bach
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"Qu'est-ce exactement que [le] public ?" [1]
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Lectures, manip' et chanson d'amour
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Golgotha picnic, de Rodrigo Garcia (1)
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Seuil
Je suis entré dans le café miteux – est-ce que j’ai dit bonjour ? – et elle était là. Une parfaite inconnue, debout au comptoir, un café devant elle. J’ai moi aussi commandé un café. J’ai pris le journal. Elle a demandé une cartouche de cigarettes, réglé le tout, est revenue à son café. Est-ce qu’elle est jolie ? Peut-être même pas ; quoique dire non serait injuste. Je lui donne quatre ans de moins que moi. J’ai repoussé le journal. A un moment donné, un instant, elle m’a regardé. Et elle m’a vu. J’ai vu qu’elle me voyait. Je peux même dire ce qu’elle a lu : Il tient, mais promet plus qu’il ne tient ; utilisable. Puis elle a fini tranquillement son café, est sortie :
– Au revoir, monsieur.
Elle a utilisé sa sortie à vérifier son premier regard. C’est ça.
– Au revoir, madame.
Elle a vu, et moi rien. Je ne sais quoi penser d’elle. Sinon qu’elle est plus intelligente et va plus vite que moi – pauvre rivalité – et ce n’est tout de même pas tous les jours… Mais je n’aurais pas dû voir qu’elle voyait. Et je l’ai vue me voir. C’est peut-être une faute – sauf si elle a voulu que je la voie me voir…
Si tu raisonnes un pas de plus, mon gars, tu entres dans la paranoïa… La seule chose que je jurerais, c’est qu’il ne s’agit en rien de séduction : elle travaillait, et moi aussi. Je reprends un café. Je ne demande rien au patron. Des moments comme celui-là, trois minutes au total environ, n’arrivent pas tous les dix ans ; ils se suffisent. Je joue Bach dans ma tête. Elle avait de beaux cernes.
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Un retour...
Je roule lentement au travers de la forêt immense tandis que la radio crache des appels rythmés au meurtre de flics. Je descends maintenant vers ma ville et elle n’est pas encore à feu et à sang ; j’arrête la radio. Je me souviens brutalement du crucifix taggé, tout à l’heure, dans les vignes. Les temps vont concorder bientôt, parfaitement, dans le chaos. Du moins, il m’est loisible de l’espérer. Quand j’ouvre les yeux, je comprends que je me suis arrêté et allongé au bord de la route. J’entre enfin dans ma ville, le long d’interminables barres d’immeubles, en écoutant L’art de la fugue. Pluie fine, à présent. Ensuite, j’ai gardé quatre jours cette musique en moi, et l’ai beaucoup fredonnée.
C’est la guerre…déjà. Contrairement aux apparences, je n’exagère jamais. Mais chut…