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Brando

  • Grenelle, le casting (1)

    Commenter l’actualité ne m’intéresse qu’incidemment.

    – Mais tout de même, votre Président Grenelle… c’est Sarkozy, non ?

    – Oui et non. C’est le modèle…

    Le personnage se dessine peu à peu. J’aimerais beaucoup qu’il ne ressemble pas exactement à son modèle ; j’aimerais qu’il soit plus vrai.

    Pour le dire autrement : Je ne fais pas de politique. C’est d’ailleurs mon seul point commun, j’espère, avec ceux qui sont sensés en faire…

     

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    – Donc, se disait le Président Grenelle, pour faire un grand homme, pour le fabriquer, pour l’exciper du néant, il faut un grand acteur ; et peut-être en suis-je un…

    Mais un grand homme, un grand acteur, cela n’existe vraiment comme tel que s’il est pris dans une grande mise en scène tout à son service.

    Et là, somme toute, j’ai des doutes…

    Le Pouvoir n’a semble-t-il plus le pouvoir de présider au montage.

    Je n’ai pas le final cut. Les acteurs ne l’ont plus.

    J’essaie de compenser autrement, c’est tout.

    En étant là le plus possible.

     

    Il réfléchit, Grenelle.

    On aurait tort, d’ailleurs, de le prendre pour un homme sans culture.

    Il a appris ça des Américains, qu’il faut toujours passer pour plus con que l’on est.

    D’abord parce que les gens qui vous méprisent ou vous détestent ont, même malgré eux, une certaine tendance à vous sous-estimer qui ne peut que vous être profitable ; ensuite, parce que, du coup, les gens, les vrais gens hein ?, eh bien, ils vous aiment…

     

    – Le montage, de toute façon, appartient désormais à tout le monde. On peut donc parier, en somme, qu’il sera standard, le pour et le contre se compenseront d’eux-mêmes. Sauf catastrophe, évidemment.

    Donc : autant ne s’en préoccuper pas.

    C’est leur petite affaire, à eux, les autres. Ils ne s’occuperont même qu’à ça… ça leur donnera, très momentanément, de l’importance. Ça les occupera. Bien.

    Alors quoi ?

    Alors il y a l’histoire. L’histoire dans l’Histoire, si cette dernière n’a pas définitivement foutu le camp.

     

    Il y a un silence.

    Le Président se retourne dans son lit.

     

    – Merde.

    Le scénario. Je ne le connais pas, moi, le scénario.

    Je suis un acteur en temps réel, moi. Je ne la connais pas, la fin de l’histoire.

    Pourquoi les gens regardent le film alors, s’il s’étire et dure comme ça, sans fin possible ? Pourquoi les gens me regardent-ils s’il n’y a pas d’histoire bien propre, bouclée, célébrant a priori ma gloire ou ma défaite ?

     

    Il y est, là.

    Il s’est redressé dans son lit.

     

    – Quand ils vont au cinéma voir ce qui sort, les gens, ils ne la connaissent pas l’histoire. Ça n’est pas pour l’histoire, qu’ils y vont. Et les intellos mis à part, ce n’est pas non plus pour le réalisateur, ni pour le montage.

    Non, c’est pour le casting. Le casting. Bordel de merde.

     

    Il est au bord des larmes, d’un coup, le gros Grenelle. Il est redressé dans son lit, la face ravagée, il a l’air effondré. Martial, mais effondré.

     

    – Non mais, regarde-moi ces connards : tous des billes ! De François Groland et Marie-Laine Broyal à François Dufiion et Micheline Aubin-Marie… Rien, personne.

    Merde, hurle le Président Grenelle ! Je suis Marlon Brando, moi. Et il n’y a autour de moi, à droate comme à gôche, rien que des acteurs français de boulevard. Des Paul Préboist. Des Jacques Balutin. Au mieux des Pasqualabru. Et je ne vous parle pas du dyslexique amorphe de service : Beyrou-Est ou Beyrou-Ouest ?

    Des caves et des tocards.

     

    Il pleure, Grenelle.

    Pas d’adversaire à sa mesure.

    Il pleure, tout seul dans son grand lit.

    Il n’a pas tort, remarquez, sur le fond. Le cinéma veut créer des mythes. Peut-être est-ce une de ses fonctions, sinon la principale…

    Quand le cinéma américain, sur son versant mythique, a raconté la réalité de la seconde guerre mondiale, ça a donné Le jour le plus long. Une certaine idée de l’héroïsme. Les grandes vertus guerrières, martiales, sacrificielles. Le cinéma français, lui, pour coller un tant soit peu à la réalité de la guerre, de la drôle de guerre, a trouvé bon de nous sortir Où est passée la septième compagnie ?

    La tragédie d’un côté. La comédie pépère de l’autre. Chacun ses mythes. La France a hérité du côté le plus miteux, c’est logique.

    Après tout, on ne l’a pas faite, nous, cette guerre.

     

    Dans son film à lui, Grenelle, il joue John Wayne. Mais que serait John Wayne, je vous le demande, si face à lui il avait Jean Lefebvre, Pierre Mondy ?

     

    Alors il réfléchit, Grenelle.

    Le casting, bordel de merde.

     

    – Regardez-moi ces connards d’Européens de mes couilles (et Dieu sait si je suis européen convaincu) ! Qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse ? Il y a la Merkel, qui est bandante comme un cornet de frites graisseux dans une baraque pour routiers ! L’autre con de Gordon Brown, avec sa tête de cheddar pré-fondu… En Italie, depuis que Berlu n’est plus là, on ne sait même pas qui c’est. Et je ne vous parle pas de l’Espagne, avec leur Zapata qui pédalise tout le pays (ils seront bientôt aussi cons que les Français, les Espagnols, s’ils continuent)…

    Rien à tirer de tout ça. Des tocards.

    Bon alors, il va falloir jouer avec les durs, les méchants.

    George W. Bush, une espèce de Lee Marvin jeune et désintoxyqué.

    Poutine, dur de dur du KGB (déjà ça le fait, dans le film). Ed Harris rasé de près.

    Ahmadinejad, qui a une bonne tête de truand à la Eli Wallach.

    Kadhafi, qui aurait dû être joué par un Charles Bronson déjanté (enfin, je dis ça surtout à cause des yeux).

    Et le chinetoque, aussi, là, dont j’oublie toujours le nom.

    Voilà, là, on peut faire un film.

    Après, comme il n’y a pas de scénario, on improvise.

    Merde, il faut jouer dans la cour des grands.

    Tant pis s'ils sont psychopathes.

     

     

    Voilà, il peut dormir, Grenelle, à présent.

    La Grande Politique est de retour.