Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

littérature - Page 87

  • D'une chose sans importance

    Poussin, adoration du veau d'or.jpg

     

     

     

     

     

     

    J’ai oublié la phrase que je voulais écrire ici. Il y était question, peut-être, de littérature, cette sale invention du dix-neuvième siècle. Je l’avais pourtant trouvée hier, cette phrase, je crois. Oui, au matin, la gueule trempée, en faisant la queue à la boucherie. C’est que ça ne devait pas être important… Ah, si ! La formulation exacte ne me revient certes pas, mais il y était question que la littérature est un veau d’or, ou peut-être de plomb, sans grand-prêtre vraiment, les prétendants au titre s’étripant incessamment entre eux avant même que d’y accéder. Les idolâtres sont autant criminels que ridicules. Aucune importance, en effet. Le carré d’agneau de ce midi était excellent.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Une lettre du salon

    bronson.jpg

     

     

    C’est un soir.

    Voici ce qu’il écrit sous la lampe :

     

    Mon amour. Est-ce que tu sais que je ne suis plus là que par devoir ? J’allais dire par fidélité, mais non. Est-ce que tu sais que Dieu seul, ou bien l’idée de Dieu, puisque tu préfères, m’empêche de me passer par la fenêtre ? Est-ce que tu as remarqué qu’il y a longtemps, je suis mort. Te souviens-tu que nous nous sommes aimés ? J’ai passé sur moi-même comme une armée en marche. J’ai écrabouillé longtemps le désir sous ma botte, il a salement couiné avant de crever d’un coup. J’ai mis toute ma force à cela, les dents serrées, sans ménager ces larmes qui n’auront pas coulé, et j’étais plutôt fort, je trouve. Je me suis abruti de fatigue jusqu’à ce qu’il n’y ait plus même de fatigue. J’ai bien calmé la brute, et l’ai exterminée toute, même. Quand j’avais peur, vois-tu, je n’avais peur de rien. Je passais par-dessus. Les filles me giflaient pour un mot. Les types ne me cassaient même pas la gueule. J’étais un western ambulant. Un bloc compact de violence. J’étais remuant, je tenais tête à tout, j’allais plutôt mal, j’enjambais les préliminaires et vomissais les conclusions. Cela me semble les souvenirs d’un autre. Je passais ma main dans tes cheveux. Tu souriais. Et comment dire ? Nous avions le temps de cela, oui. J’ai l’impression d’avoir vécu plusieurs années avec toi, corps emmêlés sur ce parquet. (Tu vois, ce n’est pas vraiment une lettre, plutôt une chanson populaire mal foutue.) Et maintenant je suis là, dans ce salon aux couleurs chaudes, à noter sur des feuilles ces pauvres phrases et toi, quand je relève le nez, je te vois. Tu es là, toute jolie, tellement loin, en train de regarder un magazine. Aucun mot ce soir ne franchira mes lèvres, aucun rire. La musique que tu as choisie, pas seulement écoutée, de sa dégradation en ambiance meublera le silence. Il ne fait pas mauvais ici ; bien au contraire, même. Il y a des choses à faire. J’ai l’impression de voir tout cela de très loin, comme l’enfant qui tient à l’envers la longue-vue. La mort ne viendra pas vraiment. Seulement la douleur. Le corps qui hurle. Et sur lequel il faut encore marcher. Pour achever le travail. Je vais bien.

     

    Il pose son stylo, se lève, ramasse difficilement un jouet d’enfant, le range, se rassied, pose les mains bien à plat sur la table et demeure immobile.

    Il prend la feuille, la chiffonne, la lance négligemment dans la poubelle. Puis quitte la pièce en claudiquant légèrement.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Un contrepoint romantique : Raison garder.

     

  • Les charmes du roman

    Stomer, lecture du jeune homme à la bougie.jpg

     

     

     

    Si le roman domine, en quantité, la production industrielle de chose littéraire, c’est avant tout parce qu’il est la seule forme, le seul genre, qui supporte le mieux d’être lu n’importe comment ; il est aujourd’hui écrit, de façon presque exclusive, pour être lu par des gens qui ne savent pas lire du tout, et qu’on encourage vivement à persévérer dans la médiocrité, à l’approfondir en quelque sorte. Bref, le roman, au sens où il y a rentrée littéraire, est fabriqué par des gens qui, plus ou moins consciemment, et avec une honnêteté intellectuelle inverse à leur niveau de conscience, écrivent mal, et consommé par des gens qui, à n’en pas douter, lisent encore plus mal (cette logique admet en effet, presque en creux, que les lecteurs qui lisent mieux que les écrivains n’écrivent abandonnent vite ce passe-temps idiot en quoi consiste, donc, de lire la production romanesque actuelle) ; il y a là une manière d’harmonie appelant à la surenchère propre à notre époque, et cela est tout à fait charmant.

     

     

  • Regards

    mon coeur mis à nu.jpg

     

    C’est amusant, à la fin.

    Les images ont tout envahi, semblent évidemment autorisées. On peut tout montrer, fiction ou réalité ; guerres, viols, meurtres, charniers, opérations médicales. La parole en revanche semble presque interdite. Il faut, dès lors qu’on s’attache à certains sujets graves, et la mode peut fort bien réputer grave, à n’importe quel moment, n’importe quel sujet, délaver des euphémismes qu’auront précédés de plâtreuses circonvolutions oratoires.

     

    Badinons donc.

    Il faut bien vivre avec son temps.

     

    La pornographie règne, dans toutes ses dimensions ; non moins qu’elle est indifférente. La parole, elle, n’a jamais été tant crainte ; au point qu’il nous la faut bannir.

    Renouvellement et originalité incessants d’un côté. Identité – dans les deux sens – de l’autre.

    Pouvoir d’un côté. Puissance de l’autre.

     

    Silence.