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littérature - Page 85

  • Une phrase de Malraux...

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    J’ai lu quelque chose sur internet qui m’a fait penser à une phrase de Malraux. Et comme je n’ai lu de Malraux que Le Miroir des Limbes (c’est-à-dire les Antimémoires et La corde et les souris), j’ai passé une après-midi à rechercher dans ce bon millier de pages la citation exacte et quand je l’ai finalement retrouvée, j’avais déjà oublié quelle était cette chose internetique qui me l’avait évoquée.

    La voici tout de même, tirée de Lazare (1974), le dernier des livres composant ce fabuleux (dans tous les sens, d’ailleurs) Miroir des Limbes :

     

     

    Le deuil disparaît, on écarte les enfants du cimetière, mais à la télévision, un jour sans meurtre serait un jour sans pain.

     

     

    Evidemment, en écrivant ceci, alors même que je suis résolu à ne livrer ici que ce rapide constat malrucien, la référence oubliée me revient, je retourne lire le billet, et maintenant certain que c’est bien cette lecture-là qui m’avait évoqué Malraux, je peine à comprendre par quels méandres ma soi-disant pensée est passée et plus encore à expliquer quel lien s’est fait entre ce beau billet stalkérien sur Cendrars, Chessex et McCarthy et cette citation-là – en réalité, j’entrevois, mais vous donner ce cheminement de pensée-là me mènerait dans des sortes de fictions auxquelles, faute de temps, et de courage sans doute, je me refuse.

    Mais vous trouverez peut-être…

     

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    *

     

    Un mot encore, pour dire qu’il y a ces temps-ci une sorte de mode à dégueuler Malraux – je ne dis pas critiquer, ce qui serait tout à fait légitime, mais bien dégueuler – que je ne parviens à expliquer que par une sorte de jalousie métaphysique – et stylistique. Yann Moix, par exemple, qui est liftier (1) au Figaro et cinéaste à Radio Nostalgie s’est illustré dans cette mode, et l’on peut lire, dans un quelconque de ses ouvrages, quelques pages d’une bassesse presque infranchissable. Le sympathique Basile de Koch, qui est demoiselle d’honneur dans tout un tas de coteries mondaines, a livré aussi au tout début de Causeur un article assez  répugnant de facilités. Et au-delà, ou en-deçà – comme vous voudrez – de la jalousie métaphysique ou stylistique, il se peut aussi que Malraux, même « menteur », même amplifiant ou exagérant quelques faits, fabriquant en conscience sa légende, ait eu une vie d’homme passionnante, point exempte de bassesses sans doute mais pas dénuée non plus de grandeurs, croisant maintes fois l’Histoire, et que ceci soit insupportable aux amateurs de boîtes de nuit et autres cloportes germanopratins. (Même Houellebecq, pourtant le plus intéressant des romanciers français aujourd’hui, s’est livré, me souffle-t-on à l’instant, je ne sais pas où non plus, a un exercice de ce genre.)

     

    (1) C’est un garçon qui travaille dans les ascenseurs, à grands coups de renvois – qu’il écrit.

     

     

     

     

     

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    Lien : Sur La Route, de Cormac McCarthy

     

  • Pause

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Il a cessé de courir, brutalement. Et comme les chimères qu’il courait, elles, n’ont pas cessé, elles se sont éloignées de lui le plus simplement du monde. Oh, sans doute pas pour longtemps, il le sait. S’il le pouvait, il se retirerait volontiers de la ville et de ses saloperies et il irait vivre au milieu des arbres et sous la flotte, dans une longue maison de plain-pied, en compagnie des quelques personnes qui lui font, chaque jour, l’honneur de partager sa vie. Là, par exemple, calfeutré dans le manteau du temps, il lirait chaque matin un beau morceau de Bible et prendrait le temps, après chaque déjeuner, de fumer sur son banc de très gros cigares, ouais. Et il irait à la chasse. Et tout ça. Mais il sait bien qu’il y a la réalité et qu’il ne va pas faire ça ; non plus que plaquer tout pour aller livrer je ne sais où une très probable guerre et crever en pissant le sang. Le plus certain est qu’il reste là, toujours plus écartelé par ses contradictions chéries, mais pourrissant de compromis variés, sourd de douleur, insupportable à qui l’aime et trahissant tout ce qu’il peut. Mais vous avez compris : il est déjà reparti à courir. Du coup, cette nouvelle est trop longue.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Altruisme

     

     

     

     

     

     

     

     

    Il regarda sa gueule dans le miroir et se demanda combien de fois déjà il avait vécu ça et si ça arriverait encore. C’est après seulement qu’il avait été bien écrasé par la pression énorme et lente de ce monde, et tout au bord de maintenant mourir, qu’il se sentait enfin en vie, et prêt à en découdre avec la terre entière, pas tant pour survivre que pour le plaisir enfantin, cruel de la bagarre. Puis il colla au ralenti son poing droit dans le miroir, visant le reflet de sa mâchoire, et appuyant un peu son geste vers la fin, étoila durablement cette image de lui-même. Abîmé, le miroir resta collé au mur. Il se dit que c’était là peut-être la seule œuvre d’art qu’il ferait jamais, que personne n’en pourrait rien savoir et que c’était bien mieux ainsi. Puis il pensa soudain à ce que sa femme lui dirait au soir de l’état du miroir et partit tout seul d’un bon rire. Ne fallait-il pas, après tout, que la violence demeurât son amour ?

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • La Maison de Dieu, un poème

    L’incipit, déjà, en italiques comme une didascalie, est un petit chef d’œuvre. Le voici :

     

    Le Kilimandjaro est une montagne couverte de neige, haute de 6.021 mètres, et que l’on dit être la plus haute montagne d’Afrique. La cime ouest s’appelle le « Masai Ngàje Ngài », la Maison de Dieu. Tout près de la cime ouest il y a une carcasse gelée et desséchée de léopard. Nul n’a expliqué ce que le léopard allait chercher à cette altitude.

     

    Eh bien voilà, les poètes à la ligne déjà peuvent aller se rhabiller.

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  • Je suis un phantasme

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    Formation :

    – Ne mens que lorsque c’est inutile.

    – Expliquez-moi.

    – Non.

     

    Il a mis très longtemps à comprendre.

    Et d’abord il a compris des choses fausses.

    Et ce qu’il a aujourd’hui compris ne l’est sans doute pas moins.

     

    Il a maintenant un éventail de réponses.

     

     

     

    Un ami :

    – Tu sais ce que c’est, ton problème ?

    – Non. Mais je sens que tu vas m’éclairer.

    – C’est que tu es beaucoup trop intelligent.

    – Ça, ce serait plutôt ton problème avec moi, non ?

    – Connard.

     

    Il n’aime pas le pouvoir ; et son intelligence doit demeurer inemployée.

     

     

     

    Personne ne triche autant que celui qui croit pouvoir, de ce qu’il pense de lui et de ce qu’on dit de lui, se connaître ; et devient ainsi à lui-même son phantasme, finissant même par imaginer ce qu’on eût dit, en son absence, de lui. Combien de romans ?

     

     

     

    En son absence, donc :

    – C’est un garçon auquel il n’est pas difficile de comprendre l’adversaire.

    Le nombre de nos motivations est extrêmement limité.

    – Demandez-lui d’écrire des rapports, alors.

    – Nous l’avons fait. Ils sont très simples. Mais nous les lisons mal.

    – Et dans l’action ?

    – Ou il désarme l’adversaire comme on retire à un enfant son jouet ; ou il prend toute la charge pleine gueule.

    – Et dans le second cas ?

    – Eh bien, il s’en fout.

    – Il s’en fout vraiment, ou bien est-ce affecté ?

    – Je ne sais pas.

    – De toute façon, ça revient au même.

    – Oui.

    – Bloquez-le dans des tâches subalternes. Humiliez-le doucement.

     

    Ceci est un autoportrait triché.

     

    Par exemple, il ne contient pas de dialogue avec des femmes.

    J’ai déjà donné.