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  • Immensité de Philippe Minyana (fabula rasa 3)

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    J’aime bien Philippe Minyana : il faut pour tartiner à ce point-là rien moins que rien une sorte particulière de génie, fût-il immensément dérisoire ; et pour tirer de cette boursouflure de néant rien moins qu’une carrière, il faut une endurance, une persévérance, peut-être même une foi dans l’infatuation, qu’aucune sorte réelle de doute jamais n’entache. Pour répondre avec une aussi admirable continuité au commandement mutique de l’époque, qui veut – l’époque comme son commandement, puisqu’ils sont apparemment permutables à l’envi – que de ce rien l’on fasse du bruit (je songe au bruit que font les êtres humains, le plus souvent, lorsqu’ils s’imaginent parler), il faut avoir placé très tôt, et incessamment, donc, l’entièreté de son talent dans le travail de réticulation que demande, que dis-je ? qu’impose le théâtre de service public, en cela exactement identique au reste du monde, qu’il condamne pourtant à tour de bruit pour immoralisme du haut de ses chaires mortes. Mais tout de même, il ne s’était encore jamais vu qu’une œuvre aussi intégralement vaine et vide atteignît les sommets de la culture publique. Comprenez-moi bien, camarades : Philippe Minyana n’est pas une exception, il est simplement un pionnier et c’est bien différent. L’indifférence du public à son œuvre ne semble pas décourager un instant, bien au contraire, les petits décideurs autocrates de Ministère, lesquels sont bien évidemment, dès qu’il s’agit d’ordure et de pognon, imités par tout le jeu de dominos des « diffuseurs d’ambiance », directeurs de salles de spectacle pour la plupart, ces larbins strictement imbéciles chargés de veiller à ce qu’il faut bien nommer l’uniformité nationale de la diversité culturelle. Il a même pu se trouver que des lycéens des filières littéraires à option théâtre, bienheureux qui n’avaient même jamais entendu parler de Dom Juan, fussent contraints par les programmes de l’Education Nationale (sic) à « étudier » telle ou telle des déjections de notre dramoncule patenté. Et un tel héraut de la bouillie dramatique contemporaine, hissé jusques au faîte de cette gloire de pacotille que lui trament nuitamment les tâcherons du journalisme le plus confiné, et par ailleurs subventionné par ces mêmes décideurs autocrates, ne pouvait pas, comme pour justifier de son rang, ne pas à son tour s’entourer d’une courette de metteurs en scène en mal de reconnaissance, de comédiens et comédiennes cherchant d’improbables Molières dans les décombres partout étalés de l’intelligence. Rien donc, on le comprendra aisément, ne pourra me consoler d’avoir manqué le passage dans ma ville de la dernière déjection spectacularisée de notre dramoncule de service public, laquelle déjection n’est rien d’autre en réalité que l’offrande votive que doit Minyana au Système qui depuis longtemps maintient son indigence à hauteur de confort. Laquelle pièce a pour titre on ne peut plus profond – pour peu que l’on songe à la satisfaction de la corvée enfin achevée d’écrire, un tel titre s’éclaire de lui-même : Voilà ; laquelle pièce est présentée ainsi dans le programme du théâtre public de ma ville, sans qu’il ait semblé nécessaire à quiconque, tant la chose sans doute n’a pas semblé importante, de préciser à qui exactement on devait une telle prouesse d’analyse du réel (le réel, c’est ce qui a remplacé la réalité) : l’auteur, notre génie selon l’organigramme, ou son metteur en scène, demi-mondaine de système pouvant espérer au mieux le demeurer, ou encore un anonyme du théâtre d’accueil et paniqué de résumer l’indigence :

     

     

     

    « Épopée de l’intime, refrains et ritournelles du temps qui passe.

    Qu’est-ce qu’on dit, qu’est-ce qu’on fait quand on rend visite à quelqu’un ? On s’embrasse, on offre fleurs ou nougats ; on s’embrasse encore ; on demande des nouvelles, on rit, on rit si fort qu’on se met à tousser ; et puis on éternue. Il faut fermer la fenêtre ! Ah non ouvre la fenêtre ! On boit, on mange, saucisses ou riz pilaf ; on va dans le jardin. Ils sont beaux tes cognassiers !

    Et puis on se quitte ; on s’embrasse ; on se dit au revoir, à bientôt ! Et puis on revient, on s’embrasse, on offre fleurs ou nougats. Oh le beau foulard ! Mais non c’est un mouchoir ! On rit, on éternue. Oh, j’ai un frisson ! Ferme la fenêtre ! On s’étreint, on se fait des confidences. J’ai un traitement à la cortisone ! À la cortisone ! On toque à la porte ! Qui est-ce ? Ils reviennent encore. Le temps est passé. Ils ont des enfants. Oh les beaux enfants ! Coco prête ton jouet ! Mais où est la vieille Betty ? Et qui toque à la fenêtre ?
    Les trois amis viennent chez Betty, qui vit seule avec son chat. Où ça ? À Juvisy-sur-Orge ? Peut-être ! Il y a Ruth, qui a de beaux cheveux, Nelly qui rit à perdre haleine, Hervé, qui a une moustache. Hervé a un chien. Dans la maison de Betty il y a la cafetière, le coucou, une grande baie et une porte-fenêtre, des chats, des plantes. Ruth, Nelly, Hervé sont ses amis. »

     

     

     

    N’est-ce pas intégralement magnifique ? Et l’on voudrait que je me console d’avoir manqué une merveille de cet acabit ? Mais je triche, évidemment : Rien ne me console comme justement cette présentation ; elle a même l’étonnant mérite de discriminer comme parfaitement imbéciles les personnes qui, n’ayant aucun intérêt à se faire voir pour raisons de réticulation professionnelle, l’ayant lue, se sont néanmoins rendues au théâtre pour y voir Voilà de Philippe Minyana. Conclusion : Minyana est une Province du ridicule, Cantarella est son chef-lieu, Giorgetti son sinueux cours d’eau – sécheresse et grandes crues…

    Liens :

    Fabula rasa

    Joris Lacoste, génie (fabula rasa 2)