culture - Page 4
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Tombeau pour un ministre inconnu
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Poète vos projets !
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Enfin de la merde et du cul
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Crachoir
Il pensait s’être retrouvé dans ce café très mondain par hasard et se mentait tranquillement. Son rendez-vous s’était le plus simplement du monde décommandé à l’heure exacte d’arriver, ce qu’il avait très servilement accepté, avec sa résignation coutumière. Il ne lui serait jamais venu à l’esprit de mentionner ses deux heures trente de trajet, train plus métro, ni leur coût. Il ne se sentait même pas humilié, il se disait juste qu’il devrait se sentir tel.
Il faisait semblant de relire son dossier, son projet. Cette fois il avait fait tout ce qu’il fallait et ça n’empêcherait certainement rien de foirer. Et peut-être tant mieux.
La conversation de tous ses voisins de table tendait à prouver que ce milieu chic et toc était exclusivement un concours de bassesse et de vulgarité, et qu’on pouvait forer très loin. Ubu propre. Ces gens autour de lui avec leur beau jargon technique lui semblaient les outils haut de gamme permettant de forer plus bas, toujours plus bas. Le pire était sans doute qu’il rechignait de moins en moins à concourir lui-même. Puisque cela fonctionnait ainsi. Quoi qu’il concourût mal. Il se demanda qui finalement organisait ce concours, mais il ne trouva pas de réponse qu’un slogan pût contenir ; rien d’utilisable aujourd’hui, en somme.
Mais tout cela ne l’affectait pas réellement. La réalité serait de plus en plus brutale et insupportable, certes ; mais les moyens de se prémunir contre elle seraient de plus en plus nombreux et efficaces – stupéfiants d’ordres variés. Il était même difficile de savoir quel était le poison, quel le contrepoison – et donc, qui avait un coup d’avance sur l’autre. Les gens autour de lui s’occupaient de ce genre d’affaires, mais le savaient-ils seulement ? Et il pensa qu’il lui serait parfaitement indifférent, par exemple, qu’on les pende tous demain.
Comme l’école, la culture était simplement devenue un formidable moyen d’abrutissement des masses, capable de donner aux personnes les plus faibles – qui deviendraient artistes, etc… – l’illusion de leur affranchissement. Elle était la nouvelle machine à décerveler. Raison pour laquelle le pouvoir faisait fonctionner à plein sa belle pompe à phynances toute trouée. Les plus chiens, les plus cyniques atteindraient, non sans marcher en coulisses sur la gueule de leurs confrères, les postes les plus hauts à coups de grands discours égalitaristes et transparentistes. Les sincères, les convaincus, corvéables à merci, dealeraient la came, fabriqueraient à grand-peine quelques accros avant de crever plus prolos qu’au départ ; il y aurait bien sûr, çà et là, des dépressions, mais leur cause presque unique ne serait jamais tirée au clair.
Il sortit et alluma une cigarette. Vraiment, qu’est-ce qu’il avait à foutre de tout cela ?
Dans les bacs d’occasions d’un libraire, il acheta La Mort de Pompée en vieux Classiques Larousse, pour 25 centimes d’euro. Il demanda un paquet cadeau. La vendeuse se demanda s’il était cinglé ou radin, ou les deux ; et dit : – Vous plaisantez ? Il répondit : – C’est votre faute. J’achète un chef d’œuvre 25 centimes et la moindre merde coûte cent fois ça. Vous voulez que j’offre une merde ?
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Excellence française, risque zéro
Elle est un peu moins jolie qu’elle ne croit et pas encore charmante ; elle a vingt-quatre ans, est récemment sortie d’une prestigieuse école nationale de théâtre et m’explique, ce soir-là, avec une condescendance qu’elle juge deux fois légitime – j’ai quinze ans de plus qu’elle et je vis en cette entité géographique par essence indéterminée et floue que l’on appelle la province –, qu’il n’y a pas de personnages au théâtre et que, fort harmonieusement (mais c’est moi qui emploie cet adverbe), le théâtre ne raconte pas des histoires. Je l’écoute poliment, sachant qu’elle ne verrait pas mon sourire si d’aventure je le laissais paraître, et même lui offre un verre ; le fait est qu’elle débite son catéchisme culturel post-structuraliste post-brechtien avec la conviction d’acier de qui n’a jamais réfléchi une seconde – et tant mieux pour elle : la réalisation de sa carrière tout entière semble tenir à cette seule absence-là de réflexion. Il n’était pas jadis nécessaire d’être auteur dramatique pour savoir très simplement que le théâtre racontait, par le truchement exclusif de personnages parlant, des histoires ; et l’on savait aussi que ce savoir si banal et d’évidence tellement insuffisant ne permettrait pas à lui seul aux auteurs d’écrire des chefs d’œuvre. Mais le pépère savoir inverse aujourd’hui enseigné au mépris de toute réalité historique dans les meilleures écoles nationales, fleurons de l’excellence française, garantit au moins qu’aucun chef d’œuvre n’arrivera par là ; et rien sans doute n’est aussi rassurant à la médiocrité instituée. Risque zéro. Oh, on peut bien sûr penser que tout cela n’a guère d’importance. Mais une telle négation de l’art, faite au surplus en son nom, même contre toute raison, engage toute une époque en normant la manière dont elle-même se représente, ou plutôt, justement : ne se représente pas. Ma brave jeune femme conclut tranquillement en vidant son mojito que, donc, les paroles au théâtre n’ont en fin de compte aucune espèce d’importance ; et, à considérer honnêtement les auteurs qu’elle aime et met en scène, elle est assurée d’avoir parfaitement raison, et cela seulement saurait lui importer. Se peut-il vraiment qu’à la fin de cette soirée pas mal arrosée, alors que considérablement saoule et manquant s’effondrer elle s’accrochait à moi, je lui aie glissé au prétexte de la retenir mon majeur dans son cul ? Et se peut-il aussi qu’elle ne se soit aperçue de rien, comme si ce soutien-là lui était, en quelque sorte depuis toujours, aussi parfaitement naturel que rigoureusement insensible ? Et moi-même, n’avais-je pas ainsi un instant, et très transitoirement, occupé la place exacte de cette carrière dont cette pauvre jeune femme, ignorant depuis toujours être abusée, ne doute pas une seconde qu’elle ne lui soit dûe ?