Festival in.

J’allume une clope :

– Et c’est tout ce que vous trouvez à en dire ?

– A peu près, oui, dit M.

– Non, il faut être juste, dit F., il y a deux minutes pas inintéressantes où les gars expliquent comment marche le système français de subventions…

– Véridique ? dis-je.

– Very big dick, même.

Bref silence.

– Putain de merde.

Et puis quoi ? Et puis, on éclate de rire.

 

Tout ce que je puis faire ici, c’est vous certifier – oh, pas au détail près de la formulation – l’authenticité de cette conversation et des détails afférents au spectacle, évidemment annoncé comme étant du théâtre…

Et aussi, ajouter – afin que vous soit présenté sous un jour sinon meilleur du moins plus positif ce spectacle que je ne suis donc pas allé voir – la présentation qu’en donnait le programme en ligne du site du Festival d’Avignon :

 

 

Kaïros, sisyphes et zombies

Théâtre

Mise en scène Oskar Gómez Mata
Genève

Voilà un spectacle où l’on s’amuse beaucoup, mais qui peut tout d’un coup faire rire jaune et grincer des dents. Car ici, on danse « juste avant la catastrophe », c’est-à-dire avec la jubilation inquiète de la dernière fois. Chez les Grecs, Kaïros représentait l’idée du moment propice pour agir, l’instant opportun mais fugace pour faire les choses. Figuré comme un éphèbe aux pieds ailés, coiffé d’une houppette, qu’il fallait attraper au vol, au bon moment, Kaïros reste notre contemporain. Entre happening et performance, petit manifeste philosophique et traité d’autodérision, Oskar Gómez Mata et l’Alakran trouent la réalité ouatée dans laquelle nous nous lovons en proposant cette interrogation sur le temps : comment arrêter le cours insignifiant des choses pour retrouver la force de l’instant ? On entre dans ce rituel théâtral comme dans un jeu de société grandeur nature, attiré par ces acteurs sur le fil de la folie et du mauvais goût. On en sort la conscience éveillée et les perceptions à vif. Comme le Charlot des Temps modernes en proie à l’horloge mécanisée, il s’agit là de conquérir l’essentiel : le temps d’une autre vie possible. ADB


Installée à Genève, la compagnie L’Alakran a imposé en une dizaine d’années ses spectacles ludiques et politiques, délirants et citoyens. Quelques opus à textes préexistants (Le Boucher espagnol d’après les premières pièces de Rodrigo García, Ubu ! d’après Jarry ou encore Construis ta jeep de Marielle Pinsard), mais surtout des œuvres de leur propre cru ont fait connaître cette troupe et son metteur en scène attitré : le basque Oskar Gómez Mata qui, sous ses lunettes fines et sages, cache beaucoup d’extravagance. Qui a déjà vu un spectacle de l’Alakran sait que l’on peut s’attendre à tout avec ces comédiens, passés maîtres dans l’art salutaire de transgresser les codes de la représentation. Une équipe de « bouffons des Lumières » qui n’ont pas peur de jouer avec le ridicule et l’absurde pour nous ouvrir à la réflexion et à la critique. Leur dernière création, Kaïros, sisyphes et zombies, allie, comme à leur accoutumée, remue-ménage et remue-méninges pour arpenter notre ère et ses contradictions avec une décapante vitalité.


 

 

Les initiales ADB signant le premier texte officiel renvoient au grand critique de théâtre (et de cinéma, si je ne m’abuse) Antoine de Baecque, déjà évoqué ici sur Theatrum Mundi.

Et vive la Culutre citoyenne !

Commentaires

  • Je comprends mieux.
    Je suis un bênet.

  • Merde z'auriez pu mettre une photo. On aurait au moins pu savoir si on était dans la moyenne de taille, de forme et de ballotement testiculaire.
    On s'amuse bien chez vous, plus besoin d'aller au théâtre pour se marrer, c'est déjà ça.

  • @ Rodrigue : Allons, allons...
    Votre deuxième phrase est-elle la conséquence de la première? Auquel cas votre logique m'échapperait...

  • -- Comment arrêter le cours insignifiant des choses pour retrouver la force de l’instant ?

    -- Ben, avec la bite, apparemment.

    -- Il faut être juste, il y a deux minutes pas inintéressantes où les gars expliquent comment marche le système français de subventions.

    -- Ben, comme ma bite, faut croire.

    Ce qui est sûr, l'un dans l'autre, c'est qu'on se fait enculer.

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