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théâtre - Page 53

  • Grenelle, le casting (1)

    Commenter l’actualité ne m’intéresse qu’incidemment.

    – Mais tout de même, votre Président Grenelle… c’est Sarkozy, non ?

    – Oui et non. C’est le modèle…

    Le personnage se dessine peu à peu. J’aimerais beaucoup qu’il ne ressemble pas exactement à son modèle ; j’aimerais qu’il soit plus vrai.

    Pour le dire autrement : Je ne fais pas de politique. C’est d’ailleurs mon seul point commun, j’espère, avec ceux qui sont sensés en faire…

     

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    – Donc, se disait le Président Grenelle, pour faire un grand homme, pour le fabriquer, pour l’exciper du néant, il faut un grand acteur ; et peut-être en suis-je un…

    Mais un grand homme, un grand acteur, cela n’existe vraiment comme tel que s’il est pris dans une grande mise en scène tout à son service.

    Et là, somme toute, j’ai des doutes…

    Le Pouvoir n’a semble-t-il plus le pouvoir de présider au montage.

    Je n’ai pas le final cut. Les acteurs ne l’ont plus.

    J’essaie de compenser autrement, c’est tout.

    En étant là le plus possible.

     

    Il réfléchit, Grenelle.

    On aurait tort, d’ailleurs, de le prendre pour un homme sans culture.

    Il a appris ça des Américains, qu’il faut toujours passer pour plus con que l’on est.

    D’abord parce que les gens qui vous méprisent ou vous détestent ont, même malgré eux, une certaine tendance à vous sous-estimer qui ne peut que vous être profitable ; ensuite, parce que, du coup, les gens, les vrais gens hein ?, eh bien, ils vous aiment…

     

    – Le montage, de toute façon, appartient désormais à tout le monde. On peut donc parier, en somme, qu’il sera standard, le pour et le contre se compenseront d’eux-mêmes. Sauf catastrophe, évidemment.

    Donc : autant ne s’en préoccuper pas.

    C’est leur petite affaire, à eux, les autres. Ils ne s’occuperont même qu’à ça… ça leur donnera, très momentanément, de l’importance. Ça les occupera. Bien.

    Alors quoi ?

    Alors il y a l’histoire. L’histoire dans l’Histoire, si cette dernière n’a pas définitivement foutu le camp.

     

    Il y a un silence.

    Le Président se retourne dans son lit.

     

    – Merde.

    Le scénario. Je ne le connais pas, moi, le scénario.

    Je suis un acteur en temps réel, moi. Je ne la connais pas, la fin de l’histoire.

    Pourquoi les gens regardent le film alors, s’il s’étire et dure comme ça, sans fin possible ? Pourquoi les gens me regardent-ils s’il n’y a pas d’histoire bien propre, bouclée, célébrant a priori ma gloire ou ma défaite ?

     

    Il y est, là.

    Il s’est redressé dans son lit.

     

    – Quand ils vont au cinéma voir ce qui sort, les gens, ils ne la connaissent pas l’histoire. Ça n’est pas pour l’histoire, qu’ils y vont. Et les intellos mis à part, ce n’est pas non plus pour le réalisateur, ni pour le montage.

    Non, c’est pour le casting. Le casting. Bordel de merde.

     

    Il est au bord des larmes, d’un coup, le gros Grenelle. Il est redressé dans son lit, la face ravagée, il a l’air effondré. Martial, mais effondré.

     

    – Non mais, regarde-moi ces connards : tous des billes ! De François Groland et Marie-Laine Broyal à François Dufiion et Micheline Aubin-Marie… Rien, personne.

    Merde, hurle le Président Grenelle ! Je suis Marlon Brando, moi. Et il n’y a autour de moi, à droate comme à gôche, rien que des acteurs français de boulevard. Des Paul Préboist. Des Jacques Balutin. Au mieux des Pasqualabru. Et je ne vous parle pas du dyslexique amorphe de service : Beyrou-Est ou Beyrou-Ouest ?

    Des caves et des tocards.

     

    Il pleure, Grenelle.

    Pas d’adversaire à sa mesure.

    Il pleure, tout seul dans son grand lit.

    Il n’a pas tort, remarquez, sur le fond. Le cinéma veut créer des mythes. Peut-être est-ce une de ses fonctions, sinon la principale…

    Quand le cinéma américain, sur son versant mythique, a raconté la réalité de la seconde guerre mondiale, ça a donné Le jour le plus long. Une certaine idée de l’héroïsme. Les grandes vertus guerrières, martiales, sacrificielles. Le cinéma français, lui, pour coller un tant soit peu à la réalité de la guerre, de la drôle de guerre, a trouvé bon de nous sortir Où est passée la septième compagnie ?

    La tragédie d’un côté. La comédie pépère de l’autre. Chacun ses mythes. La France a hérité du côté le plus miteux, c’est logique.

    Après tout, on ne l’a pas faite, nous, cette guerre.

     

    Dans son film à lui, Grenelle, il joue John Wayne. Mais que serait John Wayne, je vous le demande, si face à lui il avait Jean Lefebvre, Pierre Mondy ?

     

    Alors il réfléchit, Grenelle.

    Le casting, bordel de merde.

     

    – Regardez-moi ces connards d’Européens de mes couilles (et Dieu sait si je suis européen convaincu) ! Qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse ? Il y a la Merkel, qui est bandante comme un cornet de frites graisseux dans une baraque pour routiers ! L’autre con de Gordon Brown, avec sa tête de cheddar pré-fondu… En Italie, depuis que Berlu n’est plus là, on ne sait même pas qui c’est. Et je ne vous parle pas de l’Espagne, avec leur Zapata qui pédalise tout le pays (ils seront bientôt aussi cons que les Français, les Espagnols, s’ils continuent)…

    Rien à tirer de tout ça. Des tocards.

    Bon alors, il va falloir jouer avec les durs, les méchants.

    George W. Bush, une espèce de Lee Marvin jeune et désintoxyqué.

    Poutine, dur de dur du KGB (déjà ça le fait, dans le film). Ed Harris rasé de près.

    Ahmadinejad, qui a une bonne tête de truand à la Eli Wallach.

    Kadhafi, qui aurait dû être joué par un Charles Bronson déjanté (enfin, je dis ça surtout à cause des yeux).

    Et le chinetoque, aussi, là, dont j’oublie toujours le nom.

    Voilà, là, on peut faire un film.

    Après, comme il n’y a pas de scénario, on improvise.

    Merde, il faut jouer dans la cour des grands.

    Tant pis s'ils sont psychopathes.

     

     

    Voilà, il peut dormir, Grenelle, à présent.

    La Grande Politique est de retour.

  • Kadhafi Président !

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    Je ne pense rien de particulier de la visite de Kadhafi en France.

    A dire le vrai, je trouve très drôles, très hilarants les petits jeux niaiseux du Président Grenelle et de son hôte porcif et sanguinaire.

    Les jugements moraux pleuvent, évidemment.

    On parle de realpolitik.

    C’est amusant.

    (Reprocher aux hommes politiques de faire de la politique réelle, ce n’est pas seulement idiot ; c’est également symptomatique de ce que les gens, ou plutôt : les journalistes, rêvent de fabriquer un monde imaginaire, pour ne pas dire : déliré et délirant…)

    Comme s’il fallait préférer une irrealpolitik. Ou une idealpolitik. Ou mieux : une surrealpolitik.

    A moins qu’il ne soit question d’une néorealpolitik.

     

    Les politiques qui existent sont réelles, toutes.

    (Je tiens ici que réel est l’adjectif, réalité le substantif ; et, bêtise ou pas, je refuse de considérer une chose aussi abstraite, absconse, abstruse et finalement absurde que je ne sais quel prétendu réel, etc.)

    Après quoi, ces politiques et leurs effets, on peut bien sûr les juger bons, mauvais, aberrants, idiots, dangereux, ce qu’on veut…

    On n’arrivera à rien d’intelligent en procédant ainsi.

    Chaque parti convaincra seulement ses convaincus, c’est-à-dire au fond : personne.

     

    Je trouve que la rencontre Kadhafi-Grenelle est une rencontre de théâtre, une rencontre mielleuse, conflictuelle et ambiguë.

    Les journalistes ne savent pas ce que ces deux-là, exactement, se sont dit.

    Et alors ? Il faudrait l’inventer.

    Je crois même que cela devrait être drôle.

     

    Chœur de journalistes, et l’icône jetable Rama Yade, très belle, en coryphée.

     

    Quoiqu’on pense de Kadhafi, il faut reconnaître que venir faire la morale des droits de l’homme au pays de la morale des droits de l’homme qui pète plus haut que son cul, que parler des récentes émeutes de banlieue en frisant l’appel « politiquement correct » (double langage, en français ; takkya, en arabe) au Jihad est un coup vraiment très talentueux.

    A quelles fins ?

    (Le théâtre aussi se pense en termes tactiques et stratégiques – selon la distinction canonique donnée par Clausewitz.)

     

    Il va de soi qu’à la fin de ce round, c’est le gros Grenelle qui l’a dans le cul, même avec son chèque idiot à la main.

    Mais, ego ou non, narcissisme ou pas, ce n’est vraiment pas ça l’important.

     

    J’imagine bien Kadhafi se torcher le cul avec un papier hygiénique tricolore, mais calibré aux normes européennes, offert par l’Elysée.

    Un peu de respect pour les symboles, merde.

     

  • Règles (1)

    Par la suite, les hommes considérant que la pratique pouvait être transformée en art, et que ce qui avait été jusque-là flou et débridé pouvait être enfermé dans des règles et des préceptes définis, entreprirent, comme je l’ai dit, de ramener à un art un usage qui devait sa naissance soit au hasard, soit à la nature. Ils corrigèrent ce que la pratique pouvait comporter de mauvais, en suppléant à ce qui lui faisait défaut, en retranchant ce qu’elle avait en trop et, pour le reste, en fixant dans chaque cas des règles et des préceptes bien définis.

    Voilà quelle fut l’origine de tous les arts.

    Hugues de Saint-Victor, L’art de lire

     

    L’art aujourd’hui est tellement « libéré » de toutes les règles qu’il n’y a plus finalement ni règles ni art.

     

    Quand les hommes ont pris la liberté de faire tout ce qu’ils veulent, il leur est presque impossible de ne pas faire n’importe quoi.

     

    V. me raconte, avec un enthousiasme fiévreux, humide, son nouveau projet de spectacle, conclut ainsi :

    – Je crois que personne n’a jamais fait un truc pareil.

    – Peut-être parce que c’est complètement idiot.

    N’empêche, elle a raison, V. Le mot « truc » définit parfaitement ce qu’elle nomme aussi parfois son « travail ».

     

    Je dis en plaisantant à un « institutionnel » :

    – J’ai bien envie d’essayer de traduire une texte de Novarina en français.

    Il ne rigole pas du tout. Valère Novarina est à la mode, vous comprenez.

    Je songe à cette amie, qui, cherchant à monter, vers 1992 ? – bien avant que lancent la mode de Novarina tous ceux qui précisément n’ont rien à en dire – se vit répondre par une employée pléonastiquement incompétente de la DRAC qui avait tout de même pris la peine, une fois n’est pas coutume, de jeter un œil au texte :

    – Qui est cette poétesse italienne qui écrit si mal le français ?

    Mon interlocuteur ne rit pas, donc. Je lui demande ce qu’il pense, lui, personnellement, du théâtre de Novarina. Il esquive, s’en va bientôt.

    Bien. Nous ne parlerons pas de saint Thomas d’Aquin ce soir…

  • De belles émeutes bien de chez nous...

     

     Saturne, le Touriste et son Bébé est la troisième saynète – écrite entre juillet et septembre 2005 – de la pièce Pour une Culutre citoyenne ! Cette pièce à son tour est le troisième des dix textes composant l’ensemble romanesque titré Tout faut.

    b5e867c0813ec19327ecdf2b610bbe64.jpgVoici donc le texte que je répétais pour le théâtre au moment qu’éclatèrent les émeutes de banlieue, en l’an de grâce 2005. Nous (Arnaud Frémont, qui interprétait seul les trois rôles, David Girondin-Moab, qui fabriquait les marionnettes, et moi-même) ne devions bien évidemment donner qu’une seule fois cette saynète.

    Après l’avoir lue, certaines personnes se demanderont peut-être comme il fut possible qu’une salle de spectacle (on ne dit plus : un théâtre) subventionnée, même au fond de la province française, acceptât de programmer un tel monstre. La réponse est simple : elle ignorait l’avoir fait, la compagnie de David ayant vendu à cette salle un « mini-festival » composé d’une dizaine de « petites formes marionnettiques ».

    Quant à la réception du public CAMIF (NF – norme française) réuni ce soir-là de janvier 2006, elle me sembla varier dans le temps même de la représentation. Le public, interloqué d’abord des paroles de la première intervention de Saturne, partit en hilarité aux premières répliques du Touriste et du Bébé, hilarité qui ne cessa ensuite de descendre, et descendre, et descendre… La représentation s’acheva dans un silence sépulcral qui, je me permets de le dire, me fit bien franchement rigoler.

    e3d68998f1e6eeb13249c0099cda2223.jpgLire la saynète.
  • Saturne, le Touriste et son Bébé

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    Un homme seul,  très légèrement hirsute de la gueule, en culottes courtes et lunettes de soleil – les lunettes de soleil, c’est important pour priver l’éventuel spectateur de tout regard humain ; c’est lui, le Touriste. Sortant  de son ventre, y retournant à gré, un Saturne malheureusement pour lui-même échappé de Goya ; dans sa main droite enfin, et porté comme un poing, une tête articulée de bébé, de poupon : le Bébé, donc. Un homme, et deux marionnettes. – La voix du Saturne – un monde meurt – est calme et grave et basse ; celle du Touriste en tout cas fait parler le Bébé, à moins que ce ne soit l’inverse…, et ce binôme-là file à vive allure dans la farce criante et piaillarde et gueularde. Derrière le touriste immobile, le décor peut être rien ; ou, aussi bien, représente n’importe quoi : on s’en fout.

     

     

     

    SATURNE. - Enfin...

    Il y aurait de quoi rire, si l'on savait encore. 

    Les grands combats sont terminés enfin.

    Celui de l’homme avec l’histoire pour lui monter sur son dos et la diriger comme il peut, scabreusement donc. Aussi celui de l’art face à la mort pour lui regarder honteusement dans ses yeux de carbone et repousser sa victoire, comment dire ?… un peu durablement.

    Avec leurs grands carnages dégueulasses et leurs glorioles immondes, les grands combats aventureux que l’homme livrait plus ou moins à l’aveugle sont enfin terminés, et personne ne navrera plus l’épouvante.

    Pour la première fois, un vrai bonheur !… la peur de se tromper pèse si lourdement, paralyse toute parole, toute action ; pour la première fois, personne non plus n’ose émettre un regret ni un souhait ; l’époque dans des hoquets débiles a même fini d’agoniser heureuse, et signe sans conscience sa sortie hors du temps…

    De tant d’anciens fracas où la vermine humaine s’élançait à l’assaut de son maître d’ici, demeure seulement une musique guillerette étalant sur la surface du monde son sale sirop d’oubli…

    C’est pour longtemps, que le sens antique des paroles ne peut plus être compris du tout ; c’est pour longtemps, oui, qu’il n’y a plus du tout personne. Vieilles chansons d’effroi devenues rassurants borborygmes…

    La mièvre paralysie qu’ordonne la peur malpropre de se tromper convainc laxativement l’imbécile d’avoir trouvé la vérité… enfin ! ; ou qu’il n’y en a pas, absolument. Ce qui, n’est-ce pas ? est identique.

    Petit repos non mérité, volé.

    Sous les éperons abrutis d’un confort plus que nécessiteux, l’histoire a crevé épuisée – et le restant d’homme qui l’a vaincue, il n’ira plus nulle part faire face à rien du tout. – Et la mort même, l’homme une fois devenu cet étron convaincu, a fait facile conquête des larges champs de l’art qu’elle avait si longtemps bornés de son absence effroyable.

    Ici, on n’entend aucun glas ; et c’est encore plus joli qu’il n’y ait même pas ça… Oui, aucun glas. Faute sans doute de personne pour le sonner.

    Juste cette rengaine à la fois guillerette et si pauvre, suprême vengeance de la désormais inapercevable ironie. Misère parée d’atours magiques, foutaises…

    Fallait-il donc que l’homme chevauchât cette atroce et sanglante monture de l’histoire, avec son caparaçon de bouchers et de damnés, pour que son art toujours si approximatif pût faire face, même vainement, à rien moins que la mort ?

    L’homme ne se ressemble plus. Et dans ce miroir fidèle que je lui tends ici, ô mes très lointains amis, il ne reconnaît pas l’animal qu’il est redevenu.

    Il aurait de quoi rire, l’homme, s’il savait encore. Les grands combats sont terminés enfin, et avec eux s’est aussi achevé l’homme… enfin.

    Entrons dans la bouillie.

     

    *

     

    LE TOURISTE – On est sur la Toroute. Et on se tire en vacances plus que bien méritées, qu’on se paye très modestalement (ja wohl !) avec ma demi-solde à moi et le total chômage à Madame. Cela dit, sur la Toroute, il ne faut pas rouler plus que trop vite, à cause de la police et de l’apéritif. Mais ça, c’est arrangé à l’amiante : j’ai pris l’apéritif et Madame la Toroute. Sans compter que si on meurt dans le bon côté droit de ladite légalité, on est mieux remboursé de la vie pour laquelle on se cotise à longueur de laquelle.

    Tel qu’en ce moment vous me voyez présentement, je suis dans la caravane à faire le repassage des affaires à Mademoiselle Bébé, ce qui n’est pas peu sujet de fierté entre Madame et moi-même qui vous le dis. Car ce n’est pas rien de dire qu’on se fait homme modèle en se modelant soi-même sur le seul vrai modèle déposé, qui est en fait votre Bobonne à soi-même. Madame, quoi, veux-je dire.

    Ainsi donc voguons-nous formidablement sur la longue Toroute qui mène tout droit à l’Océan pétrolisé de nos rêves infantiles et sacrés. N’est-ce pas que c’est vrai, Bébé, ce qu’il dit ton serviteur-repasseur de Papounet d’amour ?

     

    LE BEBE – Ta gueule, connard.

     

    LE TOURISTE – N’est-ce pas qu’elle est toutoute mignognonne en diadiable, ma Mademoiselle Bébé à moi que je l’ai faite dans sa Madame à qui je suis ?

    J’ai toujours été, faut-il bien sûr le dire, un défenseur absolu de l’insolence enfantine. C’est tellement beau, aussi. Ta gueule, connard ! Quand je pense qu’aujourd’hui, d’ignobles méchants parents talochent encore leurs adorables poupons, quand ceux-ci prennent sur eux la liberté de librement s’exprimer avec une sincérité très très très irréprochable !

    Il faut savoir entendre, bien sûr, l’amour très respectueux qui se cache définitivement dans de tels propos à l’apparence anodine. Ta gueule, connard ! Qui n’entend là très manifestement une déclaration d’amour filial ? C’est si émouvament beau que j’en pleure une pure larme de bonheur atteint… Et quelle fierté, quelle fierté, quelle fierté citoyenne ! La voilà, la relève ! Plus avisée que nous, plus libérée de tout, plus révoltée de la réalité, plus épanouie, plus satisfaite d’elle-même, plus sans tabou sur rien…

     

    LE BEBE – Ferme donc ta grande gueule de gueulard ; et donne-moi donc de la bouffe à bouffer, chiémerde. 

     

    *

     

    SATURNE – Vous m’avez peut-être déjà vu, moi, Saturne, ou  bien était-ce mon frère plus ou moins ressemblant, la gueule hirsute avide immensément réjouie, et mangeant mes enfants. Pourquoi ? voilà bien une question à laquelle, d’évidence, je ne puis pas répondre ; car elle passe outre l’entendement, la réponse…

    Ceux d’entre les artistes qui allaient au plus vrai, qui maîtrisaient tout de même le grand art emparé d’eux, ont chaque fois fini par buter sur le mot Dieu, sinon même sur son Nom ; sur ce mot arraché du néant, et ordonnant de son sommet inaccessible l’édifice admirable de la Raison et partant, de l’humain.

    Mais tout ceci, bien sûr, n’intéresse plus personne. Nous marchons sous des ciels qu’explique la physique, et passant tout langage par pertes et profits nous nous considérons nous-mêmes, avec force délices doucereuses, comme de l’adorable saloperie biologique. Au point que ce misérable surplus chez nous de la conscience, nous ne pouvons plus le confondre qu’avec la bonté même ; mais c’est de la folie, de la pure, de la pas du tout coupée. De la pure came, oui, cette idée.

    Voiles à bloc gonflées du délire…

     

    *

     

    LE TOURISTE. – De la poésie, tout le monde il peut en faire bien sûr. Il suffit de le dire bien fort, que ce qu’on fait c’en est de la vraie véritable qui se gueule bien à la criée.

    Moi-même qui vous le susdit, j’essuie intermiteux du spectral en section spéciale poésisme au camping deux étoiles de Culmont-Chalindrey.

     

    LE BEBE. – Bon, i faut faire quoye, enculé ?

    LE TOURISTE. – Aujourd’hui, chers poéteurs en herbe qui fait rire, nous allons commencer par le surréalismisme, car parce que c’est un poésisme très fastoche à faire. Et encore aujourd’hui, vu que ça ne veut rien du tout dire et que ça se torche en d’autant moins de temps, c’est très d’avant-ringarde, vous allez voir.

    Suffit assez de mettre ensemble des mots qui n’ont rien à y foutre, ensemble, et comme les mots du hasard de votre tête, ils n’ont jamais rien à foutre ensemble, eh bien donc ça en fait tout de suite d’un coup, de la poésie.

    Vas-y commence.

     

    LE BEBE. – enculé biberon sucer maman tétine

     

    LE TOURISTE. – C’est magnifique à mort. Et pour que ça ne plus du tout veuille rien dire, on n’a qu’à encore en rajouter un au milieu, de mot qui vient d’ailleurs.

     

    LE BEBE. –  enculé biberon carotte sucer maman tétine

     

    LE TOURISTE. – Génial à mort. Ca, c’est du vrai vers libre en liberté subversive. Alors maintenant, pour être un vrai beau poésisme totalitairement modernul, il faut nous en conchier un deuxième qui vient en second, de vers. Pas n’importe quoi, hein, cette fois, non : ce second vers doit être le retour sur lui-même du premier, dans un moment dialectique de prise de conscience de lui-même en tant que vers, pigé ? C’est plus fastoche que ça en a l’air, tout fait aussi bien l’affaire, faut juste une phrase qu’on repère.

     

    LE BEBE. – sucer biberon carotte enculé maman tétine

    j’aime les fleurs surtout les bleues qu’elles sont bien bleues

     

    LE TOURISTE. – Mais c’est plus que le nouveau Dante, ce kid ! Mieux qu’Alexandre Jardin et déjà presque du Christine Angot ! Et maintenant, cher confrère, vous permettez que je vous appelle comme ça, avant de passer au mettage en zicmu, le troisième vers. Autant les deux premiers vers qu’on a faits en premier, répondaient à des règles très stricteuses, autant le troisième et dernier est totalement libéré, laissé au total décapilotage de votre imaginement.

     

    LE BEBE. - sucer biberon carotte

    enculé maman tétine

    j’aime les fleurs surtout les bleues

    qu’elles sont bleu hématome

    je casse tout l’ordre enculé

    à satiété j’ désosse la société

    il faut buter les ceux qui nous font chier

    commencer par nos pères ces flics

    qui niquent nos mères les putes

    pas de quartier pour ces tocards

    qui nous paient des vacances de merde

    et qui s’éclatent dedans comme des gros porcs

    ils peuvent que nous apprendre que dalle

    ils jouissent dans leur vide sanitaire

    pour tromper leur ennui d’abruti

    qui n’ont pas plus d’avenir que de passé

    et qui en plus sont rayés de leur présent

    buter ces enculés c’est de la rigueur morale

    la seule celle-là qu’est encore à ma portée

    sucer biberon carotte

    enculé maman tétine

    il faut bouffer les pères en gélatine

    qui ne tremblent devant plus rien

    qui éjaculent des concepts dans le néant

    qui se sont eux-mêmes coupés leurs couilles

    parce que c’est quand même plus simple

    tout ce qui nous reste de possible

    c’est détruire ces destructeurs d’eux-mêmes

    c’est ça ouais la rigueur morale ultime

    elle est faite de ton sang exsangue

    et de tes tripes sans couilles papa

    et pour justifier ce gros massacrement des imbéciles

    et finir ce putain de boulot commencé par vous-mêmes ô nos pères molles et vénériennes

    nous reste plus bientôt qu’à rejoindre

    les destructeurs institués des ruines mêmes de l’Occident

    sucer biberon carotte

    enculé maman tétine

    allah akbar

    allah akbar

    allah akbar

    et à la fin des fins j’aurai un beau procès jouissif

    les caméras toujours braquées sur moi

    j’aurai un beau procès jouissif

    qui fera jouir aussi la société entière

    j’aurai un beau procès jouissif

    tous les miroirs du monde braqués sur moi

    un beau procès jouissif qui fera bien jouir

    toute la belle société des innocents professionnels

    des gens comme vous et moi

    allah akbar

    je fais tout ça pour toi maman chérie

    ça te fait jouir à fond j’espère

    de voir ton fils bouffer son père

    allah akbar

    je fais tout ça pour toi maman chérie

    ça te fait jouir à fond j’espère

    de voir ton fils bouffer son père

    ne réponds pas maman chérie

    déjà d’ici j’entends ton oui

    ton bon grand ouiiiiii qui jouit

    allah akbar et et vive la poésie

     

     

    SATURNE. – Voyez vous-même si j’exagère.

    Je ne puis plus rien faire.

    Allez donc voir vous-même si j’exagère.

    Et le fils mange le père.

    Allez donc voir dans la vôtre, de vraie vie, si j’exagère.

    Et le fils mange le père. Le sien.

    Et le fils dévore son père à lui.

    Et le fils affamé dévore son père à lui.

    Dans la réalité.

    Et moi, je ne puis plus rien faire.

    Le fils affamé de son père dévore celui qui ne lui fut pas père.

    Lentement je disparais dans la ténèbre.

    Je ne suis plus Saturne, monstre mythique.

    Quand j’existais, j’existais pour qu’il fût aux hommes, aux pères ! interdit de franchir les bornes de la raison.

    Il n’avait pas été envisagé, je crois, que les pères pussent propulser le monde dans la folie par le bas, par la dissolution volontaire de leur autorité.

    Lentement je disparais dans la ténèbre.

    Aucun Interdit ne tient plus.

    Dans la ténèbre dont si longtemps je fus aussi la lumière.

    Quand j’étais Saturne.

    Car aussi je fus la lumière paradoxale que ma ténèbre même ne comprenait pas.

    Je m’éteins.

    Et avec moi l’humanité.

    Paradoxalement.

    Et avec moi l’humanité telle qu’elle s’était transmise.

    L’humanité à laquelle faisait borne l’atrocité du mythe.

    Et le fils dévore son père à lui dans la réalité.

    Je meurs.

    Et avec moi l’humanité.

    Les bornes de la raison sont franchies.

    La ténèbre est absolue.

    A présent absolue.

    Je suis mort.

     

     

    LE BEBE. – I AM YOUR PUNISHMENT – JE SUIS TON CHATIMENT. 

    LE TOURISTE. – I AM MY PUNISHMENT – JE SUIS MON CHATIMENT.

    LE BEBE. – I AM OUR PUNISHMENT – JE SUIS NOTRE CHATIMENT.