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nouvelle - Page 28

  • Seuil

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Je suis entré dans le café miteux – est-ce que j’ai dit bonjour ? – et elle était là. Une parfaite inconnue, debout au comptoir, un café devant elle. J’ai moi aussi commandé un café. J’ai pris le journal. Elle a demandé une cartouche de cigarettes, réglé le tout, est revenue à son café. Est-ce qu’elle est jolie ? Peut-être même pas ; quoique dire non serait injuste. Je lui donne quatre ans de moins que moi. J’ai repoussé le journal. A un moment donné, un instant, elle m’a regardé. Et elle m’a vu. J’ai vu qu’elle me voyait. Je peux même dire ce qu’elle a lu : Il tient, mais promet plus qu’il ne tient ; utilisable. Puis elle a fini tranquillement son café, est sortie :

    – Au revoir, monsieur.

    Elle a utilisé sa sortie à vérifier son premier regard. C’est ça.

    – Au revoir, madame.

    Elle a vu, et moi rien. Je ne sais quoi penser d’elle. Sinon qu’elle est plus intelligente et va plus vite que moi – pauvre rivalité – et ce n’est tout de même pas tous les jours… Mais je n’aurais pas dû voir qu’elle voyait. Et je l’ai vue me voir. C’est peut-être une faute – sauf si elle a voulu que je la voie me voir…

    Si tu raisonnes un pas de plus, mon gars, tu entres dans la paranoïa… La seule chose que je jurerais, c’est qu’il ne s’agit en rien de séduction : elle travaillait, et moi aussi. Je reprends un café. Je ne demande rien au patron. Des moments comme celui-là, trois minutes au total environ, n’arrivent pas tous les dix ans ; ils se suffisent. Je joue Bach dans ma tête. Elle avait de beaux cernes.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Pause

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Il a cessé de courir, brutalement. Et comme les chimères qu’il courait, elles, n’ont pas cessé, elles se sont éloignées de lui le plus simplement du monde. Oh, sans doute pas pour longtemps, il le sait. S’il le pouvait, il se retirerait volontiers de la ville et de ses saloperies et il irait vivre au milieu des arbres et sous la flotte, dans une longue maison de plain-pied, en compagnie des quelques personnes qui lui font, chaque jour, l’honneur de partager sa vie. Là, par exemple, calfeutré dans le manteau du temps, il lirait chaque matin un beau morceau de Bible et prendrait le temps, après chaque déjeuner, de fumer sur son banc de très gros cigares, ouais. Et il irait à la chasse. Et tout ça. Mais il sait bien qu’il y a la réalité et qu’il ne va pas faire ça ; non plus que plaquer tout pour aller livrer je ne sais où une très probable guerre et crever en pissant le sang. Le plus certain est qu’il reste là, toujours plus écartelé par ses contradictions chéries, mais pourrissant de compromis variés, sourd de douleur, insupportable à qui l’aime et trahissant tout ce qu’il peut. Mais vous avez compris : il est déjà reparti à courir. Du coup, cette nouvelle est trop longue.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Altruisme

     

     

     

     

     

     

     

     

    Il regarda sa gueule dans le miroir et se demanda combien de fois déjà il avait vécu ça et si ça arriverait encore. C’est après seulement qu’il avait été bien écrasé par la pression énorme et lente de ce monde, et tout au bord de maintenant mourir, qu’il se sentait enfin en vie, et prêt à en découdre avec la terre entière, pas tant pour survivre que pour le plaisir enfantin, cruel de la bagarre. Puis il colla au ralenti son poing droit dans le miroir, visant le reflet de sa mâchoire, et appuyant un peu son geste vers la fin, étoila durablement cette image de lui-même. Abîmé, le miroir resta collé au mur. Il se dit que c’était là peut-être la seule œuvre d’art qu’il ferait jamais, que personne n’en pourrait rien savoir et que c’était bien mieux ainsi. Puis il pensa soudain à ce que sa femme lui dirait au soir de l’état du miroir et partit tout seul d’un bon rire. Ne fallait-il pas, après tout, que la violence demeurât son amour ?

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • La Maison de Dieu, un poème

    L’incipit, déjà, en italiques comme une didascalie, est un petit chef d’œuvre. Le voici :

     

    Le Kilimandjaro est une montagne couverte de neige, haute de 6.021 mètres, et que l’on dit être la plus haute montagne d’Afrique. La cime ouest s’appelle le « Masai Ngàje Ngài », la Maison de Dieu. Tout près de la cime ouest il y a une carcasse gelée et desséchée de léopard. Nul n’a expliqué ce que le léopard allait chercher à cette altitude.

     

    Eh bien voilà, les poètes à la ligne déjà peuvent aller se rhabiller.

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  • Sur Mauvaise paix

     

    A Ambre, dont je ne sais rien ;

    aux autres lecteurs, connus et inconnus, amis ou ennemis, de ce blog.

     

     

    Commençons, par goût pour l’auto-dérision, par citer l’un de nos meilleurs auteurs comiques, heureusement décédé :

    « Ayant ainsi à tenir compte de lecteurs très attentifs et diversement influents, je ne peux évidemment parler en toute liberté. Je dois surtout prendre garde à ne pas trop instruire n’importe qui. »

    Guy Debord, Commentaires sur la société du spectacle

     

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