Par la suite, les hommes considérant que la pratique pouvait être transformée en art, et que ce qui avait été jusque-là flou et débridé pouvait être enfermé dans des règles et des préceptes définis, entreprirent, comme je l’ai dit, de ramener à un art un usage qui devait sa naissance soit au hasard, soit à la nature. Ils corrigèrent ce que la pratique pouvait comporter de mauvais, en suppléant à ce qui lui faisait défaut, en retranchant ce qu’elle avait en trop et, pour le reste, en fixant dans chaque cas des règles et des préceptes bien définis.
Voilà quelle fut l’origine de tous les arts.
Hugues de Saint-Victor, L’art de lire
L’art aujourd’hui est tellement « libéré » de toutes les règles qu’il n’y a plus finalement ni règles ni art.
Quand les hommes ont pris la liberté de faire tout ce qu’ils veulent, il leur est presque impossible de ne pas faire n’importe quoi.
V. me raconte, avec un enthousiasme fiévreux, humide, son nouveau projet de spectacle, conclut ainsi :
– Je crois que personne n’a jamais fait un truc pareil.
– Peut-être parce que c’est complètement idiot.
N’empêche, elle a raison, V. Le mot « truc » définit parfaitement ce qu’elle nomme aussi parfois son « travail ».
Je dis en plaisantant à un « institutionnel » :
– J’ai bien envie d’essayer de traduire une texte de Novarina en français.
Il ne rigole pas du tout. Valère Novarina est à la mode, vous comprenez.
Je songe à cette amie, qui, cherchant à monter, vers 1992 ? – bien avant que lancent la mode de Novarina tous ceux qui précisément n’ont rien à en dire – se vit répondre par une employée pléonastiquement incompétente de la DRAC qui avait tout de même pris la peine, une fois n’est pas coutume, de jeter un œil au texte :
– Qui est cette poétesse italienne qui écrit si mal le français ?
Mon interlocuteur ne rit pas, donc. Je lui demande ce qu’il pense, lui, personnellement, du théâtre de Novarina. Il esquive, s’en va bientôt.
Bien. Nous ne parlerons pas de saint Thomas d’Aquin ce soir…