Il y a quinze ans. Il est une heure du matin dans le bar du théâtre, peut-être deux. Elle a quarante ans environ, soyons galant, elle est une actrice très connue dans le milieu, elle est ici en tournée, je ne suis rien. Elle parle à un autre homme, coule vers moi des regards appuyés. J’essaie de faire durer ma bière, je suis fauché. Elle remet une tournée. La conversation reprend entre eux deux, politique, pognon, théâtre, je fume en silence les clopes de l’autre. Lequel, plus malin que moi, bientôt nous quitte. Je serais volontiers parti avec lui car il a une auto, mais je n’ai pas fini ma nouvelle bière. Je ne sais pas quoi lui dire, à cette femme. Le silence, heureusement, ne dure pas. Elle allonge son bras sur la table, pose sa main avec bracelet sur la mienne. – Tu veux passer à mon hôtel ? Je la regarde, ne sais d’abord que dire, puis pose mon autre main sur la sienne et souffle : – Vous savez, je n’aime pas assez le pouvoir… Et je me lève. Et je sors. Et une fois dehors, je rigole. Mais je rigole. – Mes gages, mes gages, mes gages ! glapit à la fin Sganarelle. Je ne lui eusse pas même été Elvire, à cette brave femme. Plutôt Charlotte ou Mathurine. Ce qui, notez-le, n’est, pas davantage mon genre. Le lendemain soir, j’ai cru qu’elle me faisait la gueule ; mais aujourd’hui, je crois plutôt qu’elle ne me reconnaissait vraiment pas. Pas pris, pas vu. Le surlendemain, mon camarade Z, la mine décavée, me remercia. Il devait obtenir, quelques mois plus tard, je ne sais quel petit rôle sans intérêt dans un pièce du même tonneau et subir sans regimber, dans le temps des répétitions, bien des humiliations. Il aurait bien mieux fait d’aller aux putes. Et de lâcher quelques biftons.
Nota: La couverture de ce Folio est immonde.