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minyana

  • Reportage sur moi

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    Tenir ce blog prend du temps ; il me contraint, ne me laisse pas écrire la moitié de ce que je voudrais – ni pour lui ni ailleurs.

    Notes de travail, billets d’humeur – afin que l’humeur, justement, ne vienne pas grever ce que j’écris par ailleurs.

    Je l’ai dit, c’est une poubelle – une corbeille à papier. La connerie, ce n’est pas de jeter ses papiers inutiles à la corbeille, c’est  d’en écrire une grande part à cette fin.

    J’avais même avoué, je ne sais plus où, tenir ce blog pour m’empêcher d’écrire… J’écris presque chaque jour, suis lu chaque jour. Bien. Je peux donc me consacrer à autre chose, d’autres textes, qui ne paraissent pas ici. Ne paressent pas ici.

    Ce blog est une manière, j’espère toutefois assez personnelle (mais qu’est-ce que ça peut foutre ?), de sacrifier au journalisme, c’est-à-dire à la saloperie ; de sacrifier aux actualités, qu’elles me soient propres ou mondaines. Donc, il faut alimenter le blog. Nourrir l’oubli. C’est comme ça. Il fait partie, lui aussi, comme aurait dit Bernanos, je cite de mémoire, de cette « conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure » (comme quoi l’universel a été complètement retourné). Il appartient au monde moderne, en somme – cette goule reine.

    Et moi aussi.

     

    Ecrire lentement, dans le cours des ans, c’est déjà s’opposer au journalisme, à « l’universel reportage ». La livraison, comme on voit souvent, d’un roman par an, ou d’un essai, c’est encore du journalisme ; à échelle éditoriale – lourdeur ancienne.

    Le conseil du vieil Horace à l’aîné des Pisons (Art poétique), qui le suit ?

    « Je vais plus loin : si un jour tu écris, soumets ton poème à l’oreille exercée d’un Mécius, à celle de ton père, à la mienne ; puis renferme neuf ans ton parchemin dans la cassette ; tu pourras le détruire, tant qu’il n’aura pas vu le jour ; mais le mot une fois parti ne revient plus. »

    Neuf ans.

    Et celui, lucidement désastreux pour les professeurs et universitaires de tous poils, de Pound, qui ne fait encore (peut-être) que redoubler celui d’Horace:

    « Tant que vous n’avez pas vous-même effectué votre propre survol d’ensemble, et une inspection minutieuse des détails, il vous faudra éviter de prendre conseil :

    1. D’hommes qui n’ont pas eux-mêmes produit d’œuvre intéressante (voir p.7).

    2. D’hommes qui n’ont pas pris eux-mêmes le risque de publier les résultats de leur propre introspection et de leur propre survol, même s’ils s’y sont sérieusement appliqués. »

    Autant dire que dans une époque comme la nôtre, un jeune homme qui aurait encore l’idée de prendre conseil, qui ne serait pas dégoûté par le seul mot de « maître » (à sa décharge, il faudrait donc examiner ceux qu’on lui a fait passer pour tels tout au long de sa prétendue éducation), n’aurait pas dix personnes à aller voir.

    C’est dans l’A. B. C. de la lecture, un livre vert et moche acheté dix-neuf francs il y a quinze ans, et que j’ai lu plusieurs fois, à intervalles irréguliers.

     

    Dans ce blog, par exemple, je ne parle pas d’un quart des livres que je lis ; et très peu de tous ceux que j’ai lus avant de tenir ce blog. Je suis toujours pressé. Trop pressé. Et j’ai l’idée qu’il faudrait développer, alors même que la plupart des livres que je lis ne méritent pas cette perte de temps.

    Cela vient qu’en s’attaquant à des ouvrages médiocres, l’honnêteté vous oblige à perdre beaucoup de temps. Alors qu’une ligne ou un sigle, SI pour Sans Intérêt, D pour débile, pourraient suffire.

    Par exemple, je m’étais promis de ne pas parler de la dernière scribouillure prétentieuse à la mode, que j’avais lue à grande vitesse ; quand j’ai décidé de le faire quand même, j’ai dû relire le bouquin d’Haenel et j’ai passé quatre ou cinq heures à le moquer gentiment ; huit heures foutues en l’air, en somme. Et je ne parle pas de la tête que j’ai faite en découvrant telle merde atroce que je m’étais un peu à la légère engagé à critiquer ; et que j’ai finalement critiquée. Et tout ce dans quoi je me suis lancé tête baissée, mû par ma seule mauvaise humeur.

    Même si je torche. J’écris vite. Sans relire vraiment. Comme ce billet-ci.

    Les lecteurs de blog aussi sont très journaleux – pardon. Plus les articles sont longs, moins ils sont lus.

     

    Inversement, ce qui me tient à cœur et qui demanderait à juste titre un grand temps de travail est toujours procrastiné.

    Le journalisme est là. Et c’est d’autant plus maladif que ce n’est pas du tout mon job, que je ne suis pas payé pour faire ça ; que je ne peux même pas me dire : en perdant tout ce temps, au moins tu as gagné ta vie. Non. C’est un vice. Même pas celui d’être méchant avec des imbéciles – ce sont souvent, malgré, ou du fait de leurs prétentions, de pauvres gens, et souvent sympathiques, mêmes. C’est le vice de perdre son temps à des cochonneries. Déjà à les lire, ensuite à en parler.

    Alors que donc, vous constatez chaque jour que personne ne lit plus les classiques et que, par exemple, vous n’avez toujours pas écrit une putain de ligne sur le plus grand et plus oublié des écrivains français – Corneille. Que personne ne veut ni ne doit plus rien savoir d’important afin de se trouver soi-même justifié d’écrire de foutues rinçures qui valent ce qu’elles valent, c’est-à-dire pas grand-chose…

    Ce qui ne vous empêche pas de vous demander comme un con si vous n’allez pas faire une note sur le dernier essai de Marie Darrieussecq. Au moins celui-là est-il consacré à la littérature. TH (Travail Honnête).

     

     

    Il y a quinze ans que j’écris du théâtre et que je ne cherche pas à le faire publier. Rien à foutre. J’ai dû envoyer deux ou trois textes, si. Pour l’avoir fait. Quand mon entourage professionnel me mettait la pression.

    Ce n’était pas assez bon. C’était sans doute assez bon pour les maisons d’édition théâtrale. Puisqu’elles publient essentiellement de la merde. Mais je ne suis jamais content, moi. Je commence seulement à trouver deux ou trois qualités objectives à mon travail.

    Les auteurs sont édités tout jeunes et se trouvent ainsi justifiés dans tout ce qui fait qu’ils sont vraiment très médiocres. Alors ils recommencent. Souvent, même, ils empirent. Il n’était pas parti de bien haut mais personne dans le théâtre n’a empiré autant que Phlippe Minyana. C’est un très bon exemple pour qui veut réussir, et un très bon contre-exemple pour qui veut écrire quelque chose qui se tienne un peu. En faisant un peu plus court, Olivier Py réussit seulement à être chiant moins longtemps, mais l’intérêt ne croît pas. Quant à des gens comme Joris Lacoste ou Gildas Milin, ils partent de tellement bas qu’on se demande comment ils vont bien pouvoir faire pour empirer, mais je ne doute pas qu’ils y parviennent. La moindre parole sensée, en revanche, risque de beaucoup décevoir, et peut-être même peut les griller tout à fait. Et puis, il y a les stars du moment, les Fabre et Castellucci qui boivent au même néant…

    On ne devrait jamais faire plus long que ça sur les tocards.

    Sur Novarina, en revanche, j’aimerais revenir plus longuement ; et puis aussi défendre Heiner Müller contre ses thuriféraires mêmes – voilà un poète plus que très desservi par ses admirateurs à la mode : châtré.

     

    Il y a tout de même de bonnes surprises, parfois. En commençant une note, vous déviez. Et ne vous arrêtez plus. La chose prend une ampleur qui vous dépasse un peu. Vous y passez trois semaines. Tous les soirs après le boulot.

    Voilà, vous avez un papier travaillé, violent, poussé. Un article, tourbillonnant autour de son objet. Treize pages serrées.

    Aucune actualité. Personne n’en veut.

    Tant mieux.

    Le tant mieux est cynisme, au départ. Puis cesse de l’être.

    Vous avez fait quelque chose qui ne tient pas dans les cases du journalisme.

    Ça ne fera ni une billet de blog ni un bouquin.

    C’est juste le format qu’il ne faut pas.

     

    Ça fait quarante-cinq minutes que j’écris ce billet et je crois que ça suffit amplement. Je vais foutre ça dans la machine.

     

     

     

     

     

     

     

  • Immensité de Philippe Minyana (fabula rasa 3)

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    J’aime bien Philippe Minyana : il faut pour tartiner à ce point-là rien moins que rien une sorte particulière de génie, fût-il immensément dérisoire ; et pour tirer de cette boursouflure de néant rien moins qu’une carrière, il faut une endurance, une persévérance, peut-être même une foi dans l’infatuation, qu’aucune sorte réelle de doute jamais n’entache. Pour répondre avec une aussi admirable continuité au commandement mutique de l’époque, qui veut – l’époque comme son commandement, puisqu’ils sont apparemment permutables à l’envi – que de ce rien l’on fasse du bruit (je songe au bruit que font les êtres humains, le plus souvent, lorsqu’ils s’imaginent parler), il faut avoir placé très tôt, et incessamment, donc, l’entièreté de son talent dans le travail de réticulation que demande, que dis-je ? qu’impose le théâtre de service public, en cela exactement identique au reste du monde, qu’il condamne pourtant à tour de bruit pour immoralisme du haut de ses chaires mortes. Mais tout de même, il ne s’était encore jamais vu qu’une œuvre aussi intégralement vaine et vide atteignît les sommets de la culture publique. Comprenez-moi bien, camarades : Philippe Minyana n’est pas une exception, il est simplement un pionnier et c’est bien différent. L’indifférence du public à son œuvre ne semble pas décourager un instant, bien au contraire, les petits décideurs autocrates de Ministère, lesquels sont bien évidemment, dès qu’il s’agit d’ordure et de pognon, imités par tout le jeu de dominos des « diffuseurs d’ambiance », directeurs de salles de spectacle pour la plupart, ces larbins strictement imbéciles chargés de veiller à ce qu’il faut bien nommer l’uniformité nationale de la diversité culturelle. Il a même pu se trouver que des lycéens des filières littéraires à option théâtre, bienheureux qui n’avaient même jamais entendu parler de Dom Juan, fussent contraints par les programmes de l’Education Nationale (sic) à « étudier » telle ou telle des déjections de notre dramoncule patenté. Et un tel héraut de la bouillie dramatique contemporaine, hissé jusques au faîte de cette gloire de pacotille que lui trament nuitamment les tâcherons du journalisme le plus confiné, et par ailleurs subventionné par ces mêmes décideurs autocrates, ne pouvait pas, comme pour justifier de son rang, ne pas à son tour s’entourer d’une courette de metteurs en scène en mal de reconnaissance, de comédiens et comédiennes cherchant d’improbables Molières dans les décombres partout étalés de l’intelligence. Rien donc, on le comprendra aisément, ne pourra me consoler d’avoir manqué le passage dans ma ville de la dernière déjection spectacularisée de notre dramoncule de service public, laquelle déjection n’est rien d’autre en réalité que l’offrande votive que doit Minyana au Système qui depuis longtemps maintient son indigence à hauteur de confort. Laquelle pièce a pour titre on ne peut plus profond – pour peu que l’on songe à la satisfaction de la corvée enfin achevée d’écrire, un tel titre s’éclaire de lui-même : Voilà ; laquelle pièce est présentée ainsi dans le programme du théâtre public de ma ville, sans qu’il ait semblé nécessaire à quiconque, tant la chose sans doute n’a pas semblé importante, de préciser à qui exactement on devait une telle prouesse d’analyse du réel (le réel, c’est ce qui a remplacé la réalité) : l’auteur, notre génie selon l’organigramme, ou son metteur en scène, demi-mondaine de système pouvant espérer au mieux le demeurer, ou encore un anonyme du théâtre d’accueil et paniqué de résumer l’indigence :

     

     

     

    « Épopée de l’intime, refrains et ritournelles du temps qui passe.

    Qu’est-ce qu’on dit, qu’est-ce qu’on fait quand on rend visite à quelqu’un ? On s’embrasse, on offre fleurs ou nougats ; on s’embrasse encore ; on demande des nouvelles, on rit, on rit si fort qu’on se met à tousser ; et puis on éternue. Il faut fermer la fenêtre ! Ah non ouvre la fenêtre ! On boit, on mange, saucisses ou riz pilaf ; on va dans le jardin. Ils sont beaux tes cognassiers !

    Et puis on se quitte ; on s’embrasse ; on se dit au revoir, à bientôt ! Et puis on revient, on s’embrasse, on offre fleurs ou nougats. Oh le beau foulard ! Mais non c’est un mouchoir ! On rit, on éternue. Oh, j’ai un frisson ! Ferme la fenêtre ! On s’étreint, on se fait des confidences. J’ai un traitement à la cortisone ! À la cortisone ! On toque à la porte ! Qui est-ce ? Ils reviennent encore. Le temps est passé. Ils ont des enfants. Oh les beaux enfants ! Coco prête ton jouet ! Mais où est la vieille Betty ? Et qui toque à la fenêtre ?
    Les trois amis viennent chez Betty, qui vit seule avec son chat. Où ça ? À Juvisy-sur-Orge ? Peut-être ! Il y a Ruth, qui a de beaux cheveux, Nelly qui rit à perdre haleine, Hervé, qui a une moustache. Hervé a un chien. Dans la maison de Betty il y a la cafetière, le coucou, une grande baie et une porte-fenêtre, des chats, des plantes. Ruth, Nelly, Hervé sont ses amis. »

     

     

     

    N’est-ce pas intégralement magnifique ? Et l’on voudrait que je me console d’avoir manqué une merveille de cet acabit ? Mais je triche, évidemment : Rien ne me console comme justement cette présentation ; elle a même l’étonnant mérite de discriminer comme parfaitement imbéciles les personnes qui, n’ayant aucun intérêt à se faire voir pour raisons de réticulation professionnelle, l’ayant lue, se sont néanmoins rendues au théâtre pour y voir Voilà de Philippe Minyana. Conclusion : Minyana est une Province du ridicule, Cantarella est son chef-lieu, Giorgetti son sinueux cours d’eau – sécheresse et grandes crues…

    Liens :

    Fabula rasa

    Joris Lacoste, génie (fabula rasa 2)